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Vrai ou faux Pénurie de carburant : on a vérifié quatre affirmations sur les salaires chez TotalEnergies

Salaires des employés, rémunération du PDG, dividendes versés aux actionnaires... Les déclarations sur les conditions de travail au sein du groupe pétrolier se multiplient alors que le bras de fer entre les grévistes et leur direction continue.

Article rédigé par Quang Pham
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, le 28 mai 2021 au siège de son groupe dans le quartier de La Défense (Hauts-de-Seine). (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Une grève, une pénurie et beaucoup de commentaires. Les salariés grévistes de TotalEnergies ont voté en faveur d'une poursuite de leur mouvement sur l'ensemble des sites du groupe pétrolier, vendredi 14 octobre, alors même qu'un accord sur des augmentations salariales a été signé par les deux syndicats majoritaires de l'entreprise. Le conflit social entraîne depuis plusieurs jours d'importantes perturbations dans les stations-service dont les pompes sont à sec, faute d'être réapprovisionnées en essence ou en gasoil. 

Cette situation de crise suscite le débat politique et la question financière est sur toutes les lèvres, dans les rangs de la Nupes comme dans ceux des syndicats. Profits du géant des hydrocarbures, rémunération de son PDG, Patrick Pouyanné, salaires des salariés, dividendes versés aux actionnaires... Franceinfo a vérifié les principales questions qui sont au cœur des discussions.

La rémunération d'un opérateur de raffinerie est-elle de 5 000 euros par mois, comme l'affirme TotalEnergies ? A nuancer

Une bataille des chiffres oppose les syndicats à la direction de TotalEnergies. Dans un communiqué publié le 9 octobre, la compagnie dévoile les émoluments d'un opérateur de raffinerie : 4 300 euros brut hors intéressement, 5 000 euros primes et intéressement compris. De quoi prouver, selon elle, sa "volonté" que ses employés reçoivent "la juste récompense de leurs efforts sur leur fiche de paie". Il s'agit d'une moyenne, qui a été calculée pour les seuls "ouvriers et agents de maîtrise", précise à franceinfo le groupe pétrolier. Ce chiffre est vivement contesté par la CGT. Pour le syndicat, les salaires sont nettement plus bas : "2 500 euros brut en début de carrière et autour de 3 000 euros pour un salarié avec vingt ans d'ancienneté." Qui a raison ?

Selon le Centre d'information et de documentation jeunesse (CIDJ), une association créée par le ministère de la Jeunesse et des sports, un opérateur de raffinerie débutant gagne entre 1 600 euros et 1 800 euros net par mois, jusqu’à plus de 3 500 euros en fin de carrière.

Interrogée par Le Monde, l'Union française des industries pétrolières-Energies et mobilités (Ufipem) annonce quant à elle un salaire mensuel pour un opérateur débutant de 2 200 euros brut par mois, avec une prime de quart (une compensation versée pour le travail en horaires décalés) de 540 euros, soit une rémunération totale mensuelle de 2 740 euros brut. Avec vingt ans d'ancienneté, un salarié expérimenté touche par mois un salaire de 3 600 euros brut ainsi que près de 1 200 euros brut de primes d'ancienneté et de quart. Soit 4 800 euros brut mensuels.

Qu'en conclure ? Analyser les conditions de rémunération par la seule étude de la moyenne des salaires, comme le fait Total dans son communiqué, amène à ne pas considérer l'existence d'écarts de salaires importants entre salariés, un employé expérimenté pouvant par exemple toucher un montant de primes plus de deux fois plus élevé qu'un opérateur débutant.

De leur côté, les syndicats tendent à ne pas tenir compte dans leurs déclarations de l'intéressement et de la participation, qui se sont élevés pour un opérateur de raffinerie en 2022 à "9 108 euros" en moyenne, avec un "montant minimum de 7 250 euros et maximum de 12 000 euros", confirme TotalEnergies à franceinfo. "Le salaire de base n'est pas le seul élément de la rémunération récurrente d'un opérateur qui travaille dans une raffinerie, insiste l'entreprise. Il convient d'y ajouter les primes et l'intéressement."

Un pompiste chez TotalEnergies gagne-t-il moins que le smic, comme l'a avancé Fabien Roussel ? Non

"Opération vérité sur les salaires chez Total. (...) Je révèle les vrais salaires chez Total, fiches de paie à l'appui. Certains démarrent en dessous du smic pendant que le patron s'augmente de 52 %", lâche Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste français, sur Twitter le 12 octobre. Dans le débat sur les salaires au sein de la compagnie pétrolière, l'ex-candidat communiste à la présidentielle prétend que certains employés du pétrolier sont rémunérés en dessous du salaire minimum.

Contacté par Libération, le chef de file des communistes précise qu'il se référait aux salaires pratiqués chez Argedis, une filiale de TotalEnergies qui assure la gestion des stations-service. "Argedis est certainement la filière du groupe Total où les salariés sont les moins rémunérés", juge auprès de franceinfo Bruno Guittat, coordinateur CFDT de la filiale. Cependant, assure le syndicaliste, "aucun salarié n'est payé en dessous du smic".

La Convention collective nationale des services de l'automobile (PDF) qui définit la grille de rémunération des employés en station-service, précise que le salaire minimum brut de la profession s'élève à 1 678,95 euros. Soit le smic. "Les salaires chez Argelis sont proches du smic, mais restent supérieurs", confirme Bruno GuittatUn pompiste peut en effet bénéficier de primes, "pour les jours fériés ou de 'blanchisserie' pour nettoyer ses vêtements et d'un 13e mois", énumère le coordinateur syndical. Au total, ces primes peuvent représenter environ "20%" du salaire annuel.

Les actionnaires de TotalEnergies vont-ils recevoir 2,6 milliards de dividendes, comme relevé par Alexis Corbière ? Oui*

"Total va reverser 2,62 milliards d'euros de dividendes à ses actionnaires. Ce groupe a profité de la crise, a gavé ses actionnaires sans reverser quoi que ce soit à ses salariés", déplore le député La France insoumise Alexis Corbière, le 14 octobre sur Twitter. L'élu dit vrai.

Le 28 septembre, en plein débat sur les superprofits et alors que près de 70% des salariés de ses raffineries étaient déjà en grève, le groupe TotalEnergies a effectivement annoncé dans un communiqué qu'il distribuerait en décembre une gratification exceptionnelle à ses actionnaires. Face à "l'évolution des marchés du pétrole, du gaz et de l'électricité" et au "bilan très solide" que le pétrolier affichera fin 2022, Total s'est estimé en position "d'offrir une politique attractive de retour à l'actionnaire". Le conseil d'administration du pétrolier, "souhaitant partager avec ses actionnaires les résultats de la compagnie dans ce contexte de prix hauts", va "verser un acompte sur dividende exceptionnel d'un euro par action en décembre 2022", sur 2,62 milliards d'actions, précise le communiqué. Soit donc bien 2,62 milliards d'euros de dividendes distribués.

* Le titre de ce paragraphe a été modifié après la première publication de cet article. Il était mentionné par erreur que les actionnaires de TotalEnergies avaient reçu 2,6 milliards d'euros de dividendes en septembre. Mais c'est bien au mois de décembre que le versement de ces dividendes aura lieu.

Le PDG du groupe, Patrick Pouyanné, s'est-il augmenté de 52% ? A nuancer*

Alors que les négociations entre la CGT et la direction ont échoué, dans la nuit de jeudi à vendredi, sur le montant de la hausse salariale à verser aux salariés, la polémique enfle également sur la rémunération du PDG de Total, Patrick Pouyanné, et l'augmentation qui lui a été accordée pour l'année 2021.

"Peut-être que si le PDG de Total n'avait pas augmenté son salaire de 52% en 2021, nous ne serions pas dans cette situation de blocage", regrettait sur Public Sénat le 11 octobre Gérard Leseul, député socialiste de la 5e circonscription de la Seine-Maritime. 

Le pourcentage avancé par le député PS est exact. Le rapport financier annuel de TotalEnergies de 2021 (PDF, page 239) révèle effectivement que la rémunération annuelle du PDG est passée de 3,918 millions d'euros en 2020 à 5,944 millions en 2021. Soit une augmentation de 51,7%. Cette hausse de salaire a été approuvée par le conseil d'administration du groupe en mars et par l'assemblée générale des actionnaires en mai à 60,27%, selon le rapport financier.

Evolution de la rémunération de Patrick Pouyanné (Rapport annuel Total 2021)

Sur cette confortable augmentation du grand patron, sa "rémunération fixe", son salaire à proprement parler passe de 1,167 million en 2020 à 1,4 million d'euros en 2021. Soit une hausse de 20%. L'essentiel de la rémunération du PDG, tirée de sa part variable et de ses actions, est soumise à des "conditions de performance", précise le document financier. En d'autres termesPatrick Pouyanné voit ses émoluments augmenter, grâce aux bons résultats financiers de son entreprise. Or la compagnie pétrolière a enregistré un bénéfice de 16 milliards de dollars en 2021.

Pour l'atteinte de ses objectifs en 2021, le PDG a reçu une rémunération variable en hausse de 27% par rapport à l'année précédente (2,506 millions d'euros) mais surtout pas moins de 90 000 actions de performances ou stock-options, valorisées à 1,972 million d'euros. Soit une rémunération en actions 176% plus élevée qu'en 2020. Il est à noter toutefois qu'en 2020, en raison des mauvais résultats du groupe pétrolier enregistrés pendant la pandémie de Covid-19, Patrick Pouyanné avait vu sa rémunération baisser de 36,4%. Avec cette augmentation de 51,7% entre 2020 et 2021, la rémunération du patron de TotalEnergies a retrouvé un niveau comparable à celui des années 2017, 2018 et 2019.

* La réponse à cette question a été modifiée après la publication de cet article, afin d'y apporter des précisions sur les conditions d'attribution de la rémunération du PDG de TotalEnergies.

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