"La conditionnalité des exonérations de cotisations n'est pas la solution" pour Antoine Foucher, spécialiste des questions d'emploi
La conférence sociale se déroulait aujourd'hui au Conseil économique, social et environnemental. Pour parler d'un des grands thèmes de cette journée, les bas salaires, franceinfo reçoit Antoine Foucher, spécialiste des questions d'emploi et président de Quintet Conseil. Il a été également directeur de cabinet de Muriel Pénicaud au ministère du Travail entre 2017 et 2020.
franceinfo : La CFDT et la CGT demandent que les aides publiques aux entreprises soient conditionnées à la mise à jour des grilles de salaires. En gros, que les exonérations de cotisations soient réservées à celles qui jouent le jeu, celles qui ont des grilles de salaires au dessus du smic. Mais le gouvernement n'y semble pas prêt, est-ce normal?
Antoine Foucher : Même si ce que je vais dire peut choquer, c'est normal dans le sens où ça serait inconstitutionnel. Je vous donne un exemple très pratique : une entreprise qui joue le jeu, c'est-à-dire qui paye ses salariés au-dessus des minima, mais qui fait partie d'une branche qui ne joue pas le jeu, elle n'y peut rien. Si la branche ne joue pas le jeu, elle n'est absolument pas en faute. Et pourtant elle serait pénalisée par le fait qu'elle aurait moins ou plus d'allègements de charges sociales. C'est pour cette raison que ce sujet-là est depuis une quinzaine d'années sur la table. C'est un vrai sujet. Mais la conditionnalisation de ces aides n'est pas la réponse. Elle n'est pas opérationnelle donc, à un moment donné, si le gouvernement cherche des réponses opérationnelles, et pas des "fausses réponses", il est dans son rôle.
En attendant, il y a 60 branches professionnelles, ça fait plus de 4 millions de salariés, dont certains sont payés juste au niveau du smic pendant des dizaines d'années, parce qu'ils dépendent de grilles de salaires qui sont toutes au niveau du smic. Alors il n'y a pas d'évolution possible.
Non, c'est vrai, vous avez complètement raison et ça prouve que c'est un sujet. Mais aucune entreprise en France n'a le droit de payer un salarié - et c'est très bien comme ça - en dessous du smic. Le smic est d'ordre public. Ce qui veut dire que même quand vous avez des branches qui ont des minima en-dessous du smic, ce minima ne s'applique pas. Donc si vous revalorisez le minima au niveau du smic, ça ne changera rien puisque ces salariés resteront au smic. Et sur la question du tassement des grilles salariales, c'est-à-dire sur le fait que vous avez en gros la moitié des salariés français qui sont payés entre 1 000 euros et 2 000 euros net par mois, bien sûr la grille aiderait. Mais si vous êtes sur ces salaires-là, même si vous êtes payé 100 euros net de plus par mois, vous allez rendre 39 euros en diminution de la prime d'activité et 11 euros en impôt sur le revenu supplémentaire. Donc, même si l'employeur fait l'effort de vous payer 100 euros net par mois de plus, il ne restera que 50 euros pour le
Patrick Martin, président du Medef, a dit qu'il fallait préserver la compétitivité des entreprises et donc ne pas toucher à ces exonérations de cotisations qui coûtent tout de même 70 milliards d'euros aux finances publiques chaque année.
Oui, mais c'est la condition pour réduire le chômage. On peut essayer de rehausser à nouveau les cotisations sociales, mais à chaque fois qu'on l'a fait, on a augmenté le chômage sur ces niveaux de qualification-là. L'arbitrage se fait alors assez facilement : si ça devient trop cher, vous préférez soit ne pas embaucher, soit embaucher un stagiaire, soit embaucher un apprenti, soit embaucher à mi-temps, etc. Cette conséquence, me semble-t-il, n'est pas contestée, elle est assez bien documentée et prouvée par quasiment la totalité des études.
Selon Sophie Binet, secrétaire général de la CGT, c'est une journée pour rien finalement. Vous êtes d'accord ?
Je ne suis pas loin de partager l'avis de Sophie Binet sur ce point. Effectivement, la conférence sociale est issue de la rencontre de Saint-Denis, entre le président de la République et les chefs de parti. Il fallait trouver quelque chose d'un peu concret. C'est cette conférence sociale qui est sortie et le gouvernement n'a eu qu'un mois pour la préparer. Je pense qu'ils n'ont pas osé poser les vrais sujets sur la table, à savoir le fait qu'en France, le travail ne permet plus de changer de niveau de vie. Ils n'ont pas osé et peut-être que les organisations syndicales et patronales aussi n'ont pas eu le courage de poser les vrais sujets sur la table.
Pourquoi alors, le travail aujourd'hui ne paie-t-il plus ?
Le travail ne permet plus de changer de niveau de vie, ce n'est pas moi qui le dit. Chacun peut le regarder dans les statistiques de l'Insee depuis dix ans ou quinze ans. L'augmentation moyenne du pouvoir d'achat chaque année, c'est un peu moins de 1%. Ce qui veut dire que pour doubler son niveau de vie, il faudrait travailler 70 ans. Dans les années 1950-1960, on doublait son niveau de vie tous les 15 ans. À la fin du XXe siècle, on doublait son niveau de vie à peu près en une année de travail.
"Aujourd'hui, on ne peut plus changer de niveau de vie. La majorité des gens ne change pas son niveau de vie en travaillant. C'est la première fois depuis 1945."
Antoine Foucherà franceinfo
C'est pour ça que le sujet est massif. Donc organiser une conférence sociale sur ce sujet, c'était une bonne idée, mais il fallait avoir collectivement le courage de mettre les données du problème sur la table pour espérer les traiter.
En un mot, votre solution ?
"La seule manière de permettre au travail de mieux payer, c'est d'alléger les charges payées par les salariés et d'alléger l'impôt sur le revenu payé par les salariés."
Antoine Foucherà franceinfo
Ainsi, pour le même travail que vous faites, vous avez davantage sur votre compte en banque. Mais pour faire ça, il faut alléger les cotisations salariales. Je répète : salariales, pas patronales. Et pour faire ça, il faut trouver des économies ailleurs. Arrêter par exemple de revaloriser chaque année les pensions de retraite au niveau où c'est fait. Juste pour cette année, c'est 14 milliards d'euros. Ce ne sera pas pour les actifs, ce sera pour les retraités, c'est un choix politique qu'on peut regretter.
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