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"Nous, les ouvriers" sur France 2 : l’histoire de celles et ceux qui ont construit la France

Le documentaire signé Hugues Nancy et Fabien Béziat mêle un siècle et demi d’archives et témoignages de salariés d’usine.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Le réalisateur Hugues Nancy, le 10 octobre 2023. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Hugues Nancy est réalisateur et scénariste principalement dans le domaine du film documentaire. Après le succès en 2021 d’un premier documentaire consacré au monde paysans "Nous paysans", il poursuit son travail d’observation des mutations du siècle avec Fabien Béziat et s’attaque aujourd’hui à mieux comprendre le monde ouvrier avec "Nous, les ouvriers" à découvrir mardi 10 octobre sur France 2. Il mélange des images d’archives, dont le tout premier film de l’histoire du cinéma des Frères Lumière, et des témoignages d’ouvriers retraités ou actifs, fiers de leur savoir-faire et de cette appartenance à cette classe ouvrière dont on parle si peu. 

franceinfo : Votre précédent film : "Nous paysans" avait remporté un très gros succès en 2021 avec cinq millions et demi de téléspectateurs. Beaucoup de paysans sont devenus au fur et à mesure des ouvriers, alors est-ce en tournant "Nous paysans" que vous avez pensé à raconter l'histoire des ouvriers avec "Nous, les ouvriers" ? 


Hugues Nancy : Oui, mais c'est une histoire qui est un tout petit peu plus longue parce qu'on avait, avec Fabien Béziat, réalisé un film la première fois sur les mineurs de charbon, "L'épopée des gueules noires", avec lequel on avait déjà découvert ce monde si particulier de la mine et des mineurs. Et puis après, on a poursuivi.

"Ce qu'on recherche avec Fabien, c'est raconter les mutations du siècle, les mutations de la société française au plus proche de la vie des Français."

Hugues Nancy, rélisateur

à franceinfo

Le basculement de la paysannerie vers l'usine dès la fin du XIXᵉ siècle nous avait beaucoup frappé. Mais on a aussi la conviction qu'il y a un paradoxe ouvrier en France. C'est à la fois une catégorie qui a eu un rôle très important économiquement, politiquement, socialement et qu'on a pratiquement oublié aujourd'hui, c'est-à-dire que non seulement on a un peu oublié leur histoire, mais on a l'impression aussi qu'ils ont disparu et c'est ce paradoxe-là qu'on voulait montrer.

Il y a encore cinq millions d'ouvriers en France.

Un Français sur cinq, un homme sur trois au travail est considéré comme ouvrier. Mais on nous a tellement dit qu'il y avait des délocalisations, que des usines avaient fermé. On nous a tellement montré que les unes étaient détruites qu'on a ce sentiment que les ouvriers n'existent plus, que c'est de l'histoire ancienne. Ils sont nombreux dans ce pays et ils ont l'impression qu'on ne parle pas d'eux.

"Il y a eu une invisibilité des ouvriers dans les médias, mais aussi dans nos récits et sans doute dans les discours politiques. Je crois que le message qu'ils veulent faire passer, c'est que les partis politiques ne semblent plus s'adresser à eux alors qu'ils sont un nombre très important dans notre pays."

à franceinfo

Hugues Nancy , réalisateur

Vous, vous êtes allés tourner à l'intérieur des usines. Ça a été facile de se faire ouvrir les portes par les entreprises ? 

Non, pas toujours facile. Je vous le disais tout à l'heure, c'est de montrer aux Français qui vont regarder le film ce soir, oui, les ouvriers, ça existe encore, il faut les montrer. Il fallait qu'on voit qu'on fabrique encore de la porcelaine à Limoges, qu'il y a encore des sardinière à Douarnenez dans les conserveries, qu'il y a des chaînes d'automobiles chez Renault avec beaucoup de gens qui travaillent pour fabriquer une voiture. Voilà, il fallait que ça se voit, comme chez Michelin ou dans le textile également.

Dans le documentaire, on voit le témoignage de deux ouvriers entrés très jeunes, 14 ans, déjà à l'usine, dans une aciérie et qui témoignent de la pénibilité, du danger et de la peur ?  

Paradoxalement, c'était un énorme progrès puisqu'on le raconte au début du film. Les enfants, dès l'âge de cinq ans, ont été embauchés. Il y en avait beaucoup et cela représentait 20% de tous les ouvriers dans la deuxième moitié du XIXᵉ siècle. Parce qu'ils étaient petits. Dans le textile, ils pouvaient aller sous les machines, derrière les machines. Donc c'était en plus des conditions de travail particulièrement difficiles. En fait, la Révolution industrielle, c'était un peu la jungle dans les entreprises. Il a fallu qu'il y ait des règles qui soient établies et la première loi sociale de notre pays avant qu'il y ait un ministère du Travail, a été d'interdire le travail des enfants si tôt. Cela a été un long combat. Il y a eu plusieurs étapes et on a fini par l'âge de 13 ans, en 1892, avec l'idée qu'il fallait avoir un certificat d'études pour être embauché. Et à partir du moment où il y avait cette règle, on a embauché les jeunes juste après et pendant très longtemps en France, on a travaillé à partir de 14 ans. Tous ces ouvriers que l'on a interrogés ont été marqués par leur entrée dans le monde du travail à 14 ans et c'est vrai que ça nous a beaucoup frappés. Quand on a des enfants, comme c'est mon cas, c'est vrai que c'est un peu troublant. Donc c'est une parole qui est très forte. 

Ce qui ressort des témoignages dans votre film et de tous les témoignages, c'est la fierté d'être ouvrier et même l'amour de ce métier. 


Avec Fabien Béziat, ce qui nous a beaucoup frappés et ce qu'on trouve assez beau, c'est cette ligne de crête un peu étonnante où on est entre la difficulté du métier, vous avez parlé de la pénibilité, des accidents du travail, beaucoup d'ouvriers sont morts au travail, et en même temps, à chaque fois la fierté d'un savoir-faire, la fierté d'avoir appartenu aussi à ce qu'on appelait la classe ouvrière. C'est un sentiment d'appartenance collective donnait aussi la force de se battre et le fait d'avoir l'impression d'appartenir à un groupe. Ce qui nous a le plus frappé, c'est que des mineurs de charbon puissent raconter la peur et en même temps, ils disent : Si demain ça recommençait eh bien j'y retournerais et c'est un paradoxe, mais c'est un peu une ambivalence qui est un peu dans chacun d'entre nous aussi.

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