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Guerre entre le Hamas et Israël : épisode spécial depuis Jérusalem

De retour à Jérusalem, Etienne Monin témoigne de la vie des Israéliens et des Palestiniens, de plus en plus déchirés depuis l'attaque du 7 octobre. La magnifique vieille ville pleure ces touristes qui ne sont pas revenus quatre mois après le choc de la guerre.
Article rédigé par Etienne Monin
Radio France
Publié
Temps de lecture : 16 min
Cette photo prise depuis le Mont des Oliviers montre une vue de l'enceinte de la mosquée Al-Aqsa et de son Dôme du Rocher dans la vieille ville de Jérusalem, le 20 février 2024. (AHMAD GHARABLI / AFP)

"La dernière fois que j'ai vu ce paysage, c'était il y a cinq ans, raconte Etienne Monin, de retour à Jérusalem pour une mission d'une semaine. À l'époque, j'étais correspondant pour Radio France à Jérusalem et à l'époque, je pensais que le conflit était en voie d'étouffement, qu'il allait tout doucement mourir de vieillesse, oubliée par les dirigeants des deux côtés israélien et palestinien, et puis négligé par les Occidentaux. Eh bien, nous voilà à nouveau ici."

Pour ce numéro spécial du podcast "Guerre au Proche Orient", Etienne Monin et Marc Garvenes se sont rendus dans la Vieille Ville de Jérusalem, "l'un des endroits les plus beaux, sans doute de Jérusalem". C'est à la fois un livre à ciel ouvert qui raconte toute l'histoire profonde de cette région, mais c'est aussi une cicatrice, un témoignage de l'occupation. À Jérusalem, on est loin du front. La vie a repris en quelque sorte son cours en novembre dernier, mais doucement. Par rapport à la ville qu'Etienne connaissait, tout est plus cher, les gens s'appauvrissent. Dans cette situation, les Palestiniens ne sont pas véritablement retournés travailler du côté israélien, dans la partie ouest. Et cette magnifique vieille ville pleure ces touristes qui ne sont pas revenus quatre mois après le choc de la guerre.

"Il y a eu tout un moment où tout était fermé. C'était vraiment Covid time", raconte Angela, une Française mariée à un Palestinien. Elle vit à Jérusalem depuis 20 ans et se considère comme une partie de cette grande mosaïque identitaire et culturelle qu'est Jérusalem. 

"Il y a un calme bizarrement assez glaçant parfois justement parce que c'est vrai qu'après le 7 octobre, on s'est vite dit que ça allait exploser un peu partout, ce qui au final, ne s'est pas passé."

Angela, une Française vivant à Jérusalem

"Maintenant, c'est un peu moins covid time parce qu'il y a des magasins ouverts, mais c'est assez mort quand même, puisque la vieille ville vit par les pèlerins et par le tourisme", explique-t-elle.

Un deuxième mur entre Israéliens et Palestiniens

Dans cette vieille ville, les Palestiniens cherchent désespérément les touristes, les juifs ultraorthodoxes marchent rapidement en direction du côté du mur des Lamentations. On voit aussi des militaires qui montent la garde, des groupes qui viennent quand même prendre connaissance de l'histoire du patrimoine de ce secteur. Les choses suivent leur cours. Mais ici, tout est codé et quand on parle aux habitants, on voit que le fossé s'est encore creusé. L'attaque du 7 octobre et la guerre ont séparé encore plus profondément les Palestiniens et les Israéliens. À Jérusalem, il y a comme un deuxième mur. Les Palestiniens se sentent encore moins visibles. Angela le ressent dans les petites choses de la vie, du quotidien, notamment quand elle va côté israélien dans les commerces. "Ce qui change, c'est qu'à chaque fois que tu rentres dans le magasin, ils vont tout de suite te parler de la situation alors qu'avant, on n'en parlait pas, jamais, témoigne-t-elle. Maintenant, quand je rentre dans le magasin, tout d'un coup, certaines personnes qui me connaissent ont besoin de tout d'un coup me parler de ce qui se passe et que c'est terrible."

Pour cette habitante de Jérusalem, ce qui émerge, "c'est beaucoup de souffrance. Mais du coup, ce sont des gens qui sont tellement traumatisés du 7 octobre qu'ils ne voient que leurs souffrances. Je ne suis pas là pour dire si c'est bien ou pas bien, ce n'est pas mon rôle, c'est juste une réalité."

"La souffrance de l'autre, quelle qu'elle soit, ne peut pas exister parce que la leur aujourd'hui est trop forte."

Angela, une Française vivant à Jérusalem

Angela tempère : "Ce n'est pas forcément la souffrance des Palestiniens à Jérusalem parce que la souffrance est moindre ici, mais il y a tout. Il y a des parties de cette terre où ils n'ont pas la même réalité de vie, où ils n'ont pas de passeport, où il faut des laissez-passer, où le passage aux checkpoints dure des heures, où le seul bus qui est arrêté est le bus des Palestiniens, c'est une interdiction de vivre, tout simplement. Dans la simplicité et de pouvoir aller où on veut, quand on veut, comme nous Français. C'est un autre état d'esprit en fait, ce qu'ils vivent de l'autre côté et c'est une résilience assez dingue."

Une incompréhension entre les deux camps

Clairement, les Israéliens sont encore sous le choc de cette faillite sécuritaire et cette stupéfiante violence dirigée contre les civils. Quatre mois après, l'opération militaire à Gaza fait figure de démonstration de force. Et même si les Israéliens ne savent plus trop où ils vont, cela apporte un repère dans une région à risque. "Je pense que de voir la mobilisation qu'il y a eue au sein de l'armée et la mobilisation de civils qui sont partis s'engager, je pense que oui, ça rassure et ça a ramené un calme, reconnaît Olivier Fitoussi. Il y a moins de tirs de roquettes et la situation dans le Sud s'est calmée". Ce photojournaliste au journal de gauche Haaretz vit à Jérusalem depuis 20 ans. Il a couvert la deuxième intifada. "On est en train de régler une partie du problème", juge-t-elle, ses deux appareils photos tout près de lui, comme s’il se préparait toujours au pire. Comme tout le monde, il n'a pas vu venir le 7 octobre.

"Il ne pourra pas y avoir de futur processus de paix, ou alors on ne pourra pas arriver à un accord quelconque tant qu'il y aura au sein des Palestiniens un groupe armé qui met la vie de nos civils en danger, estime-t-il. Pour moi, en tant qu'Israélien, ce n'est pas de les anéantir, c'est plus de les désarmer pour l'instant et surtout d'arrêter tous les responsables. Je pense que tant qu'il y aura des responsables du Hamas qui seront libres, on ne pourra encore une fois ne pas arriver à aucun accord de paix ou à aucune solution future. Le fait que les Israéliens et Palestiniens seront appelés à coexister, c'est un fait inné, on ne pourra rien y faire. Nous sommes là, les Palestiniens sont là."

"Je pense qu'aujourd'hui, chez les Israéliens, il y a un problème d'incompréhension du côté palestinien. Parce que ce qui s'est passé le 7 octobre au matin a très peu été dénoncé et je pense que ça a vraiment créé un clivage."

Olivier Fitoussi, photojournaliste israélien

"Si on prend même les Arabes de Jérusalem-Est, ils se sentent opprimés et aujourd'hui, ce ne sont pas eux qui sont opprimés, ce sont les Israéliens qui sont opprimés, juge le photojournaliste. Et là, il y a une incompréhension."

"Je n'ai pas envie de voir les Israéliens qui nous ont déçus"

Il est encore trop tôt pour pouvoir se parler entre Israéliens et Palestiniens. Chacun cultive sa douleur. Même les gens de gauche ont été bousculés dans leurs croyances. Ceux qui défendaient la solution à deux Etats ne savent plus trop s'ils peuvent faire confiance maintenant au camp d'en face et certains Palestiniens se sentent lâchés. "Personnellement, j'habite à Jérusalem et j'aimais bien aller dans le hall de ma villa parce que c'est un endroit palestinien de toutes les manières. Mon grand-père, il avait son premier hôtel avant 1948 qui s'appelait l'Hôtel Moderne et aujourd'hui je n'y vais plus", raconte Huda Imam. Avant le 7 octobre, cette figure du monde culturel à Jérusalem-est la partie annexée, était proche de ce qu’on appelle le camp de la paix qui combat l’occupation. "Je n'ai pas envie de voir les Israéliens qui nous ont déçus, complètement déçus, poursuit-elle. Donc oui, aujourd'hui, je n'ai pas envie de rencontrer des Israéliens ou de payer les Israéliens pour qu'ils puissent continuer le génocide à Gaza. Il n'y a plus de communication, mais c'est parmi beaucoup de gens que ce fossé s'agrandit. À l’époque, pendant que je travaillais à l'université, on avait quand même pas mal d'invasions et des incursions sur Gaza, mais sur aussi Naplouse, Jénine... Et on avait toujours la voix israélienne académique, artiste, le mouvement des Femmes en noir qui protestait pour que leur voix soit toujours présente contre le gouvernement israélien. Et elles n'étaient pas encore si radicales que maintenant. Aujourd'hui, on n'entend rien du tout."

"Les Palestiniens sont très déçus que la voix d'humanité qui existait parmi les Israéliens soit aujourd'hui complètement muette. On ne peut pas parler de dialogue quand on voit les enfants mourir de faim, ce n'est pas possible."

Huda Imam, comédienne palestinienne

Huda Imam a passé toute une vie à Jérusalem à organiser des actions culturelles. "L'Occupation israélienne m'a mise en prison à cause de ça, se souvient-elle. Il y a un amalgame dans leur tête, c'est-à-dire qu'ils pensent que tous les Palestiniens sont des terroristes. Je suis opposée à l'occupation, mais je ne suis pas nécessairement pour le Hamas ou le Jihad, le FLP [Front populaire de libération de la Palestine] ou même Fatah. Je peux être complètement indépendante politiquement. Les Palestiniens aujourd'hui, des gens normaux comme nous, on a besoin de vivre en paix, on a besoin de vivre en légalité sur notre terre."

Donner naissance à une nouvelle réalité ?

Après quatre mois de guerre, les ruines sont de part et d'autre de la frontière. A Gaza, ça saute aux yeux avec les bombardements. À Jérusalem, ça se devine dans la difficulté à envisager une relation pacifiée. Très vite, les diplomates ont ressorti la vieille solution à deux États, pourtant jugée incompatible aujourd'hui avec l'ampleur de la colonisation. Il n'y a pas encore d'horizon mais il y a le retour d'une réalité : le conflit israélo-palestinien reste béant et l'idée de la solution politique fait son retour après des années de gestion purement sécuritaire. "La centralité du conflit est maintenant très évidente, estime Ofer Zalzberg, un ancien de l'International Crisis Group. Les gens qui étaient désespérés revisitent le sujet. On ne peut pas dire que la même solution qui était proposée il y a 20 ans est nécessairement applicable aujourd'hui. Il faut l'adapter à la réalité d'aujourd'hui mais je pense qu'un discours à propos, pas des solutions dans le sens harmonique, mais des étapes qui peuvent donner naissance à une nouvelle réalité avec moins d'oppression, moins de violence, on voit que ça réapparaît et avec plus d'énergie."

"Nous sommes au stade du traumatisme collectif qui continue chaque jour, donc c'est trop tôt pour un discours public à propos de l'avenir."

Ofer Zalzberg, ancien de l'International Crisis Group

Selon lui, le dialogue n'est pas encore possible pour le grand public : "Actuellement, côté israélien, il y a moins de soutien pour un État palestinien et à l'idée que les Israéliens peuvent faire confiance aux sujets liés à leur sécurité, aux autres et en particulier aux Palestiniens. Et côté palestinien, il y a une plus forte volonté pour avoir un État et être indépendant, pouvoir se défendre. Mais c'est peut-être trop tôt pour poser des questions comme ça."

L'espoir aujourd'hui repose donc sur l'incroyable vitalité des deux sociétés. Des organisations travaillent déjà à essayer de retisser les liens. La période du Ramadan début mars, par contre, fera figure de test. C'est habituellement un moment de tension. Cette année, l'extrême droite israélienne souffle sur les braises pour tenter de faire dérailler le rapprochement. On aura donc tous un œil sur l'esplanade des Mosquées, également appelé le Mont du Temple pour les Juifs, redevenu, à la surprise générale, un point d'équilibre du Proche-Orient.

Dans cet épisode : Angela, Olivier Fitoussi, Huda Imam, Ofer Zalzberg
Réalisation : Etienne Monin, Marc Garvenes, Dimitri Paz et Pauline Pennanec'h

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