Images à charge : comment la photographie est devenue pièce à conviction
Inutile de chercher, vous ne trouverez dans les allées de l'exposition aucun nom nom d'artiste, aucune référence à des photographes célèbres. La direction du BAL, lieu d'art situé dans le 18e arrondissement de Paris, a décidé de faire la part belle à l'image comme document, comme pièce à conviction dans les enquêtes criminelles et autres grands événements de notre société.
Dans une scénographie aérée, agrémentée de textes explicatifs très complets, le visiteur découvre sur deux étages comment, depuis son apparition jusqu'à nos jours, la photographie a été utilisée par des experts pour prouver un fait, qu'il s'agisse d'un crime ou plus globalement d'un événement violent. Ces experts, ce sont en quelque sorte les précurseurs de la série télé américaine du même nom. Ceux qui ont très vite perçu le potentiel d'utilisation de l'image dans le cadre des enquêtes criminelles.
Alphonse Bertillon, pionnier de la photographie de scènes de crime
Parmi ces pionniers, le français Alphonse Bertillon (1853-1914), chef du service photographique à la Préfecture de Paris. Ce dernier invente à la fin du XIXe siècle la photographie anthropométrique, qui précède l'empreinte digitale, puis la photographie "métrique" : il s'agit de réaliser le cliché de scènes de crime dans leur ensemble, avec le cadavre en son centre, grâce à un appareil dit "plongeur" positionné à l'aplomb de la victime. Quelques une de ses photographies viennent pour la première fois jusqu'au regard des visiteurs, elles sont pour le moins saisissantes.
L'élève d'Alphone Bertillon, Rodolphe A. Reiss, poursuivra plus tard les travaux de son maître, en ayant l'idée d'immortaliser non plus seulement des plans larges synthétiques, mais aussi des détails, une trace sur un corps, des empreintes suspectes, ce que l'oeil nu est incapable de voir. On lui doit également la création du tout premier Institut de police scientifique, en 1909 à Lausanne.
Les travaux de Bertillon et Reiss inspirent très vite la justice, qui entrevoit la possibilité de confronter des accusés aux preuves photographiques de leurs crimes, comme l'explique Christine Vidal, la directrice adjointe du BAL.
"Il y a eu beaucoup d'avancées au niveau de la psychologie à la fin du 19e siècle, on s'aperçoit que le témoignage est beaucop plus subjectif, il peut oublier des choses, il est de l'ordre de la construction, et bien que la photographie soit de l'ordre de la construction elle aussi, on la considère comme beaucoup plus objective. Donc elle est utilisée par les tribunaux, et puis d'autre part, elle va être publiée. On va publier des enquêtes, on va essayer aussi de montrer en quoi elle peut suppléer toute valeur humaine. La photographie semble indiquer qu'elle peut excéder le visible, ce qui est abordable à l'oeil humain."
Le problème, c'est que l'image elle-même est trompeuse, sujette à interprétation. Elle nécessite donc une analyse scientifique transparente, la parole d'un expert. C'est ce que montrent les 11 cas emblématiques présentés dans l'exposition.
"On ne peut voir que ce que l'on obersve, et l'on n'observe que ce qui se trouve déjà dans notre esprit"
Le linceul de Turin est à ce titre très symbolique. Les photographies qui nous en sont parvenues constituent sans doute les première photographie de crime connues. Lorsque Secondo Pia, photographe amateur, présente ses clichés du tissu en 1898, c'est le choc : l'empreinte du visage et du corps d'un homme apparaissent sur les clichés. Immédiatement présenté comme le Saint-Suaire du Christ, il devient l'objet le plus étudié du XXe siècle. Jusqu'à ce que les experts déterminent bien plus tard, grâce à la datation au carbone 14, que le linceul datait du 13e siècle, et qu'il n'était pas contemporain du Christ, même si comme lui, il a bien été crucifié et flagellé.
La photographie n'est donc pas une preuve en soi, elle est contestable, et doit être contestée. Même lors du procès de Nuremberg, au cours duquel pour la première fois de l'histoire un grand écran est placé au centre du tribunal, les terribles images des horreurs nazies ont nécessité le travail d'un "expert" du cinéma, en l'occurence John Ford, pour être parfaitement comprises et assimilées, à la fois par les juges, et par les accusés.
Josef Mengele, le "bourreau d'Auschwitz" trahi par son crâne
De même, il a fallu convoquer la science (l'anthropoloque Clyde Snow, le photographe Richard Helmer) pour prouver que les ossements découverts au Brésil en 1984 étaient bien ceux de Josef Mengele, le "bourreau d'Auschwitz". "Il va y avoir une invention assez particulière ", poursuit Christine Vidal, "à savoir confrontation du pvisage photgraphié de Mengele lordqu'il était jeune, avec superposition de son crâne trouvé. Pour la première fois, c'est un objet, en l'occurence un crâne, qui va être convoqué pour justement témoigner de ce qui s'est passé. Et c'est l'expert qui va faire parler cet objet comme pièce à conviction, comme image à charge. L'idée était pour nous de montrer que l'image n'est pas un tout autonome, c'est quelque chose qui s'interprète " .
Dans une société moderne régie par l'image et par son commentaire, l'exposition du BAL offre au visiteur un salutaire et très didactique retour en arrière en forme de pied de nez à ceux qui pensent trop souvent que "l'image parle d'elle-même".
"Images à charge - la construction de la preuve par l'image", une exposition à découvrir au BAL, 6 impasse de la défense, Paris 18e.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.