Élection présidentielle 2022 : le temps est-il à la radicalité ?
Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Un mot est sur toutes les lèvres : la radicalité. Pour Éric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon ou encore Sandrine Rousseau, le temps serait aux idées radicales. Mais cette arme s’est retournée contre ses auteurs.
Plusieurs candidats et candidates à la primaire écologiste se sont réclamés d’une écologie radicale, au premier rang desquels Sandrine Rousseau. "Choisir une écologie radicale, c'est choisir la protection, c'est choisir la maîtrise, c'est ne pas subir les catastrophes naturelles et avoir la maîtrise de son destin", déclarait-elle lors du premier débat de la primaire écologiste, le 5 septembre dernier sur franceinfo et sur France Inter.
Comme déjà évoqué dans une précédente chronique, assumer une forme de radicalité constitue un positionnement efficace dans le cadre d’une primaire où il faut parler aux militants de son camp. Cette stratégie s'était d'ailleurs avérée payante pour Benoît Hamon et François Fillon alors candidat pour l'élection présidentielle de 2017. À tel point que d’autres candidats, comme Yannick Jadot, perçus à tort ou à raison comme moins radicaux, n’ont eu d’autre solution que de s’approprier ce mot à leur tour. "La radicalité de l'écologie aujourd'hui c'est de gagner l'élection présidentielle. Je m'y suis préparé", assurait le co-finaliste de la primaire écologiste le 20 septembre dernier.
Nous avons donc deux définitions concurrentes d’un même mot. Pour Sandrine Rousseau, face à une crise radicale de l’écologie, la seule solution raisonnable serait de porter un discours radical. Yannick Jadot estime lui, que la véritable solution radicale serait de porter un discours suffisamment raisonnable pour parvenir au pouvoir. Il s'agit de stratégie rhétorique puisque sur le fond, leurs propositions sont moins éloignées que ne le sont leurs discours. Mais, il se trouve que la stratégie a été couronnée de succès : les voilà tous les deux qualifiés pour le second tour, dont nous connaîtrons l’issue le mardi 28 septembre.
La radicalité, une épée à double tranchants
Si elle est valorisée au sein de son propre camp, la radicalité peut effrayer au-delà, et apparaître non plus comme un exutoire, mais comme un repoussoir. De nombreux parallèles sont faits entre Sandrine Rousseau et Éric Zemmour. Plusieurs titres de presse en témoignent : "Rousseau-Zemmour : le pari de la radicalité", "Zemmour-Rousseau : prime à la radicalité", "Rousseau-Zemmour : le camp de la déraison". Depuis une dizaine de jours, on a vu un récit se mettre en place : cette élection présidentielle serait celle de la radicalité, avec d’un côté une radicalité écologique, et de l’autre une radicalité contre l’immigration. L’essayiste Raphaël Enthoven ne disait pas autre chose lundi 27 septembre sur Europe 1 : "Quand la matière est antagoniste, bien sûr Éric Zemmour et Sandrine Rousseau se font face. Mais la manière, elle est commune : sous l'alibi de donner des idées ou de formuler des projets radicaux, on est là en présence d'idées qui n'ont plus de socle".
Éric Zemmour et Sandrine Rousseau sont rejetés dos à dos : elle et lui auraient en commun leur radicalité c’est-à-dire au caractère irréaliste de leurs propositions. C’est là que l’on voit le revers stratégique de ce mot : il contient en son sein sa propre réfutation. Car oui, le contraire de la radicalité, c’est la mollesse, voilà comment on gagne une primaire. Mais le contraire de la radicalité, c’est aussi la modération et la raison, voilà comment on perd une présidentielle.
La radicalité n’est pas un concept, c’est un outil de communication
On serait bien en peine de donner une définition précise de la radicalité. Personne ne sait exactement où elle commence et se termine. Au fond, le véritable point commun entre Sandrine Rousseau, Éric Zemmour (et on pourrait sans doute ajouter Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen ou Yannick Jadot) c’est qu’ils proposent une alternative à la politique libérale d’Emmanuel Macron.
Partant de là, renvoyer tous ces projets dos-à-dos, en faisant fi des fossés politiques qui les séparent, c’est tomber dans ce que l’on appelle le sophisme du juste milieu. Ce raisonnement biaisé consiste à prétendre que la solution médiane serait la plus raisonnable en présence d’extrêmes opposés. Mais pas forcément. Ce n’est pas parce qu’une proposition apparaît comme radicalement différente qu’elle est nécessairement irréaliste. Comprenez-moi bien : elle peut l’être mais encore faut-il être capable de le démontrer, plutôt que de se contenter de dénigrer une prétendue radicalité.
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