La Croix-Rouge à la recherche des disparus
Ils forment
comme une petite brigade dans leur bureau au siège de la Croix-Rouge, rue Didot
dans le 14ème arrondissement de Paris. Ils sont sept officiers de recherche. A
eux tous, ils parlent huit langues : anglais, espagnol, arabe, grec,
serbo-croate, polonais, allemand... L'ambiance est multiculturelle, pour ne pas
dire cosmopolite. Au standard, micro-casque sur la tête,
c'est Stéphania Asimakopoulou qui répond aux appels. Chaque jour des personnes
appellent, souvent en détresse, souvent angoissées. "Vous avez fui à
cause des tortures, et vous avez dû laisser votre fille là-bas ? "
l'entend-on répéter à une jeune femme guinéenne qui a composé le numéro avec
fébrilité.
Un millier
de demandeurs sollicitent ainsi la Croix-Rouge française chaque année parce
qu'elles ont perdu un père, un frère, une épouse, un enfant dans une guerre ou
une catastrophe. Aurélie de Gorostarzu, qui dirige le service, explique que dans
ce bureau, il faut savoir faire preuve d'une grande qualité d'écoute, d'une
vraie empathie. Les demandeurs qui viennent ici pour les entretiens préalables
au lancement des recherches doivent re-raconter leur histoire, doivent redire
comment ils ont perdu leur proche, replonger dans des évènements souvent
douloureux. "Il est essentiel, voire vital pour les personnes d'avoir
des nouvelles de leurs proches. Vous pouvez leur fournir tout ce que vous
voulez au niveau alimentaire ou médical, ca ne servira à rien... Si vous êtes
un père sans nouvelles de ses enfants, vous ne pourrez pas passer à autre chose,
vous alimenter, vous reconstruire. C'est un véritable besoin de savoir, et même
un droit de savoir ", raconte Aurélie de Gorostarzu. Ce droit de savoir
est même inscrit dans les conventions de Genève.
"Ils
ont retrouvé ma sœur au Kenya !" ****
La Croix-Rouge est ainsi sollicitée par des réfugiés syriens, afghans, rwandais. Le
service a aidé de nombreux Haïtitiens de France à retrouver leurs proches après
le séisme. Il y aussi l'histoire de Samalé, ce jeune Somalien devenu bénévole,
après avoir lui-même retrouvé un petit bout de sa famille grâce à la Croix-Rouge. "Quand je suis arrivé en France, j'étais à Angers dans le
Maine-et-Loire. C'était en 2010. Je me suis adressée à la Croix-Rouge car dans
la guerre civile, certains membres de ma famille sont décédés et d'autres ont
simplement fui le pays comme moi. En quatre mois et demi, les services de
recherche ont retrouvé ma sœur. Elle était au Kenya. Et maintenant, nous sommes
en lien, nous pouvons nous appeler régulièrement, et pourrons bientôt peut-être
nous revoir ", espère le jeune homme étudiant. En tant que bénévole
pour le service de rétablissement des liens familiaux, il offre ses services de
traduction. Il a ainsi aidé des pirates somaliens détenus en France à
recontacter leurs familles en Somalie.
40 % des
recherches lancées par le service de rétablissement des liens
familiaux aboutissent. C'est souvent après des mois d'enquête, à passer des
coups de fil, à se servir d'Internet, des réseaux sociaux, mais surtout grâce
aux recherches sur le terrain des 149 autres sociétés Croix-Rouge nationales.
Beaucoup
de demandes encore liées à la Seconde Guerre mondiale
Parmi les
sociétés les plus sollicitées, il y a la Croix-Rouge allemande. Cela peut-être
surprenant mais les recherches liées à la Seconde Guerre mondiale représentent
toujours 15 % des dossiers.
"Vous
voyez, j'ai là une lettre que j'ai reçue. C'est une lettre de remerciement
d'une femme. Elle est française. Elle a une soixantaine d'années. Et elle a
appris très tard que son vieux père avait eu un fils en Allemagne quand il
était parti pour le Service du Travail Obligatoire. Grâce aux recherches, on a
retrouvé le demi-frère en question. Les deux se sont retrouvés. Cela a été un
moment fort. Dans sa lettre, elle parle d'un sacré clin d'œil de l'Histoire ",
explique Marie Ortholary, officier de recherche.
Dans le
bureau voisin, un autre officier de recherche est très concentré. C'est Nicolas
Brodard. Lui est en train d'éplucher le dossier d'un demandeur français
d'origine polonaise. Il est en lien régulièrement par téléphone avec son frère
en Australie, mais du jour en lendemain, ce frère n'a plus répondu, plus donné
de nouvelles. Un frère qui souffrirait peut-être de la maladie d'Alzheimer.
" Nous allons faire le point, rassembler toutes les informations dont
nous disposons, puis nous allons transmettre les données à nos collègues de la
Croix-Rouge australienne. Eux sur le terrain ont les moyens d'appeler les
hôpitaux et autres services spécialisé s", explique le jeune officier
de recherche.
Derrière chaque dossier, il y a une histoire souvent attachante.
Le service bataille ces derniers jours pour aider une mère congolaise réfugiée
en France. Ils viennent de retrouver son enfant de cinq ans bloqué dans un
centre de rétention espagnol. Les deux ont été séparés en Algérie au moment de
monter dans des bateaux de fortune pour l'Europe, affrêtés par des passeurs.
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