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Est-ce que tout est la faute des milliardaires ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 22 janvier : la publication du rapport d’Oxfam sur les inégalités.
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La Bourse Euronext Paris le 21 novembre 2019. Photo d'illustration (ALEXIS SCIARD / MAXPPP)

Et si, finalement, tous les problèmes étaient la faute… des milliardaires ? Cela a l’air caricatural, mais c’est la question que je me suis posée en lisant le dernier rapport de l’ONG Oxfam, qui passe au crible l’évolution des inégalités dans le monde. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en France, elles s’accroissent.

Commençons par ce que l’on savait déjà : oui, la fortune des ultrariches s’est considérablement accrue. En dix ans, les milliardaires français ont triplé leur fortune. Elle s’élève désormais à 550 milliards d’euros. C’est un chiffre tellement énorme qu’il est impossible de le conceptualiser. 550 milliards, c’est près du quart du PIB de la France. S’ils dépensaient toute leur fortune, ces 42 individus pourraient payer à eux seuls le budget de l’Éducation nationale, le premier poste de dépense de l’État, pendant dix ans.

Ces sommes folles correspondent aux actions que les milliardaires détiennent sur leur propre entreprise. Ils n’en disposent donc pas comme ils le souhaitent, ou du moins pas totalement. En novembre 2021, Elon Musk a commencé à vendre une petite partie de ses actions Tesla, pour pouvoir notamment financer l’achat de Twitter. Résultat : en l’espace d’une seule année, il a récupéré 39 milliards de dollars. Donc, des actions, ce n’est pas du cash mais cela peut assez vite le devenir. Et qu’on ne vienne pas non plus me parler de ces "courageux milliardaires, qui ont se sont bâtis une fortune à la sueur de leur front" : d’après un décompte du très sérieux Financial Times, en France huit milliardaires sur dix ont, en réalité, hérité de leur fortune. Qu’ont-ils donc fait pour tant de biens ? Ils se sont donné la peine de naître, et rien de plus.

Davantage d'aides, moins d'impôts

Il y a des raisons contextuelles à cet accroissement des grandes fortunes. La crise du Covid puis la guerre en Ukraine ont été une aubaine pour plein de secteurs : industrie pharmaceutique, commerce en ligne, énergie, transport de marchandises… Et ensuite, surtout, il y a les choix politiques qui ont été faits depuis cinq ans. Les aides aux grandes entreprises, sans contrepartie, n’ont cessé d’augmenter – elles ont même explosé pendant le Covid. En parallèle, les impôts sur les entreprises ont radicalement baissé : on en est à 28 milliards d’impôts en moins par an. Et il en va de même pour les impôts des particuliers fortunés : 15 milliards par an, au bas mot.

Le gouvernement ne cesse de dire qu’il a baissé les impôts pour tout le monde. C’est vrai, mais dans des proportions qui n’ont absolument rien de comparable avec ce qu’il a fait pour les plus riches. Le reste des Français, sous l’effet de l’inflation, s'est nettement appauvri. Rien que sur le premier semestre 2022, les ménages français ont perdu en moyenne 700 euros de pouvoir d’achat. Et pour une raison simple : les entreprises, malgré toutes les aides qu’elles reçoivent, n’ont pas augmenté les salaires. Au sein de l’OCDE, chiffre officiel, la France est le pays où les revenus réels, c’est-à-dire corrigés de l’inflation, ont le plus baissé au 2e trimestre 2022.

Les conséquences sont très concrètes : il y a de plus en plus de Français qui ne peuvent pas faire trois repas par jours, qui ne peuvent pas se chauffer, qui renoncent à se soigner. Le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits humains parle même d’une "hausse de la pauvreté en France inédite depuis de très nombreuses années."

Quelles conclusions en tirer ?

Il va falloir reparler un peu de la réforme des retraites. Pour combler le déficit hypothétique du système de retraites, le gouvernement a choisi de reculer l’âge de départ, ce qui pèse en premier lieu sur ceux qui ont commencé à travailler tôt, et sont donc, souvent, les moins favorisés. L’argument utilisé semblait imparable : si on ne fait pas ça, il va falloir soit augmenter les impôts des salariés, et donc baisser leur pouvoir d’achat, soit augmenter les cotisations des entreprises, et donc diminuer la compétitivité.

Sur ces deux points, on pourrait tout à fait argumenter qu’il existe en fait des marges de manœuvre. Mais surtout, là où cette équation est trompeuse, c’est qu’elle laisse de côté une troisième option : la taxation du capital. La mise à contribution des grandes et très grandes fortunes – celles-là mêmes qui n’ont cessé d’enfler ces dix dernières années, sans que l’on puisse démontrer le moindre effet positif pour l’économie. À la place, ce que fait concrètement cette réforme, c’est mettre à contribution les pauvres qui s’appauvrissent, tout en épargnant les riches qui s’enrichissent.

Et puis, plus généralement, il faudra un jour ouvrir le débat philosophique de l’accumulation des richesses. Car, au-delà de la question, déjà fondamentale, des inégalités, autoriser la concentration de dizaines ou de centaines de milliards entre les mains de simples individus, c’est les laisser s’arroger un pouvoir démesuré sur le reste de la société.

L’exemple d’Elon Musk est, une nouvelle fois, éloquent : en faisant l’acquisition de Twitter, il s’est acheté un fragment de l’espace public mondial, qu’il a pu ensuite bouleverser à sa guise, sans rendre de comptes à personne. Dans un monde qui valorise l’idéal démocratique, pouvons-nous accepter que se constituent de telles poches d’autocratisme ? C’est peut-être une question qu’il serait intéressant de poser…

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