Fabrice Fries, PDG de l’AFP : "Notre seul parti pris est celui des faits"

L’agence française d’information, parmi les trois plus grandes au monde, est sous le feu des critiques pour sa couverture de la guerre entre le Hamas et Israël.
Article rédigé par Célyne Baÿt-Darcourt
Radio France
Publié
Temps de lecture : 93 min
Fabrice Fries, le PDG de l'AFP. (franceinfo)

Fabrice Fries est le président-directeur général de l’Agence France-Presse (AFP), une des plus grandes agences mondiales d'information. L'AFP est présente dans plus de 150 pays en six langues avec 2 400 collaborateurs. Elle publie 4 000 dépêches par jour, mais aussi des photos, des vidéos destinées essentiellement, aux médias. Elle est au cœur d'une polémique depuis le déclenchement de la guerre au Proche-Orient, critiquée pour un présumé manque d'impartialité.

franceinfo : Combien de journalistes de votre agence sont présents dans la bande de Gaza et en Israël ?

Fabrice Fries : Aujourd'hui, nous avons une soixantaine de journalistes dans la région pour des textes, des photos et des vidéos. En temps normal, nous avons un bureau à Jérusalem avec 20 salariés. À Gaza, nous avons neuf salariés, dont sept journalistes et à Ramallah, quatre. Et des envoyés spéciaux viennent s'ajouter pour renforcer cette équipe.

Est-ce qu'il s'agit du plus gros "contingent" envoyé par l'AFP pour couvrir une actualité ?

En ce moment, nous avons de manière permanente 35 journalistes en Ukraine, donc l'effectif est plus important pour couvrir le conflit entre Israël et le Hamas.

Est-ce le conflit le plus difficile que l'AFP ait eu à couvrir ?

C'est ce que disent tous les rédacteurs en chef de tous les grands médias internationaux qui se réunissent entre eux. Ils ont des groupes de conversations WhatsApp et je sais que, pour beaucoup, c'est une sorte de thérapie de groupe tellement c'est difficile.

Est-ce que c'est dû au danger ? À la manipulation de l'information ?

Un peu tout ça, mais surtout de la charge historique et passionnelle de ce conflit qui traverse ce pays depuis maintenant 70 ans et qui oppose les Israéliens aux Palestiniens.

"C'est un conflit extrêmement passionnel, donc il est normal que ça résonne dans les rédactions."

Fabrice Fries, PDG de l'AFP

à franceinfo

Ça raisonne également au sein de l'AFP. Est-ce qu'il y a des tensions ou en tout cas des débats, peut-être vifs, entre certains journalistes de l'AFP ?

Les deux. Mais nous avons des tensions et des débats sur tous les grands sujets, donc c'est normal dans ce cas-là. Notre rôle, c'est de rester sur notre ligne qui n'est pas toujours comprise. Le métier d'agencier n'est pas très connu, précisément parce qu'on ne s'adresse pas au grand public. Notre rôle, c'est de fournir aux journalistes des médias, de l'information brute, primaire et ce que vous voulez, ce sont des faits corroborés par des sources précises et de la mise en contexte.

Sauf que les dépêches de l'AFP se retrouvent parfois telles quelles sur Internet.

Oui, c'est un hommage qui nous est rendu. Mais si le rôle des médias n'était que ça, vous n'existeriez pas. Le rôle des médias, c'est d'avoir une ligne éditoriale, d'apporter un commentaire, de faire des éditoriaux, des papiers qualitatifs à très haute valeur ajoutée. Nous à l'AFP, notre rôle, c'est d'apporter cette information primaire vérifiée, ce qui est aussi très important dans le contexte de désinformation massive que nous vivons.

Pour vous, c'est un commentaire de dire que le Hamas est un groupe terroriste ? Ce que l'AFP refuse de faire.

C'est un qualificatif et donc depuis 20 ans, la règle interne de l'agence, c'est de ne pas utiliser ce qualificatif.

Pour personne, pour aucun groupe ?

Pour aucun groupe, aussi horrible, soit-il. On ne l'a pas utilisé pour Al-Qaïda, pour Daesh, pour Boko Haram. Donc c'est une règle qui est très connue à l'agence, qui n'est absolument pas contestée et qui est bien connue de nos clients médias. Mais je comprends que ce soit difficile de faire comprendre ça au grand public, surtout dans ce contexte très émotionnel.

Mais pourquoi cette règle ?

Cette règle parce que précisément, notre rôle est d'apporter des faits et de ne pas les qualifier. C'est votre rôle, vous, médias, de les qualifier. Le Hamas, c'est un fait, ce n'est pas mon jugement comme citoyen, mais là, vous interrogez le responsable d'une agence de presse, le Hamas n'est pas considéré comme une organisation terroriste urbi et orbi.

Il est qualifié d'organisation terroriste par l'Union européenne, la France, les États-Unis.

Donc, c'est exactement ce que nous disons quand nous parlons du Hamas. Nous disons que le Hamas, qualifié d'organisation terroriste par l'Union européenne, Israël, les États-Unis et quelques autres, parce que nos clients sont les médias du monde entier. Certains médias diront d'eux-mêmes et, ça ne nous pose naturellement aucun problème, que le Hamas est un groupe terroriste. D'autres reprendront notre définition ou d'autres le définiront comme un mouvement islamiste palestinien.

Est-ce qu'il y a eu des débats sur cette règle-là ?

Aucun. Cette règle est très bien comprise, c'est pour cela qu'on a été un peu médusés de voir l'ampleur qu'avait prise cette polémique.

Le 17 octobre dernier, vous avez pris pour argent comptant une affirmation du Hamas selon laquelle des centaines de personnes auraient été tuées dans une frappe israélienne contre un hôpital. Or, à ce jour, rien ne permettait de savoir qui avait tiré ce missile, on n'en connaît d'ailleurs toujours pas l'origine. Là, vous avez relayé une fake news d'un groupe qui venait de tuer des centaines d'Israéliens. Comment pouvez-vous donner crédit à une telle information et la donner sans l'avoir vérifiée surtout ?

Alors on a donné la source qui était le Hamas. C'est très important. On ne l'a pas donnée comme un fait établi. On aurait dû dire que nous n'avions pas eu les moyens de vérifier par nous-mêmes cette information. Ça, c'était une erreur. Nous avons très vite demandé à la partie israélienne de commenter. Ils nous ont dit dans le quart d'heure qu'ils allaient revenir vers nous. Ils ont mis trois heures à revenir en démentant. Entre-temps, l'information était partie.

"Il se trouve que moi j'étais ce jour-là au Liban et je voyais tous nos collaborateurs qui regardaient sur les réseaux sociaux cette nouvelle que nous n'avions comme agence pas encore donnée."

Fabrice Fries, PDG de l'AFP

à franceinfo

La difficulté de l'agencier sur le terrain, c'est la pression du temps réel.

Est-ce que vous avez fait évoluer vos règles depuis ce que vous qualifiez comme une erreur ?

Bien sûr, sur ces attributions, on a plutôt rappelé les règles de "sourcing" qui sont inhérentes à tout travail d'agence.

Comprenez-vous que certains puissent ne plus vous faire confiance, doutent de votre crédibilité et donc de votre impartialité ?

Je pense qu'ils ont tort. Ils devraient au contraire apprécier ce travail extrêmement précieux que fait l'agence qui ne peut pas prendre parti. Son seul parti pris, c'est celui des faits. C'est un travail extrêmement difficile et précieux et on devrait être fiers, y compris en France, du travail fantastique qu’accomplissent les journalistes sur le terrain, parce qu'ils le font dans des conditions extrêmement difficiles.

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