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Culture d'info. Philippe Pujol : "Marseille est une ville battue, pour cacher les coups on la maquille"

Dans "La Chute du monstre", au éditions du Seuil, le journaliste-écrivain dénonce la corruption et l'incompétence qui gangrènent la deuxième ville de France.

Article rédigé par franceinfo, Thierry Fiorile
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Philippe Pujol, lauréat du prix Albert-Londres 2014 dans la catégorie presse écrite, le 12 mai 2014 (THIBAUD MORITZ / MAXPPP)

Un an après la tragédie de la rue d'Aubagne, l'effondrement d'un immeuble insalubre qui a fait 8 morts à Marseille, l'écrivain et journaliste Philippe Pujol fait le récit d'une ville et d'un système politique qui s'effondrent. Depuis 25 ans, Jean-Claude Gaudin est maire de Marseille et l'auteur, prix Albert Londres en 2014, est en colère. Philippe Pujol accuse : la population est abandonnée, au profit d'une minorité affairiste et cynique.

franceinfo : Qu’est-ce qui s’est effondré avec l’immeuble de la rue d’Aubagne ?    

Philippe Pujol : C’est la conclusion d’un système politique, qui existe depuis extrêmement longtemps, bien avant Jean-Claude Gaudin, qui a montré là jusqu’où il pouvait être cynique. Il emporte dans ces gravats toute la fierté d’une ville, toute sa dignité.

On se rend compte dans le comportement des élus de la majorité municipale, pas uniquement Jean-Claude Gaudin, qui n’a pas été le pire, loin de là, mais surtout de ses "bébés" comme je les appelle, de sa clique, de tout ce cynisme, de ce déni. On a des élus marchands de sommeil, des taudis propriété de la ville ; ces gens-là continuent d’être dans le déni et de parler de bashing. Mais le bashing ça n’existe pas, c’est incroyable, c’est un vrai film d’horreur !

Comme dans un pays en voie de développement, on est dans un système clientéliste. Tous les bébés Gaudin quittent le navire Gaudin pour vite aller vers la personne qui a le plus de pognon, et qui embauche le plus de mercenaires possible, pour repartir sur un cycle cynique, plein de déni et plein de mépris pour l’immense partie de la population qui, pour moi, vit une maltraitance.  

La misère est un marché à Marseille ?  

Oui, il y a un business de la misère à Marseille. Il y a tout un  système qui permet de faire de la défiscalisation pour toute une bourgeoisie, qui elle-même va financer qui il faut, le temps d’une campagne, tout est orienté autour de l’élection et de la réélection. La seule idéologie à Marseille, c’est de durer.

Il y a des dizaines d’immeubles taudis appartenant à la ville de Marseille, et qu’on laisse pourrir, c’est de l’incompétence, mais c’est une incompétence organisée. On met des tocards à des postes clés, on sous-finance des services entiers et on met tous les moyens dans le neuf, le neuf, le neuf : du neuf bas de gamme, minable, aseptisé, mais qui engraisse les copains du BTP, de l’immobilier.

Quand on a laissé pourrir, il n’y a plus d’autre possibilité que de détruire, puisqu’on ne peut plus rénover. Et en plus on crée des situations néfastes pour dans 10 ans.  

Vous êtes en colère, car vous aimez Marseille, son peuple. C’est une ville malade ?      

C’est une ville battue, donc on la maquille pour cacher les coups. On la maquille avec le Vieux-Port, le Mucem, c’est fantastique le Mucem, d’ailleurs, c’est l’État qui l’a fait, pas les élus locaux, ils en sont incapables ! C’est donc un maquillage pour oublier ces quartiers populaires, dits quartiers Nord, mais c’est plus que dans le Nord, des quartiers sous anxiolytiques, sous shit, car ils n’ont pas le choix. Des quartiers qui sont sur-squattés, car c’est une ville de misère.

Alors on va dire, on ne peut pas attirer toute la misère du monde, mais on ne l’attire pas, on la fabrique ! La misère ne veut pas venir à Marseille, très peu de migrants veulent venir à Marseille, ils ne sont pas fous, il y a déjà suffisamment de misère. On dépense du fric pour rien, dans énormément de trucs et on laisse s’effondrer des quartiers entiers, pour pouvoir en faire des bâtiments aseptisés, moches. Il y a une force à Marseille qu’on ne trouve pas ailleurs et que j’adore, c’est que tout le monde parle avec tout le monde, et ça disparaîtra quand on aseptisera tout ça.

La Chute du monstre de Philippe Pujol est paru au Seuil.

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