C'est dans ma tête. Les difficultés de l'accueil d'urgence
On a beaucoup parlé des difficultés de l’accueil dans les services d’urgence. Comment expliquer que des accueillants de personnes en détresse puissent être -ou devenir- insensibles à la souffrance d'autrui ?
Cela montre qu’accueillir la souffrance est une pratique à hauts risques. Et que les personnes qui décident de faire ce travail, comme les institutions qui les emploient, n’en sont peut-être pas toujours assez conscientes.
Pourquoi est-ce une pratique à hauts risques ?
Parce qu’elle met en jeu des mécanismes psychologiques très complexes. Accueillir la souffrance d’un autre suppose d’abord d’entendre qu’il souffre. C’est à dire de ne pas seulement le comprendre, intellectuellement, mais d’être capable de se mettre quelques secondes à sa place, pour se représenter ce qu’il ressent. Et cela ne va pas de soi. Parce que cette capacité d’empathie n’est pas naturelle chez les êtres humains, elle dépend toujours de l’éducation (entendue au sens large) qu’ils ont -ou non- reçue.
Et, de ce fait, certaines personnes peuvent ne pas être, psychologiquement, aptes à faire ce travail. Ensuite, une fois la souffrance entendue, il faut pouvoir la supporter. Ce qui, là non plus, ne va pas de soi. Parce que la personne qui souffre témoigne d’une détresse que l’accueillant peut refuser (inconsciemment) de voir, parce qu’il la redoute pour lui-même.
Et tout cela peut le conduire à mettre en place, pour se protéger, des mécanismes de défense.
De quelle façon interviennent ces mécanismes de défense ?
Il peut nier la souffrance de la personne qu’il accueille ou, du moins, la minimiser. Ou faire en sorte, au fil des années, de s’habituer à l’insupportable, en justifiant son indifférence par la difficulté de ses conditions de travail et son épuisement, qui sont réels. Et puis, il ne faut pas oublier que la confrontation -qui plus est sans témoins- avec quelqu’un qui souffre, peut être, pour certaines personnes, l’occasion de se sentir un pouvoir qu’elles n’ont pas par ailleurs, et, éventuellement, d’en abuser.
Que peuvent faire les institutions qui emploient des accueillants ?
Elles pourraient agir d’abord, au moment du recrutement, en refusant les personnes qui n’ont pas d’empathie, et celles qui peuvent tirer un bénéfice de la souffrance des autres.
Elles pourraient ensuite prévenir leurs salariés, dès l’embauche, de la complexité de leur travail, poser des règles éthiques claires et mettre en place des formations, qui leur permettraient de les comprendre.
Et enfin elles pourraient instaurer des groupes de parole, où les salariés pourraient exprimer leurs difficultés, en se sentant soutenus par leurs collègues, pour les dépasser. Mais tout cela supposerait évidemment que les institutions prennent en compte, non seulement les conditions de travail des accueillants, mais les difficultés psychologiques, inhérentes leur travail. Et il semble que l’on en soit encore très loin…
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