Trois choses que vous n'avez sans doute pas flairé sur les capacités de votre odorat
Souvent moins considéré que la vue ou l'ouïe, l'odorat n'en est pas moins, pour l'homme, un sens déterminant qui révèle peu à peu ses mécanismes complexes.
"Qui maîtrisait les odeurs maîtrisait le cœur des hommes." Malgré sa consécration dans le roman Le Parfum (publié en 1985), de l'écrivain allemand Patrick Süskind, le nez a souvent été perçu comme le parent pauvre sensoriel de l'histoire. Considéré comme un sens moins noble que la vue et l'ouïe par Platon et Aristote dans l'Antiquité, l'odorat reste en effet un champ méconnu du grand public.
"Quand j’ai défendu ma thèse sur l’odorat à la Sorbonne en 1988, c’était encore un sujet sulfureux, expliquait en janvier 2015, au quotidien suisse Le Temps, l'anthropologue Annick Le Guérer. Mais il y a eu un renversement complet ces quinze dernières années. Les travaux des historiens ont amené le public à s’intéresser au sujet, et la recherche a beaucoup progressé."
Linda Buck, biologiste américaine, est l'une des chercheuses qui a fait progresser la science dans ce domaine. Prix Nobel de médecine en 2004, elle présentera ses derniers travaux lundi 7 novembre au colloque Wright pour la science, à Genève (Suisse). Elle a donné pour l'occasion une longue interview dans Le Temps, jeudi 3 novembre. Franceinfo revient sur trois informations surprenantes concernant l'odorat humain.
1Quand on est privé d'odorat, on déprime
Chez l'être humain, la famille des gènes qui codent la détection des odeurs –350 cellules olfactives au total– est la plus grande de tout notre patrimoine. Mais c'est beaucoup moins que la souris, qui en a plus de 1 000.
"On peut imaginer que l’olfaction a joué un rôle fondamental dans le développement de l’espèce humaine : pour trouver de la nourriture, un partenaire, ou sentir le danger", explique au Temps Marie-Christine Broillet, chercheuse au Département de pharmacologie et de toxicologie de l’université de Lausanne (Unil).
C'est d'ailleurs en observant des personnes anosmiques, c'est-à-dire qui ont perdu l’odorat, que les scientifiques ont appréhendé à quel point ce sens est vital. Perdre l'usage du nez nous rendrait plus vulnérable aux risques de dépression et de troubles de l'alimentation. Les personnes anosmiques "n’ont plus de plaisir à manger, explique Jean-Silvain Lacroix, de l’unité de rhinologie-olfactologie des Hopitaux universitaires de Genève, interrogé par Le Temps. Ce sont aussi des gens qui deviennent phobiques. Ils ont toujours peur de sentir mauvais. Ils changent quatre fois par jour de chaussettes." Sans compter la crainte qu’un incendie se déclare sans qu’ils ne puissent le détecter.
2Nous ne sommes pas égaux face aux odeurs
L'odorat n'est pas identique pour tout le monde. Et pour cause : il n'existe pas un récepteur neuronal pour reconnaître une seule odeur, mais une multitude de récepteurs olfactifs pour un même composé. "Ce qui complique fortement l'analyse lorsque l'on dit qu'une personne ne perçoit pas une senteur particulière, explique la biologiste américaine Linda Buck. Cela peut être le cas à une très faible concentration. Mais lorsque cette dernière augmente, l'odeur est détectée, grâce au recrutement de récepteurs additionnels."
Il existe également des gens qui ne sentent pas certaines odeurs. "Je fais par exemple partie des 12% de la population qui sont totalement incapables de sentir le musc [cette substance à l'odeur pénétrante, extraite des glandes abdominales de cervidés d'Asie, et qui intervient dans la préparation des parfums] - ce qui me désole, car j'adore les parfums", rapporte Linda Buck.
Vous pouvez néanmoins muscler votre odorat. Comme les sportifs, les parfumeurs s'entraînent pendant des années pour distinguer des odeurs et ensuite composer de nouveaux parfums. A noter que même le meilleur parfumeur ne pourra reconnaître que jusqu'à trois senteurs mélangées. Au-delà, cela devient impossible à détecter pour un être humain.
3Il existe un lien entre l'odeur et la mémoire... mais cela reste un mystère
L'exemple le plus célèbre de lien entre mémoire et odorat est sans conteste celui de la madeleine de Proust dans le roman A la recherche du temps perdu (publié en plusieurs tomes entre 1913 et 1927). "Il existe effectivement une troublante faculté du cerveau à recréer non pas seulement le souvenir de l'odeur, mais aussi le contexte dans lequel cet élément de mémoire a été créé, et les émotions qui allaient avec", abonde la scientifique Linda Buck.
En revisitant mentalement un endroit cher, vous pouvez effectivement être amené à en sentir virtuellement les odeurs. Un domaine de recherche en neurosciences fascinant qui est loin d'avoir révélé tous ses secrets. A l'heure actuelle, les scientifiques ne savent toujours pas expliquer ce phénomène. "Il faudrait comprendre l'entier du câblage neuronal", explique la prix Nobel de médecine. Une tâche titanesque quand on sait qu'il existe des dizaines de milliards de neurones dans le cerveau humain.
Pour y remédier, les scientifiques planchent désormais sur une initiative américaine lancée en 2013 et intitulée "Clarity". L'idée : rendre le cerveau (de souris) transparent à l'aide de marqueurs biochimiques afin d'obtenir une imagerie de l'activité neuronale.
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