Le soldat inconnu d’Anna Hope
Comme Pierre Lemaître, elle s'intéresse à l'après-guerre, précisément pendant les cinq premiers jours de novembre 1920, quand tout le pays attend l'arrivée du soldat inconnu, rapatrié de France. Anna Hope donne la parole à trois femmes, qui ont vécu enfermées dans le silence. Il y'a Evelyn qui a perdu son fiancé, Ada, hantée par le fantôme de son fils mort au combat et Hettie, dont le frère revenu du front s'enferme dans le mutisme. Chacune vit différemment ces journées, les récits se croisent, c'est brillamment construit, pétri d'humanité et la montée en puissance du récit culmine avec l'arrivée du soldat inconnu. La foule est immense de Douvres à Londres, où le cercueil rejoint l'abbaye de Westminster. Il y a énormément de femmes dans cette marée humaine, mères, sœurs, veuves, ce qui pour Anna Hope signifie beaucoup. Cette journée particulière est une catharsis collective, nécessaire moment vers le deuil rendu enfin possible. En France et en Belgique d’immenses cimetières militaires témoignent du sacrifice de tous ces soldats anglais, que la majorité des familles ne peuvent visiter, faute de moyens. L’arrivée du soldat inconnu vient soulager un tant soit peu cette douleur immense, Anna Hope nous plonge dans ce chagrin mais aussi dans cette vie qui renait, doucement.
C'est l'autre récit de ce roman, Hettie, l'une de ces trois femmes, travaille au Hammersmith Palais, un dancing célèbre de Londres, pour six pence, elle fait danser des hommes, abimés par la guerre, alors que pendant quatre ans, les femmes ont tenu le pays, souvent des usines d'armement, les rapports homme-femme changent à ce moment-là et ça passe par le corps. Ils ont le visage déformé, parfois une prothèse en guise de jambe, leur masculinité en a pris un coup, alors que les femmes ont changé. Leurs cheveux sont coupés court, leurs poitrines serrées dans des bandages, elles sont garçonnes, c’est la question du genre qui étonnement s’invite dans ce récit. Le lecteur réalise à quel point l’après première guerre mondiale annonce des changements dans la société anglaise, jusque-là si corsetée, dont l’écho nous parvient aujourd’hui.
"Le chagrin des vivants" d'Anna Hope, chez Gallimard
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