Kilimanjaro : au pied du "mur" final
Pour une fois, le randonneur aveugle a un avantage sur le marcheur lambda. Il ne voit pas l'impressionnant "mur " qui l'attend. 1.000 mètres de dénivelé d'un seul tenant, sur la pente très raide du cratère dominant le Kilimanjaro.
On distingue bien un sentier qui serpente au départ, puis plus rien. Il faudra marcher droit dans la falaise. Rien à voir avec les pentes douces des jours précédents.
Départ à trois heures du matin
Pour ne pas perdre de temps, l'ascension commence donc avant l'aube. A 3 heures, un porteur tanzanien frappe à la porte du dortoir. Certains n'ont pas fermé l'œil de la courte nuit. Effet de l'altitude ou du stress.
Après un frugal petit déjeuner, tout le monde est dehors, lampe frontale vissée sur le crâne, dans le noir et le froid. "Il fait moins 16°C ", annonce le guide Abel.
Malgré le vent, le fond de l'air n'apparaît toutefois pas glacial. Peut-être psychologiquement adouci par la multitude d'étoiles qui se détachent de l'obscurité du ciel. "Je vois la lune , s'enthousiasme Jean-Christian, dont la vue est pourtant extrêmement réduite. Cela faisait plus de 20 ans que je ne l'avais pas vue. C'est sans doute grâce à la limpidité de l'air ".
Un air que fend le groupe à pas très lent.
"J'ai vraiment mal... "
A la queue leu-leu, les enjambées se limitent souvent à mettre le talon d'un pied juste devant les orteils de l'autre. Malgré cela Bruno, le médecin du groupe, a le souffle très court. "J'ai du mal, j'ai vraiment du mal , halète celui qui s'était jusqu'à présent uniquement préoccupé du mal des montagnes ressenti par les autres. Je me sens vraiment en déficit d'oxygène ".
Alain aussi se dit en difficulté. Jusqu'à hier encore, il caracolait loin devant tout le monde. Mais aujourd'hui la consigne est de rester groupé. "C'est pénible, tous ces arrêts , peste-t-il. Cela n'est pas ma façon de marcher en montagne, je ne sais pas si je pourrais aller au sommet. C'est le 'worst day' ". "Worst " aussi peut-être parce qu'Alain n'est plus guidé par Pascal, son ami de trente ans. Les deux hommes se sont brouillés hier avant d'arriver au refuge. Pascal voulait prendre son temps. Alain était pressé.
Dans la colonne qui monte d'à peine plus de 100 m par heure, c'est Joseph, sourdaveugle, qui semble le moins souffrir. "Pas de maux de tête, pas de maux de ventre, le rythme est bon ", traduit son accompagnateur, Jérémy. Les deux mains de son binôme sont toujours accrochées aux siennes, dans son dos. "C'est simplement pas évident de pratiquer la langue des signes tactiles avec des moufles ", souligne-t-il.
Porter la joëlette, l'autre défi...
Le soleil pointe toutefois à l'horizon et commence à réchauffer l'atmosphère. Déo, jeune paraplégique tanzanien parti plus tard du refuge, rejoint le gros de la troupe. Emmitouflé des pieds à la tête dans d'épais bonnet, doudoune et bottes fourrées.
C'est le seul moyen qu'il a de lutter contre le froid, faute de pouvoir se mouvoir. L'équipe des porteurs brûle des calories pour lui. Ils ne sont parfois pas trop de 8 pour pousser la joëlette, son fauteuil tout terrain, dont l'unique roue s'enlise de plus en plus dans les gravillons volcaniques. Il faudra bientôt carrément hisser le lourd attelage à bout de bras dans les rochers qui remplacent peu à peu le sentier.
Prochain défi ? Buller sous les cocotiers.
"Mais ça ne terminera jamais ", se désole Marie. Elle s'affaisse sur une grosse pierre à chaque pause ou presque. Cela fait pas loin de 7h que le cortège est en marche. Il ne se rapproche qu'imperceptiblement du haut du cratère.
Le sol sablonneux se dérobe sous chaque pas, contraignant à des efforts qui paraissent inutiles. "Promis, juré , s'engage alors Jean-Christian, le prochain défi ce sera de savoir combien de temps des déficients sensoriels peuvent buller sur une plage sous les cocotiers ".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.