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CHRONIQUE. Immigration : nos frontières sont-elles "des passoires" ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 16 avril : la question de l'immigration, relancée par le secrétaire national du Parti communiste Fabien Roussel.
Article rédigé par franceinfo, Clément Viktorovitch
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Le secrétaire national du PCF Fabien Roussel lors de son discours de clôture du congrès de Marseille (Bouches-du-Rhône) le 10 avril 2023 (NICOLAS CLEUET / LE PICTORIUM / MAXPPP)

Fabien Roussel s’exprimait lundi 10 avril à Marseille, pour le congrès de son parti. Un discours de 50 minutes, durant lequel il a affirmé : "Franchement, regardez ce qu'ils ont fait de notre pays ! Ils ont mis la France sur LeBonCoin, ils ont signé des traités de libre-échange à tour de bras, ils ont transformé nos frontières en passoires et ouvert la France aux quatre vents, aux marchands et à la finance."

"Les frontières sont des passoires" : une sortie qui lui a valu les critiques immédiates d’une partie de la Nupes. Sandrine Rousseau, notamment, a réagi sur Twitter : "Nos frontières ne sont pas des passoires. Mais, surtout, les humains qui tentent de les traverser risquent leur vie chaque jour." Réponse de l’intéressé : "S’opposer aux délocalisations de notre industrie et à l’évasion fiscale devrait être un pilier de la gauche." La polémique serait nulle et non avenue : ce que Fabien Roussel voudrait contrôler, ce serait la circulation des biens et des capitaux, pas l’immigration.

Fabien Roussel plaide pour le malentendu. Et, en apparence, quand on reprend le passage concerné dans le discours de Marseille, il y est effectivement question de souveraineté économique. Sauf qu’entre ce que l’on dit, et ce que l’on fait comprendre, il y a parfois un écart : c’est ce qu’on appelle, en rhétorique, la dimension implicite du langage. Les métaphores, notamment, ne sont jamais neutres. Elles portent toujours le poids de ceux qui les ont employées auparavant. Et il se trouve que cette métaphore, les "frontières passoires", possède précisément une illustre filiation : Marine Le Pen en 2022, Éric Zemmour en 2018 et, en 2007 déjà, un autre Le Pen, Jean-Marie. Peu importe, donc, ce que dit Fabien Roussel. Avec cette métaphore, ce qu’il nous donne à entendre est parfaitement clair : un discours critique sur l’immigration.

Procès d’intention ?

Ça pourrait éventuellement l’être, si Fabien Roussel ne s’était pas lui-même démasqué. Sur BFMTV, il a été poussé dans ses retranchements par Apolline de Malherbe et a laissé échappé que sur la question de l'immigration il fallait être "plus ferme".


Fabien Roussel demande bien davantage de fermeté sur l’immigration. L’image de la passoire n’était donc pas si anodine, et elle n’était pas non plus, en réalité, si surprenante. Le secrétaire du Parti communiste ne fait, en réalité, que renouer avec le discours d’un illustre prédécesseur, Georges Marchais en janvier 1981 : "Il faut stopper l'immigration officielle et clandestine. Il est inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France, alors que notre pays compte près de deux millions de chômeurs, français et immigrés." 

Lutter contre les travailleurs immigrés, qui alimenteraient le chômage et tireraient les salaires vers le bas : une position assumée, en son temps, par le PC, à laquelle nous ramène aujourd’hui Fabien Roussel.

L'immigration nuit-elle à l’économie ?

Cette question a été bien étudiée par l’économie et la science politique. Hélène Thiollet et Florian Oswald ont rédigé, pour Sciences Po, une synthèse de ces recherches. Leurs conclusions sont sans appel : les données collectées dans les pays de l’OCDE montrent que l’immigration n’a pas d’impact sur l’emploi des habitants, et que l’effet global sur les salaires est soit neutre, soit, même, légèrement positif.

Ce sont bien sûr des moyennes. Quand on zoome, on se rend compte que, sur le court terme, et pour certaines catégories d’emplois, notamment les moins qualifiés, il peut y avoir des effets négatifs. Mais ils ne sont pas systématiques, ils ne sont pas pérennes, ils sont compensés à l’échelle globale, et, surtout, ils restent d’une ampleur extrêmement limitée. Rien qui justifie, donc, de fustiger l’immigration à coups de métaphores fiévreuses. Quand c’était Georges Marchais qui le disait, ces recherches n’existaient pas : il pouvait encore plaider l’ignorance. Mais aujourd’hui, quand Fabien Roussel va chasser sur ce terrain, il le fait en pleine conscience… et au mépris de la science.

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