Enfants de jihadistes français encore détenus en Syrie : "On préfère faire comme s’ils n’existaient pas", pointe la journaliste Hélène Lam-Trong
La journaliste et réalisatrice indépendante, Hélène Lam Trong, vient tout juste de remporter le prix Albert-Londres de l’audiovisuel pour son documentaire Daesh, les enfants fantômes diffusé sur France 5 et toujours accessible en Replay. Elle y raconte cinq ans de combat de plusieurs familles pour récupérer plus de 300 enfants français aux mains de Daesh, dans des camps en Syrie.
franceinfo : parmi les témoignages que vous avez recueillis, celui de Karim dont les trois enfants ont été enlevés par sa femme. Sans nouvelles d'eux depuis deux ans, il a envisagé d'aller les chercher lui-même et regrette que l'inaction de l'État. Il se sent abandonné. Cette incompréhension, ce sentiment d'injustice que pointe ce papa est exemplaire ?
Hélène Lam Trong : Exemplaire, je ne sais pas. Mais ce qui est vrai, c'est que ces enfants sont un problème parce que leur absence est un problème pour ceux qui les aiment. Il n'y a que ceux qui se soucient de ces enfants, qui essaient de porter leur voix dans les médias, les journalistes qui suivent un petit peu le sort qui leur est fait depuis des années, qui font que ces enfants sont un problème. Autrement, on préfère faire comme s'ils n'existaient pas. Et ça dure depuis longtemps.
Vous avez aussi suivi des grands-parents de deux enfants qui ont eu la chance d'être rapatriés en janvier 2023. Comment l'État français choisit-il aujourd'hui les enfants qu'il fait revenir sur son sol ?
Pendant longtemps, il y a eu ce qu'on a appelé une politique du cas par cas. Le problème, c'est qu'on n'a jamais dit dans quel cas on ramenait les enfants et dans quel cas, on ne ramenait pas les enfants. De fait, au début, immédiatement après la guerre, il était question de ramener tout le monde, les enfants, les femmes et même les hommes. Finalement, la première opération du rapatriement n'a concerné que des orphelins, des enfants dont la maman était décédée et dont le père était soit décédé, soit en prison. Petit à petit, au compte-gouttes, il y a eu des retours de familles dont la mère était très malade ou qui était volontaire pour rentrer. Mais on était à chaque fois sur des dizaines d'enfants, quelques dizaines de femmes, pas plus. On n'a jamais su pourquoi certains avaient été laissés des années et d'autres ramenées très tôt.
"Aujourd'hui, l'État français ne fait plus revenir d'enfants sur son sol."
Hélène Lam Trong réalisatrice du documentaire "Daesh, les enfants fantômes"à franceinfo
Il y a donc de l'arbitraire dans les décisions françaises ?
Complètement. Et le gouvernement s'en défendra. Mais la vérité, c'est que comme on ne sait pas dans quel cas on ramène les enfants et dans quel cas on ne les ramène pas, effectivement, on peut considérer que c'est complètement arbitraire.
La France est l'un des seuls pays européens à ne pas avoir rapatrié ses enfants prisonniers de Daesh. Comment l'explique-t-on ?
Ce n'est pas vraiment un des seuls pays européens à ne pas l'avoir fait, c’est le pays européen qui a le plus de ressortissants encore sur place. Il y en avait environ 300 au départ et il en reste une centaine. On est le pays européen qui a eu le plus de femmes et d'enfants, et aussi d'hommes qui ont quitté la France pour aller en Syrie.
L'opinion publique pèse aussi dans le fait que la France ait du mal à accepter ce retour ?
Ça pèse énormément. C'est un problème parce que ces enfants existent, parce que ces enfants sont français et ils ne cesseront ni d'exister ni d'être français. Quel est le projet pour eux ? Pour l'instant, ils sont encore petits, bien qu'ils grandissent à mesure que les années passent. Mais que va-t-il se passer quand ils seront majeurs ? Ils sont aujourd'hui incarcérés avec leur mère parce qu'ils sont mineurs et qu'on considère que c'est elle qui est responsable d'eux. Mais quand ils seront majeurs, que va-t-on faire de ces enfants ? Va-t-on les empêcher de revenir sur le territoire français ? Pourra-t-on même le faire ? Et puis, dans quel état reviendraient-ils si tel était le cas ?
Précisément, que sait-on de la manière dont ils sont traités ? Comment vivent ces enfants qui restent aujourd'hui emprisonnés en Syrie ?
Il n'y a pas beaucoup de mystère sur la manière dont ils sont traités, puisque depuis quelques années maintenant, les journalistes français, qui longtemps ont été empêchés d'entrer dans ces camps, ont pu y aller. Pour ce film, on y est allés. Ces enfants, dans les camps syriens, sont en prison. Alors il n'y a pas de mur, ce sont des tentes, mais il y a des barbelés. Ils sont dans un espace réduit dont ils ne peuvent pas sortir.
"Ils ne sont pas scolarisés et surtout ils n'ont aucune perspective. On a des enfants qui sont condamnés, sans avoir eu de procès, à rester quelque part sans savoir jusqu'à quand cela va durer."
Hélène Lam Trongà franceinfo
Sait-on, pour ceux qui sont rentrés, comment ils sont réintégrés sur le sol ? Et travaillez-vous aussi sur cette matière pour un prochain documentaire ?
C'est une matière qui est très difficile à manier parce que c'est très sensible et parce que ces enfants-là, une fois qu'ils sont rentrés, ils ont surtout besoin d'être protégés. Mais on sait qu'aucun de ces enfants n'a posé de problème majeur. Ça ne veut pas dire qu'ils vont tous très bien, mais aucun n'a posé de problèmes de sécurité, y compris les ados, et c'est important de le dire. Leur suivi, aujourd'hui, est comme celui de la plupart des enfants pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance, à la grande différence quand même qu'ils sont aussi suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) comme des enfants criminels. Ça aussi, ça peut poser des questions. Je ne suis même pas sûre qu’un documentaire sur ce sujet soit faisable et je ne suis pas sûre non plus que ce soit bien pour eux. Donc si jamais documentaire il y avait, ce serait fait avec beaucoup, beaucoup de précautions.
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