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Primaire écologiste : pourquoi le mot "radicalité" s’est-il imposé au centre des débats ?

Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Sandrine Rousseau et Yannick Jadot, deux candidats à la primaire écologiste en vue de la présidentielle 2022. (JOEL SAGET / AFP)

Yannick Jadot et Sandrine Rousseau se sont qualifiés dimanche 19 septembre, au second tour de la primaire écologiste en vue l'élection présidentielle en avril 2022. Le terme radicalité s’est imposé au centre des débats, mais il a peu de sens. Les deux candidats s’en revendiquent.

Sandrine Rousseau a imposé elle-même l’image d’une femme radicale et elle est volontiers qualifiée ainsi par les journalistes. Elle l’a réaffirmé une nouvelle fois au micro de France Inter lundi : "La situation est grave, on l'a vu tout l'été. Tout l'été, il y a eu des catastrophes climatiques majeures partout dans le monde. Donc aujourd'hui, la radicalité c'est une manière de nous protéger, de nous protéger nous, protéger nos enfants.

Face au dérèglement climatique, il faudrait revoir en profondeur le système économique et social capitaliste. Sandrine Rousseau revendique une radicalité sur le fond de ses propositions, ce serait la seule ligne à même de nous protéger.

Prôner la radicalité, une bonne stratégie pour remporter la primaire

Politiquement, dans le cadre d’une primaire, où il faut convaincre les militants de son propre camp, c’est un positionnement efficace. On se souvient qu’en 2017, Benoît Hamon et François Fillon avaient remporté les primaires de leur partis respectifs à savoir le Parti socialiste et Les Républicains, sur des lignes ancrées respectivement très à gauche et très à droite.

Yannick Jadot qui affiche un positionnement perçu comme plus modéré risque donc d'être mis en difficulté. Mais pour y faire face, il a trouvé une tactique simple : se revendiquer, lui aussi, comme radical. Il l’a répété lui aussi sur France Inter lundi : "Ce n'est pas un mot, la radicalité. Moi, ça fait trente ans que je suis écologiste : j'étais avec les paysans pour lutter contre le libre-échange, j'étais avec les femmes opprimées au Bangladesh, quand j'étais espionné par EDF, j'arrachais des OGM."

Moi la radicalité que je porte, c'est celle qui va conquérir le pouvoir, c'est la radicalité de gagner l'élection présidentielle.

Yannick Jadot

à France Inter

Yannick Jadot utilise ici une technique très classique : la définition rhétorique, qui consiste à redéfinir un terme pour le mettre à distance ou, en l’occurrence, s’en revendiquer. Cela lui permet de porter deux attaques à peine voilées contre Sandrine Rousseau. D’une part, la véritable radicalité, elle serait avant tout sur le plan de l’engagement personnel : c’est une manière pour Yannick Jadot de dire que, lui, a milité sur le terrain. Et surtout, ce qui serait vraiment radical, ce serait qu’un écologiste conquière le pouvoir. Une façon de rappeler qu'il ne sert à rien d’être trop radical sur le fond, si derrière cela empêche de gagner les élections. Mieux vaudrait parier sur "l’écologie réaliste" prônée par Yannick Jadot.

Mais, et c’est là que les choses se compliquent, Sandrine Rousseau se revendique elle-aussi comme réaliste. "Aujourd'hui l'écologie réaliste c'est celle qui transforme, qui transforme nos modes de production, qui sorte du productivisme, qui sorte de la société de consommation, qui sorte aussi d'une société qui abîme, qui abîme la nature et qui abîme les humains." Voilà, face à l’urgence climatique, environnementale et sociale, le seul réalisme : ce serait de prendre des décisions très fortes. Sandrine Rousseau, à son tour, utilise la redéfinition.

L'une et l’autre serait à la fois réaliste et radical

Réaliste, parce que c’est une bonne stratégie pour espérer gagner la présidentielle. Radical, parce que c’est une bonne stratégie pour espérer gagner la primaire, et que cela permet en outre de marquer la différence avec l’actuel gouvernement, qui se réclame lui aussi de l’écologie.

Sur le fond, en revanche, personne ne sait exactement où commencent et s’arrêtent la "radicalité" et le "réalisme". Ce sont des jugements de valeur, des étiquettes, qui fonctionnent moins comme des concepts politiques que comme des armes politiques. Elles sont légitimes, bien sûr. Mais il ne faudrait pas, pour autant, que ces discussions sémantiques en viennent à phagocyter la confrontation d’idées.

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