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Nouveau projet de loi sur l'immigration : un humanisme de façade ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 11 décembre : la nouvelle loi immigration, qui fera l’objet d’un débat au Sénat mardi prochain.
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Gérald Darmanin, sur le perron de l'Elysée, le 26 octobre 2022. (Ludovic MARIN / AFP)

Ce nouveau projet de loi vise à la fois à expulser plus facilement les personnes en situation irrégulière, et en même temps à régulariser une partie des travailleurs sans papiers. Ce que révèle ce texte, il me semble, c’est une conception bien particulière de l’accueil et de l’immigration.

Pour le montrer, je me suis penché sur les mots utilisés par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Souvenez-vous : le 2 novembre dernier, dans les couloirs de l’Assemblée, il avait eu une formule choc. "Nous devons désormais être gentils avec les gentils, c'est-à-dire les étrangers qui veulent travailler en France, respecter nos règles, parler notre langue, être amoureux de notre drapeau. Et être méchants avec les méchants : ne pas accepter que quelqu'un qui ne veut pas s'intégrer, qui ne respecte pas nos règles, qui commet des actes de délinquance, reste sur le sol national."

"Gentil avec les gentils, et méchants avec les méchants" : le monde divisé entre le bien et le mal, c’est la définition du manichéisme ! La politique vue par les yeux d’un enfant de 5 ans. Le ministre de l’Intérieur s’est défendu en expliquant que ce n’était qu’une formule, mais c'est une formule qui produit tout de même des effets. Parler des étrangers qui auraient commis des actes de délinquance comme de "méchants", c’est une essentialisation. L’idée derrière, c’est que ces personnes, quoi qu’elles aient fait, quel que soit le contexte, ne seraient ni pardonnables, ni intégrables : la seule solution serait de les expulser le plus rapidement possible, par tous les moyens possibles.

Soyons clairs : ce qui pose problème, ce n’est pas la fermeté. Si des actes enfreignent les lois de la République, ils doivent être punis. Ce qui pose problème, c’est de confondre les actes et la personne. Désigner des "méchants", c’est la première étape pour faire sauter tous les garde-fous. Si on n’y prend pas garde, elle peut rapidement conduire à justifier l’injustifiable. Rappelons tout de même que c’est au nom de la "lutte du bien contre le mal" que George W. Bush avait fait la guerre en Irak.

Essentialisation et instrumentalisation de l'immigré

Gérald Darmanin n’a pas repris cette phrase quand ont été précisés les contours du texte. Mais il en a trouvé une autre : "S'ils travaillent en France, s'ils parlent français, ils seront intégrés. S'ils commettent des actes de délinquance ils seront expulsés. On veut ceux qui bossent, on ne veut pas ceux qui rapinent". Le verbe rapiner signifie commettre des vols ou de menus larcins. La phrase semble moins caricaturale, mais, en fait, elle ne sort ni du manichéisme, ni de l’essentialisation puisque, in fine, le débat reste centré sur une opposition entre bons et mauvais étrangers.

Mais surtout, il me semble que cette formule nous révèle l’idée que ce gouvernement se fait, fondamentalement, de l’immigration. Tout est contenu dans le verbe principal : "On veut". Ce que l’on distingue ici, c’est une conception purement instrumentale de l’immigration. Les nouveaux arrivants sont présentés comme des outils, évalués à l’aune de l’intérêt qu’ils présentent pour la nation. Ceux qui veulent rester doivent pouvoir démontrer une utilité directe, immédiate, matérielle. Les autres doivent repartir.

C'est d'ailleurs l’idée qui structure, aujourd’hui, l’essentiel des discours sur l’immigration. C’est, notamment, la perspective promue par le Rassemblement national… mais ce n’est pas la seule. On pourrait au contraire mettre en avant une conception humaniste de l’immigration. En insistant sur le parcours de vie des exilés, qui bien souvent fuient la guerre, la misère ou le réchauffement climatique, et que la France pourrait s’enorgueillir d’accueillir. On pourrait insister sur ce que ces personnes apportent au patrimoine immatériel de notre pays, par leur culture qui vient irriguer la nôtre, s’hybrider, se mêler à la nôtre, comme ça n’a jamais cessé d’être le cas depuis que la France est France. On pourrait aussi insister sur ce que ces personnes apportent à notre patrimoine matériel : deux études publiées récemment, l’une par trois chercheurs du CNRS en 2018, l’autre par France Stratégie en 2019, concluent à un effet bénéfique de l’immigration sur la croissance.

Les déplacements de population vont se poursuivre

Enfin, on pourrait parler de l’immigration comme d’une réalité intangible. Et là, ce sont les travaux de François Héran, professeur au Collège de France, qui a bien montré que, de toute façon, les individus se déplacent sur la surface du globe ; ils se sont toujours déplacés, ils continueront de se déplacer. La preuve : cette loi sera la 22e en 30 ans sur l’immigration. Aucune d’entre elles n’a jamais empêché, et n’empêchera probablement jamais, les gens de venir trouver refuge sur notre sol.

Cela ne veut pas dire qu’il faudrait abolir les frontières. Je pose simplement la question, d’une part, du regard que nous portons sur les personnes que nous accueillons. Et, d’autre part, de la manière dont les accueillons. De ce point de vue, le gouvernement me semble bien éloigné de l’humanisme qu’il ne cesse pourtant de revendiquer.

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