Mort de Jean-Pierre Elkabbach : "C’était l’une des premières stars de la télévision", selon le journaliste Patrice Duhamel
Le journaliste et ancien directeur général de France Télévisions et de Radio France, Patrice Duhamel a côtoyé une cinquantaine d’années Jean-Pierre Elkabbach, qui est décédé mardi 3 octobre 2023. Que ce soit dans un cadre privé comme professionnel, le frère d’Alain Duhamel, avec qui Jean-Pierre Elkabbach a présenté "Cartes sur table", se confie sur celui que tout le monde salue et qualifie de "monstre sacré du journalisme français". Il revient sur cette proximité que Jean-Pierre Elkabbach cultivait avec les personnalités politiques de premier plan qu'il interviewait.
franceinfo : Quels liens aviez-vous avec Jean-Pierre Elkabbach ?
Patrice Duhamel : Amicaux, professionnels, nous avons travaillé un peu plus de 18 mois ensemble sur la Cinq dont j'étais directeur de l'information et où il avait une émission le dimanche.
Vous l'avez côtoyé pendant très longtemps !
Pendant 50 ans à peu près. Et je trouve que l'expression "monstre sacré", ça lui va parfaitement bien parce que c'était une star et c'était peut-être l'une des premières stars de la télévision avec Léon Zitrone.
Pourquoi dites-vous cela ?
Parce qu'il était ainsi. Je crois qu'il avait envie d'être une star en même temps et on parle souvent de son duo dans l'émission "Cartes sur table" avec mon frère aîné, Alain Duhamel, qui, est l'antistar. Ils ont quand même pris leur petit-déjeuner ensemble trois ou quatre fois par semaine pendant 50 ans. Ça crée des liens.
Il était très ému ce matin chez nos confrères de France Inter ? Il a dit : "Quand j'ai appris sa disparition, je me suis senti un peu mort".
Oui, absolument. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais la mort était un des sujets dont parlait souvent Alain et Jean-Pierre Elkabbach. Ils avaient des points de vue très différents. Jean-Pierre Elkabbach en parlait aussi avec François Mitterrand. En particulier quand il faisait ses virées tout à fait singulières, le samedi. Il a emmené Jean-Pierre et mon frère Alain en hélicoptère à Vézelay une bonne quinzaine de fois pendant sa présidence. Ils déjeunaient et après ils parlaient un peu de politique, beaucoup de littérature et surtout de la mort.
Nouer une relation intime avec un président de la République, François Mitterrand, aujourd'hui, ce serait impossible.
Oui, mais cela n'empêchait pas Jean-Pierre Elkabbach de faire une interview pugnace comme à l'automne 1994, après le bouquin de Pierre Péan sur le passé de François Mitterrand sous l'Occupation. C'était une interview extraordinaire, culte à laquelle Jean-Pierre Elkabbach réfléchissait, dont il rêvait depuis des années, il m'en avait parlé, il m'a dit : "Mais il faudra que je trouve le moyen un jour d'interviewer Mitterrand sur son passé au début des années 40".
C'est pour cette interview que François Mitterrand a dit : "Je veux que ce soit Jean-Pierre Elkabbach ou personne" ?
Il était président de France Télévisions à l'époque donc il était totalement dans les hautes sphères, il était journaliste puisqu'il avait encore sa carte de presse, mais il n'était plus journaliste actif. François Mitterrand lui a dit : "Je veux bien répondre à la polémique sur le bouquin de Péan. J'ai des choses à dire sur mon passé sous l'Occupation, mais je veux que ce soit vous". Finalement, ça s'est fait dans des conditions tout à fait extraordinaires parce que quand il est arrivé à l'Élysée, Mitterrand était allongé sur un lit, il allait très mal. C'était en octobre novembre 1994. Il allait quitter l'Élysée quelques mois plus tard. Les médecins le remettent un peu sur pied. Ils vont dans le studio et Jean-Pierre, qui m'a raconté cet épisode, qui était très important pour lui, plusieurs fois, disait toujours la même chose : "C'était extraordinaire parce qu'au début, Mitterrand était d'une faiblesse incroyable et puis plus on avançait, plus il me pompait mon énergie et plus moi je me fatiguais". Et à la fin de l'interview, je ne dirais pas que Mitterrand était en pleine forme, mais il était un peu revigoré alors que Jean-Pierre était complètement épuisé. Je conseille à vos auditeurs de le revoir sur Internet, c'est un très grand moment de télévision du XXᵉ siècle.
Aujourd'hui, cette connivence avec le pouvoir serait impossible. Jean-Pierre Elkabbach aimait le pouvoir et les puissants ?
"Je ne sais pas si c'est de la connivence, parce qu'il avait beaucoup de proximité avec beaucoup d'hommes politiques, mais quand il les interviewait, il posait les vraies questions. "
Patrice Duhamelà franceinfo
Ce n'est pas qu'il aimait... Il adorait le pouvoir ! Il adorait le pouvoir comme intervieweur parce qu'il voulait obtenir des choses qui faisaient bouger la vie politique. Il aimait le pouvoir pour l'exercer à travers ses interviews, puis comme patron de France Télévisions, d'Europe1. Et il aimait le pouvoir aussi parce que quand il allait voir pour les interviewer des chefs d'État étrangers Gorbatchev, Poutine, El-Sadate, etc., soit tout seul ou soit avec mon frère pour 'Cartes sur table", il faisait souvent passer des messages. Il disait à ces grands chefs d'État : "Mais j'ai un message pour vous du président de la République". Il avait envie de participer au pouvoir.
Avec la disparition de Jean-Pierre Elkabbach, est-ce, comme l'a dit François Hollande, "Une page de la vie politique qui se tourne" ?
Oui et de l'interview politique parce qu'il a vraiment apporté quelque chose. Ce qui était très spectaculaire, c'était sa capacité de travail. C'était incroyable. La veille de ses interviews, quand il était le matin à Europe 1, tard le soir, il téléphonait, il parlait avec les personnalités qu'il allait interviewer. Ce qui peut paraître étrange. Moi, ça ne me choquait pas à partir du moment où l'interview se faisait vraiment de manière archi-professionnelle. Il préparait cela avec les interviewés. C'était une manière de travailler qui était singulière, mais il obtenait vraiment beaucoup de choses de toutes ces personnalités.
Retrouvez cette interview en vidéo :
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