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Familles de jihadistes au Kurdistan syrien : "L'État français doit prendre ses responsabilités"

Invitée lundi sur franceinfo, maître Marie Dosé défend deux femmes et sept enfants détenus au Kurdistan syrien. Elle demande à l'État français d'arrêter de mener une politique de "l'autisme jusqu'au-boutiste" et de prendre ses responsabilités.

Article rédigé par franceinfo
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Marie Dosé, lors d'une conférence de presse le 26 avril 2018. (THOMAS SAMSON / AFP)

Un collectif d'avocats de familles de jihadistes de Daech détenues au Kurdistan syrien a déposé plainte avec constitution de partie civile pour contraindre l'État français à se préoccuper de leur sort. Invitée lundi 14 mai sur franceinfo, maître Marie Dosé défend deux femmes et sept enfants détenus au Kurdistan syrien. Elle demande à l'État français d'arrêter de mener une politique de "l'autisme jusqu'au-boutiste" et de prendre ses responsabilités. Pour Marie Dosé, les femmes et les enfants qu'elle défend doivent être rapatriés en France : "Les Kurdes ne veulent pas les prendre en charge." Elle ajoute : "Je ne peux pas vous dire qu'elles ne représentent aucun danger, je n'en sais absolument rien. Ce que je sais, c'est qu'entre les mains des Kurdes qui n'en veulent pas elles vont finir par devenir une monnaie d'échange."


franceinfo : vous demandez que ces femmes soient jugées en France, est-ce que pour vous aujourd'hui l'État français pratique la politique de l'autruche ?

Marie Dosé : oui et même la politique de l'autisme, pour être beaucoup plus claire. D'abord parce que le Kurdistan syrien n'existe pas, il n'a pas d'existence légale, ensuite parce que les Kurdes ont clairement signifié aux autorités françaises qu'ils ne voulaient pas juger ces femmes, d'ailleurs leur jugement n'aurait aucune existence légale, mais de surcroît les Kurdes ne veulent plus les prendre en charge et demandent à l'tat français de prendre ses responsabilités. L'État français ne répond pas, ni aux demandes de rapatriements, ni aux miennes qui ne concernent que des enfants et pour certains des nourrissons (un an, un an et demi). Voilà, on est face à un État qui décide de ne pas prendre ses responsabilités, qui préfère surfer sur une vague assez populiste qui consiste à faire croire que notre sécurité dépend de leur non-retour alors que c'est le contraire, puisque finalement les Kurdes vont finir par ouvrir les portes de ce camp et soit laisser ces femmes et ces enfants errer dans une zone de guerre, soit leur dire de repartir par d'autres moyens que les voies légales. C'est de l'irresponsabilité politique.

Combien y a-t-il de femmes et d'enfants français détenus dans ces camps kurdes ?

Nous n'avons pas de chiffre exact. J'ai pu rencontrer certains journalistes qui se sont rendus sur place et qui ont pu discuter avec elles. S'agissant du camp de Roj au Kurdistan syrien, il y a plusieurs dizaines d'enfants et de femmes de nationalité française mais il y a beaucoup de nationalités et ce que me disent mes clientes, c'est que le Canada a trouvé un accord et les Canadiennes sont reparties chez elles. La Russie aussi a trouvé un accord. Certains pays européens ont amené des représentants des Etats au sein de ce camp pour pouvoir négocier le rapatriement. En France, il ne se passe strictement rien.

Selon vous, ces femmes pourraient être jugées en France et leurs enfants seraient confiés à des familles d'accueil ?

Ce n'est pas qu'elles pourraient, elles sont toutes sous le coup d'un mandat d'arrêt, elles sont toutes sous le coup d'une procédure judiciaire pour association de malfaiteurs alors qu'au Kurdistan syrien, rien. Il n'y a pas de titre de détention, elles ne sont accusées de rien puisque les concernant, l'infraction d'association de malfaiteurs ne s'applique pas, c'est pour ça que les Kurdes ne veulent pas les juger. Ils ont autre chose à faire. Bien évidemment, les juges d'instruction attendent que ces femmes rentrent en France pour les mettre en examen et les placer en détention provisoire et pour que les enfants soient placés par l'Ase [l'Aide sociale à l'enfance] pour soigner les cicatrices des traumatismes puis vérifier aussi qu'ils ne présentent pas de potentiel dangereux. C'est notre responsabilité, notre histoire que de les prendre en charge judiciairement.

La menace est encore forte, en témoigne cette attaque à Paris samedi soir, pensez-vous que dans ce contexte les autorités accepteront de prendre le risque - de leur point de vue - de rapatrier ces femmes qui peuvent représenter un danger ?

C'est justement parce que la menace existe, c'est justement parce que ces femmes on ne sait pas si elles sont dangereuses ou pas. Moi je suis leur avocate mais je ne les connais pas, je ne peux pas vous dire qu'elles ne représentent aucun danger, que ces femmes regrettent leurs agissements ou d'avoir rejoint Daech, je n'en sais absolument rien. Ce que je sais, c'est qu'entre les mains des Kurdes, qui n'en veulent pas, elles vont finir par devenir une monnaie d'échange, ils les menacent déjà de les renvoyer à l'État islamique. Est-ce que c'est comme cela qu'on va gagner en sécurité ? Bien sûr que non. C'est justement parce que la menace persiste qu'il faut les rapatrier et les judiciariser là où la justice a du sens et les moyens de savoir si elles sont encore dangereuses ou pas.

Il y a eu des plaintes contre X déposées auxquelles le parquet de Paris n'a pas donné suite, vous avez ensuite - avec ce collectif - porté plainte avec constitution de partie civile pour obtenir la nomination d'un juge d'instruction, où en êtes-vous aujourd'hui ?

On attend la désignation du juge d'instruction. La plainte est très claire, ces femmes sont en détention arbitraire, nous alertons depuis des mois les autorités sur ce caractère arbitraire, les autorités ne font rien. Il y a trois mois, on expliquait que les Kurdes ne voulaient pas et n'allaient pas les juger, le gouvernement français nous répondait que 'si les autorités locales kurdes allaient être en mesure de le faire', aujourd'hui ça y est, ce qu'on disait se confirme et pourtant la position française c'est l'autisme jusqu'au-boutiste.

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