Julia Faure, co-présidente du mouvement Impact France, demande de "mettre fin aux suppressions d’impôts aveugles et à la prime au vice"

Impact France est un réseau d'entrepreneurs voulant promulguer des objectifs sociaux et environnementaux. Sa co-présidente, Julia Faure, est l'invitée éco de franceinfo mardi 29/08.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7 min
Julia Faure, co-présidente du mouvement Impact France (franceinfo)

Après le Medef, le mouvement Impact France organise son université d’été mercredi 30 août à la Cité universitaire de Paris. Sa co-présidente, Julia Faure, fondatrice de la marque de vêtements Loom, demande une conditionnalité des aides publiques pour favoriser les pratiques vertueuses.

franceinfo : Le nouveau patron du Medef, Patrick Martin, regrette le ralentissement de la baisse des impôts de production annoncée par le gouvernement. Ce ne sera pas 4 milliards de baisse d'un coup l'an prochain, mais en plusieurs fois d'ici 2027. Est-ce que vous aussi, vous déplorez ce ralentissement?

Julia Faure : Non. Moi, ce que je déplore, c'est qu'il y ait des réductions d'impôts, ou des suppressions d'impôts qui soient aveugles, c'est-à-dire qui ne distinguent pas les entreprises qui font du bien à la société de celles pour qui ça n'importe pas vraiment. Nous, ce qu'on préfèrerait, c'est qu'il y ait justement une réduction d'impôts pour les entreprises qui font la preuve qu'elles font leur transition écologique, qu'elles partagent finalement leurs richesses avec leurs salariés ou avec, en général, les personnes qui en ont le plus besoin. Que ces entreprises-là, qui font la preuve qu'elles ont un impact social et écologique positif pour notre société, puissent bénéficier des réductions d'impôts. Mais que pour les autres, non. Il n'y a aucune raison en fait, d'encourager, de soutenir le modèle économique des entreprises qui ne participent pas de l'intérêt général.

Sauf que vous savez que la conditionnalité des aides, c'est absolument tabou, du côté de l'exécutif. Il ne veut pas en entendre parler et les entreprises, dans leur grande majorité, non plus.

Je ne vois pas comment arriver à favoriser certains modèles d'entreprises, qui sont bénéfiques pour notre société par rapport à d'autres, si on n'utilise pas tous les outils qui sont à notre disposition. Et dont la conditionnalité des aides fait partie. Il faut savoir que c'est un peu cher payé, cette conditionnalité des aides pour les entreprises engagées pour les entreprises à impact, parce que déjà, on souffre de quelque chose qui s'appelle la prime au vice, c'est-à-dire l'avantage compétitif à mal faire. Je vous donne un exemple dans le secteur textile. Ce tee-shirt, je le produis au Portugal, il est en coton bio et coûte 12 euros à produire. Si je décide de produire exactement le même tee-shirt au Bangladesh, il va me coûter entre 2 et 4 euros. C'est-à-dire que si je décide de délocaliser ma production dans des pays qui sont moins-disants socialement et écologiquement, je vais payer moins cher, je vais être plus compétitive. Donc c'est ça la loi du marché, c'est la prime au vice. C'est le minimum, que l'État introduise de l'éco-socio-conditionnalité, afin de compenser cette loi du marché qui est profondément injuste et qui favorise les modèles économiques les plus délétères.

Mais le consommateur fait ce tri-là ?

Le consommateur, jusqu'à un certain point. Par exemple, tant qu'on a les moyens, on se permet l'éthique. Mais dès qu'il commence à y avoir de l'inflation et que le portefeuille commence à se réduire, c'est plus compliqué de se permettre l'éthique. Et il faut savoir que quand même, cette prime au vice dont je parlais, elle induit des différences de prix extrêmement fortes. 

Alors on voit quand même dans la préparation du budget 2024 que le gouvernement veut mettre fin à un certain nombre de niches fiscales dites brunes, et notamment la suppression progressive de l'avantage sur le gazole non routier. Ça, c'est une avancée ?

Alors effectivement, c'est une bonne idée d'encourager les entreprises qui font mieux ou d'encourager les entreprises qui se mettent sur le trajet de la transition. Mais ça, on ne veut pas que ça se fasse aux dépens du budget de l'État. On ne veut pas que nos entreprises soient encouragées et que ça induise la fermeture de lits d'hôpitaux, ou moins de budget pour les écoles. Ce qu'il faut, c'est quand même équilibrer le budget. Et donc la manière d'équilibrer les budgets, c'est faire du bonus pour les gens qui faut bien et du malus pour les gens qui font mal. Parce que ce qu'on ne veut pas à la fin, c'est que tout le monde ait des réductions d'impôts et qu'à la fin il n'y ait plus d'argent pour le service public.

Alors concernant le partage de la richesse, on a vu l'intersyndicale qui demande aux entreprises de s'engager sur des hausses de salaires. Il y a une journée d'action de l'intersyndicale qui est d'ailleurs prévue le 13 octobre. Quelle est votre position, vous au mouvement Impact France concernant la hausse des salaires ?

Il y a quelque chose d'un peu absurde de voir que le CAC 40 a fait des bénéfices record alors que l'inflation n'a jamais été aussi haute. Ça veut dire que vraiment les gens perdent du pouvoir d'achat et qu'il y a une partie du monde qui capte cette richesse. Il y a un problème de redistribution de cette richesse, donc on pourrait se poser la question : est-ce que c'est une bonne idée d'augmenter les salaires, est-ce qu'actuellement les gens ont besoin qu'on augmente leurs salaires ? Eh bien globalement, oui. La vie leur coûte entre 10 et 30% plus cher qu'il y a un an. Donc c'est très important d'augmenter les salaires, très importants d'augmenter en particulier les bas salaires.

Ce qui est sûr, c'est qu'il y a de la richesse qui est produite, elle n'est pas redistribuée, donc il faut qu'elle soit redistribuée et il faut en priorité qu'elle aille aux personnes qui sont le plus dans le besoin. Je vous donne l'exemple chez nous. Nous, tant qu'on nous ou on est rentable, on a indexé les salaires des salariés sur l'inflation. C'est une manière de faire en sorte qu'il n'y ait pas de perte de pouvoir d'achat d'une année à l'autre. Et je pense que les entreprises, tant qu'elles le peuvent, si ça ne met pas en péril leur modèle économique, il faut bien sûr augmenter les salaires, en tout cas les salaires les plus bas.

Et ça, c'est quelque chose que vous allez prôner demain, aux universités d'été du mouvement Impact France ?

Je crois que ça fait partie de notre ADN, cette question du partage de la richesse, ça fait partie de notre ADN. Une économie qu'on veut juste, une économie qu'on veut au service de l'intérêt général. Elle doit redistribuer la richesse. Ce n'est pas possible que la pauvreté augmente en France et que le CAC 40 fasse des bénéfices record. C'est indigne en fait. Ça veut dire qu'on a une économie qui ne marche pas, c'est-à-dire qu'elle sert les plus puissants et les plus riches. Mais elle n'est pas au service de l'intérêt général.

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