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"Hommes déconstruits" : la bataille des mots entre Marlène Schiappa et Sandrine Rousseau

Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Sandrine Rousseau et Marlène Schiappa. (JOEL SAGET / AFP / Eric PIERMONT / AFP)

C'est donc Yannick Jadot qui représentera le camp écologiste pour l'élection présidentielle. Il s'impose de justesse au second tour des primaires. Une défaite politique pour son adversaire, Sandrine Rousseau, mais qui pourrait cacher… une victoire idéologique ?

Vous savez, la première étape d'un combat politique, c'est de parvenir à dicter les enjeux du débat public. Et pour cela, il faut réussir à imposer ses mots. Or, c'est ce qu'a fait Sandrine Rousseau dans cette primaire : elle a réussi à faire circuler des mots inhabituels. Parmi ceux-ci, il y en a un sur lequel je souhaiterais m'arrêter : la déconstruction de la masculinité. Elle en parlait sur LCI, le 22 septembre dernier.

Que n'avait-elle pas dit ! Après cette sortie, Sandrine Rousseau a été moquée, à longueur de tweets ou de plateaux. Mais qu'est-ce que cela veut-dire au juste, un homme déconstruit ? Eh bien en fait, rien de très effrayant ni de particulièrement révolutionnaire ! Derrière cette expression, on trouve un concept sur lequel la sociologie travaille depuis des décennies : la déconstruction des stéréotypes de genre. En l'occurrence, Sandrine Rousseau se borne à souligner que les hommes devraient ou pourraient interroger la manière qu'ils ont de vivre leur masculinité, en s'écartant, s'ils le désirent, des clichés de la virilité… et en prenant conscience, au passage, des inégalités, des discriminations et des agressions auxquelles les femmes sont, de fait, confrontées dans notre société.

Marlène Schiappa réagit

Et pourtant, c'est un concept qui a beaucoup fait réagir Marlène Schiappa. La ministre chargée de la citoyenneté a publié une tribune dans Le Point, intitulée "Éloge des hommes construits". "Quand Sandrine Rousseau dit 'Moi je vis avec un homme déconstruit', et en gros 'faites toutes pareil', cela induit la notion de choix, répondait la ministre, mercredi 29 septembre sur franceinfo. Et ça veut dire qu'on choisirait la personne avec laquelle on vit, qu'on choisirait de qui on tombe amoureux."

Alors, non : à aucun moment Sandrine Rousseau n'a prétendu cela. Elle se contente de parler d'un processus personnel, d'une démarche, que chacun, et chacune d'ailleurs, peut accomplir de son côté, y compris au sein d'un couple. On a le droit de tomber amoureux ou amoureuse, et, au contact de l'autre, de commencer à se poser des questions sur la manière dont on choisit d'habiter la masculinité, la féminité, ou tout autre identité de genre.

Ce qu'utilise Marlène Shiappa ici, c'est un procédé rhétorique qu'on appelle l'homme de paille. C'est un sophisme, un raisonnement fallacieux donc, qui consiste à caricaturer la position de l'adversaire, jusqu'à ce qu'elle devienne ridicule et se réfute d'elle-même. Et vous allez voir que la ministre de la citoyenneté est coutumière du fait…

Là, c'est tout de même fascinant : Marlène Schiappa lance une accusation en manichéisme, alors que c'est elle-même qui pose le débat comme une opposition entre les "gentils féministes déconstruits" et les "méchants réactionnaires machos". Encore une fois, Sandrine Rousseau parle explicitement d'une démarche progressive que chacun peut accomplir. À nouveau, c'est un sophisme de l'homme de paille, une caricature volontaire des propos que l'on entend réfuter. Alors, c'est sûr que c'est pratique : quand on prête à l'adversaire une position intenable, on a généralement moins de mal à en triompher.

Le stratagème de l'homme de paille

Et puis il y a cette phrase étonnante : "Des supporters de l'OM qui sont de gros barbus et qui traitent bien leurs enfants". N'est-ce pas elle qui, ici, utilise un cliché de genre ? Pourquoi les supporters de l'OM seraient-ils gros et barbus ? En quoi les gros barbus pourraient-ils être suspectés de mal traiter leurs enfants ? Et surtout : qui prétend cela ? Est-ce que cela apparaît dans les propos de Sandrine Rousseau ? Non, à aucun moment ! C'est encore, et toujours, le stratagème de l'homme de paille.

Je vous avoue que je m'interroge. Marlène Schiappa continue par ailleurs de se revendiquer féministe. Qu'elle éprouve le besoin de lancer de telles attaques, appuyées par des arguments aussi fallacieux, contre un concept sociologique qui est un outil important dans la lutte pour l'égalité entre les femmes et les hommes, cela tient du mystère. Sauf bien sûr à considérer qu'il pourrait y avoir, derrière, des visées stratégiques électoralistes…

Mais en dépit de ces débats, voire, du fait de ces débats, le mot de "déconstruction" s'est frayé un chemin dans l'espace public. On en parle, on l'explique, y compris sur ce plateau. Elle est peut-être là, la victoire de Sandrine Rousseau.

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