Grève, pénurie, pays bloqué : à qui la faute ?
Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 16 octobre : les grèves qui ont marqué cette semaine.
Était-il vraiment nécessaire de bloquer le pays pour négocier des salaires ? D’un côté, les salariés des raffineries TotalEnergies et Esso-ExxonMobil, qui réclament des augmentations de salaires, pour faire face à l’inflation. De l’autre, les pétroliers et leurs profits records. Entre les deux, les 70% de Français qui utilisent leur voiture pour aller travailler, et ne peuvent, pour une grande part, se reporter sur les transports en commun. Et le gouvernement qui, pendant des semaines, a laissé s’enliser la situation, avant de finalement dégainer la carte de la réquisition.
Ce mouvement social est-il légitime, ou injustifié ? Les grévistes sont-ils l’avant-garde des travailleurs en lutte, ou, au contraire, des égoïstes préoccupés par leur seul confort ? Tout le monde s’est déjà forgé une opinion sur la question. Essayons de prendre un peu de recul pour regarder cette situation avec le regard surplombant des théories de la négociation.
Ce qu'il y a à perdre ou à gagner
Ce que l’on a vu, c’est surtout une épreuve de force, un rapport de force pour être précis. C’est-à-dire l’une des étapes classiques de la négociation, dès lors qu’une des deux parties pense pouvoir faire plier l’autre en allant au blocage. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que, dans une telle situation, ce qui détermine le rapport de force, ce n’est pas la puissance des uns et des autres. Ce n’est ni ce qu’ils sont, ni ce qu’ils ont. Ce qui détermine le rapport de force, c’est ce qu’ils ont à perdre.
Pourquoi, par exemple, les pilotes d’Air France obtiennent-ils si souvent satisfaction quand ils demandent une revalorisation salariale ? C’est simple : pour eux, un conflit social, c’est quelques journées de salaire en moins. Pour Air France, chaque journée non travaillée, ce sont des dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires perdus. Voilà pourquoi quelques jours de grève, voire la simple menace d’un débrayage, suffit souvent à faire plier l’entreprise. Plus vous avez à perdre dans l’épreuve de force et plus vous risquez de devoir céder dans les discussions.
Là, la situation est différente. Le chiffre d’affaires de ces entreprises pétrolières ne repose pas sur les seules raffineries françaises. TotalEnergies et Esso-ExxonMobil n’ont, au fond, pas tant que ça à perdre, et cela explique pourquoi ils peuvent se permettre de laisser la situation s’enliser.
À chacun ses cartes
Qu’en est-il, en revanche, des autres acteurs impliqués dans le conflit ? Les automobilistes, pour commencer. Eux, pour le coup, sont dans la pire situation : ils ont énormément à perdre, et peu de moyens d’action.
Et ensuite, il y a le gouvernement. Il avait aussi beaucoup à perdre dans cette histoire : l’extension du conflit à d’autre secteurs de lutte, la baisse de l’activité économique, le risque de l’impopularité – entre autres. En revanche, il avait, lui, des moyens d’action. Convoquer, à l’avance, une grande conférence sur les salaires, par exemple. Conditionner une partie des aides publiques à des efforts sur la rémunération des travailleurs, c’est une autre idée. Et, surtout, il aurait pu décider, dès cet été, de taxer les superprofits des pétroliers, ce qui aurait sans doute permis d’apaiser la situation. Faute d’avoir activé aucun de ces leviers, il se retrouve à utiliser sa dernière arme, la plus risquée, la moins bien acceptée : la réquisition.
Tout est-il pour autant de la faute du gouvernement ? Je ne crois pas que ce soit une question de "faute" justement. Dans cette histoire, au fond, chacun a joué avec les cartes qu’il avait en main. Les ouvriers pouvaient se permettre une grève : ils savaient qu’elle aurait une forte répercussion. Les pétroliers pouvaient se permettre de laisser pourrir la situation : le contexte économique est, de toutes façons, de leur côté. Ce rapport de force était clair, évident, depuis des semaines maintenant. Le gouvernement a décidé de ne pas intervenir, de ne pas réguler, de laisser faire le marché. C’est son choix, il en porte désormais la responsabilité.
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