Législatives 2024 : le programme de la majorité "manque de souffle", estime un économiste qui trouve "beaucoup de ressemblances" entre ceux du RN et du Front populaire

Sylvain Bersinger, chef économiste au cabinet Asteres, commente sur franceinfo les différents programmes économiques des principaux partis.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Sylvain Bersinger, chef économiste au cabinet Asteres. (RADIOFRANCE)

Sylvain Bersinger est chef économiste au sein du cabinet Asteres. Il a épluché les différents programmes économiques des différents partis pour les législatives et a publié une série de notes de synthèse.

franceinfo : La prime de risque sur les obligations d'État n'a jamais été aussi élevée depuis la crise de l'euro en 2012. Cette fébrilité des marchés financiers a-t-elle lieu d'être ou est-elle est disproportionnée?

Sylvain Bersinger : Je pense que cette légère défiance que vous mentionnez n'est pas complètement absurde. Les créanciers de la France se détournent un petit peu, ce n'est pas un tsunami, mais ils se détournent un peu des obligations d'État françaises, ce qui fait monter le taux. On voit qu'il y a des programmes pas du tout financés, donc ce n'est pas surprenant, dans un contexte où il y a déjà beaucoup de dette publique et un déficit élevé.

La dette s'élève à plus de 3 000 milliards d'euros, nouveau chiffre tombé ce matin.

L'exemple le plus proche est celui de Liz Truss, en 2022, en Grande-Bretagne. Elle avait annoncé des baisses d'impôts de 45 milliards de livres, un peu comme ça, sorties du chapeau, et ça avait créé une petite panique à l'époque sur la livre et sur le marché des bons du Trésor britannique. Elle a été obligée de rétropédaler et de démissionner ensuite. Quand on voit les trous potentiels que pourraient faire dans le budget des programmes qui sont actuellement en tête dans les sondages, on se dit que ce n'est pas totalement surprenant.

Les sujets économiques sont au cœur du débat : les retraites, le pouvoir d'achat, les salaires. Est-ce particulièrement le cas dans ces élections ?

On a vraiment l'impression que tous les partis placent la question du pouvoir d'achat en tête de leur programme. C'est probablement lié au fait qu'on sort d'un contexte inflationniste assez inédit depuis une quarantaine d'années. Même si les chiffres de l'inflation sont plutôt encourageants, avec 2,1% en glissement annuel, avec une inflation forte, des salaires qui ont suivi avec un décalage et des pertes de pouvoir d'achat, ce n'est pas totalement surprenant que la question économique soit en tête des programmes.

Il y a des ressemblances, parmi les programmes ?

Si on regarde le programme du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national, il y a des différences, mais il y a beaucoup de ressemblances. On a une vision de l'économie qui est plutôt une vision fermée, hostile à la mondialisation, avec l'idée que c'est en se protégeant qu'on pourra garder des emplois chez nous, donc à terme, du pouvoir d'achat. Ce qui, à mon avis, est assez absurde.

"Le but du commerce international, c'est avant tout d'importer et d'acheter ce que les autres font mieux et moins cher que soi-même."

Sylvain Bersinger, chef économiste

à franceinfo

Le Nouveau Front populaire parle de blocage des prix, il ne parle pas de fermeture.

Il y a une renégociation de tout un tas d'accords commerciaux, donc il y a quand même une vision du commerce en ce sens. Il y a aussi une ressemblance aussi très forte, je trouve, sur l'idée que l'économie doit être stimulée par tout un tas de dépenses : des dépenses sur les services publics, sur les retraites. Si vous ramenez l'âge de la retraite à 60 ou 62 ans, c'est un engagement financier supplémentaire pour l'État.

Selon le Nouveau Front populaire, ce sont des dépenses "par la demande". L'idée est de relancer la consommation avec des hausses de salaires. Vous êtes extrêmement dur vis-à-vis de ce point-là, vous dites que c'est du "keynésianisme vulgaire".

J'ai repris le mot de Paul Krugman, qui est lui-même du courant néo-keynésien. Pour expliquer un peu ce terme, l'idée de Keynes est de relancer l'économie par la demande, par la consommation. Mais il s'agit de le faire quand l'économie souffre d'un manque de consommation et de demande. Or, mon analyse, c'est que l'économie française ne souffre pas d'un manque de demande. L'économie française souffre d'une difficulté sur l'offre, d'une difficulté à produire plus. Ça se voit au déficit commercial, aux difficultés de recrutement, à une inflation qui a beaucoup baissé, mais qui est toujours présente. Et le terme de Krugman de "keynésianisme vulgaire", c'est l'idée que c'est une surinterprétation de Keynes, dans laquelle il faut toujours relancer l'économie par la demande. 

"Keynes dit qu'il faut relancer l'économie par la demande 'quand elle souffre d'un manque de demande', ce qui à mon avis n'est pas le cas aujourd'hui."

Sylvain Bersinger

Vous dites aussi que ces programmes, comme celui du Rassemblement national, sous-estiment les dépenses et surestiment les recettes. Le Nouveau Front populaire a mis en avant le financement de son programme. Les recettes qui sont prévues dans leur programme, selon vous, sont surestimées, et notamment les nouvelles recettes fiscales, avec des taxes sur les superprofits, de nouvelles taxes pour les super riches, etc.

Déjà, ce qui est très paradoxal, c'est qu'ils veulent revenir sur le pacte de stabilité européen. C'est totalement contradictoire. Mais partons du principe que les chiffres de recettes et dépenses sont exacts. Vous ne tombez même pas sur un équilibre. Et si on creuse un petit peu plus sur tout un tas de chiffrages, ils ont vraiment pris les hypothèses qui les arrangent à tous les étages. Et si on fait un chiffrage un peu plus objectif, on tombe, grosso modo, à peu près un trou de 50 milliards.

Pour Renaissance, le parti de la majorité présidentielle, il n'y a pas grand-chose dans leur programme. D'ailleurs, votre note de synthèse est extrêmement courte. C'est quand même étonnant quand il y a une dette à plus de 3 000 milliards. Pas d'économie supplémentaire, pas de recettes en plus.

Oui, c'est un programme assez creux, qui met en avant une règle d'or "anti-hausses d'impôts", qui s'engage à ne pas augmenter les impôts. On a quand même quelques mesures sur le pouvoir d'achat, qui coûteraient à l'État, mais pas énormément. Donc ça creuserait probablement un peu le déficit public, peut-être jusqu'à 10 milliards. Mais c'est vrai que c'est un programme qui manque un peu de souffle, qui manque peut-être de quelques réformes audacieuses.

Retrouvez cette interview en vidéo :

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.