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Histoires d'info. Débat Macron-Le Pen : le fact-checking historique

Les deux finalistes de l'élection présidentielle ont des conceptions radicalement différentes de l'Histoire. Le débat de l'entre-deux-tours, mercredi, l'a confirmé... avec quelques erreurs historiques au passage.

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Le débat de mercredi 3 mai 2017 entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. (STRINGER / AFP)

L'Histoire a été peu évoquée et peu convoquée par Marine Le Pen et Emmanuel Macron lors du face-à-face télévisé entre les deux candidats, mercredi 3 mai. Quand elle l'a été, elle a fait l'objet d'un débat. Voici un Vrai du faux historique.

Vichy et la France

Pendant le débat, Marine Le Pen interpelle son adversaire : "Monsieur Macron, on ne va pas avoir un débat juridique sur la rafle du Vel'd'Hiv", dit-elle. Emmanuel Macron lui répond : "Mieux vaut pas". Elle poursuit : "En l'occurrence, moi je considère que la France était à Londres. J'ai cette opinion qu'avait le général de Gaulle, qu'avait monsieur Mitterrand, qu'ont toute une série de gens qui considèrent que la France n'était pas coupable de cette épouvantable horreur mais qu'il s'agissait du régime de Vichy qui était responsable." Ce à quoi Emmanuel Macron réplique : "C'est faux sur le plan historique, c'est faux sur le plan politique, et Jacques Chirac l'a reconnu."

Marine Le Pen nie, ici, la responsabilité de la France dans la rafle du Vél’d’Hiv de juillet 1942. Elle fait référence à l’ordonnance du 9 août 1944 promulguée par le gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Cette ordonnance sortait le régime de Vichy de l’Histoire de France, considérant l’État français comme illégitime et proclamant, dans le même temps, que la République n’a jamais cessé d’exister, la France se trouvant autour du général de Gaulle à Londres.

Pour les gaullistes, la France ne pouvait être tenue pour responsable des actes commis sous le régime de Vichy puisque, précisément, Vichy ne représentait pas l'État français. C’était un impératif politique et géopolitique à la fin de la guerre. C’est dans cette tradition que tente de s’inscrire Marine Le Pen. Sans revenir sur l’illégalité du régime de Vichy, cette ordonnance de 1944 n’a jamais été abrogée. Elle est donc toujours en vigueur. Au sujet de la rafle du Vél’d’Hiv, Jacques Chirac a reconnu en 1995 la responsabilité de la police et de la gendarmerie françaises, donc de Français, dans la rafle. C’est dans cette tradition que s’inscrit Emmanuel Macron.

De Gaulle et l'Europe

"L'Union européenne aurait laissé la place à l'alliance européenne des nations libres et souveraines. C'est-à-dire, en réalité, la vision qui était la vision première de l'Europe", a déclaré Marine Le Pen pendant le débat de l'entre-deux-tours, mercredi. Réplique d'Emmanuel Macron : "Le général de Gaulle et le chancelier Adenauer ont su travailler ensemble. Ils l'ont fait, le 'avec', à une autre époque. Ils l'ont fait et ils ont construit cette Europe-là." Réaction, à nouveau, de Marine Le Pen : "Ils ne voulaient pas de cette Europe-là."

Revoilà le général de Gaulle. Il doit faire des sauts de cabri dans sa tombe de Colombey-les-Deux-Églises quand il voit qu’il est mis à toutes les sauces.

Ici, Marine Le Pen se trompe. Les pères fondateurs de l’Europe communautaire voulaient aboutir à des États-Unis d'Europe. La preuve : le préambule du traité de Rome de 1957 parle d'"établir les fondements d'une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens" et d'"assurer, par une action commune, le progrès économique et social de leurs pays, en éliminant les barrières qui divisent l'Europe".

En revanche, elle a raison sur un autre point : le général de Gaulle était pour une Europe des nations. Au pouvoir à partir de 1958, il a certes freiné la construction européenne mais on était loin d'un Frexit. Bien au contraire, le Marché commun, brocardé par Marine Le Pen, a été réalisé progressivement et achevé en 1968 quand de Gaulle était encore à l’Élysée.

La colonisation et la guerre d'Algérie

Emmanuel Macron a assuré, lors du face-à-face de mercredi avec Marine Le Pen qu'"il y a eu des drames durant cette guerre [d'Algérie] qui ont touché nombre de nos concitoyens. Je ne veux pas rester dans cette guerre des mémoires et il faut regarder les drames qu'il y a eu..." Il est alors coupé par son adversaire : "C'est vous qui avez rouvert ces plaies, monsieur", lui dit Marine Le Pen. Le candidat d'En Marche poursuit : "...et donc je ne suis ni dans la repentance, ni dans le déni parce qu'il y a eu des vrais crimes contre l'humanité."

Immense débat que celui de la colonisation. Très sensible. D’un côté, et c’est cela que Marine Le Pen veut défendre, il y a un idéal républicain proclamé : la diffusion de la civilisation française, avec des Français qui ont vécu des décennies dans les colonies et qui ne sont pas des criminels. De l'autre, et c'est ce que dénonce Emmanuel Macron, il y a la violence du fait colonial comme les déplacements de population, le travail forcé (environ 20 000 travailleurs africains sont morts lors la construction de la ligne de chemin de fer Congo-Océan entre 1921 et 1934) ou encore les massacres (ceux de Sétif, Guelma et Kherrata auraient causé la mort de dizaines de milliers de personnes en mai 1945 en Algérie).

Contrairement au débat sur les chiffres du chômage dans les années 1990, les débats historiques débouchent rarement sur un "vrai" ou un "faux". Ils dessinent des conceptions différentes, voire opposées du monde. A cet égard, ils méritent au moins autant notre attention.

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