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C'est dans ma tête. Comment peut-on croire à la rumeur ?

Pourquoi peut-on croire à une rumeur, et continuer à y croire malgré les démentis et les faits réels ?

Article rédigé par franceinfo, Claude Halmos
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Photo d'illustration. La camionette blanche, objet déclencheur de fantasmes et de peurs. (MAXPPP)

Une rumeur a couru, il y a quelques jours, en Seine-Saint-Denis : des Roms, équipés d’une camionnette blanche, enlèveraient des enfants, dans le cadre d’un trafic d’organes. Et, alors même que cette rumeur avait été démentie, et qu’aucun enlèvement n’avait été signalé, elle a entraîné des expéditions punitives dont les conséquences ont été très graves. Le décryptage de la psychanalyste Claude Halmos.

franceinfo : Comment peut-on expliquer que des gens croient à de telles rumeurs ?   

Claude Halmos : Les réseaux sociaux amplifient aujourd’hui les rumeurs. Mais le phénomène est très ancien. En 1969, par exemple, on racontait, à Orléans, que des jeunes filles étaient enlevées, pour la "traite des blanches", dans certains magasins de la ville. Et cette rumeur, qu’Edgard Morin a étudiée, a circulé, bien qu’il n’y ait jamais eu aucun enlèvement.  

Pourquoi alors, croit-on à la rumeur ?    

Il faut d’abord, pour que l’on y croie, qu’elle émane d’une source supposée fiable. Or, beaucoup de gens, aujourd’hui, croient à la fiabilité des réseaux sociaux. Il faut ensuite des preuves et là, on en a fabriqué en détournant des photos, et en jouant de plus, très habilement, sur l’idée d’une camionnette blanche, qui pouvait évoquer celle qui avait servi, pour de vrais enlèvements, à des criminels comme Dutroux ou Fourniret.

Et puis il faut surtout que la rumeur soit en adéquation avec des idées répandues. À Orléans, l’antisémitisme : les commerçants incriminés, étaient tous juifs. Et, en Seine Saint Denis, la peur de l’étranger, et le stéréotype raciste selon lequel les Roms seraient tous des voleurs.        

Y a-t-il des raisons personnelles qui poussent à croire à la rumeur ? 

L’ignorance, et la crédulité qui peut en découler, sont les deux piliers de la rumeur. Mais le fait de croire vraie une information que les autres réfutent, donne aussi, très souvent un sentiment de supériorité, l’impression d’appartenir à une élite : l’élite de ceux "à qui on ne la fait pas". Et permet, de ce fait, de se sentir supérieur aux élites officielles et socialement reconnues : les intellectuels et les scientifiques, par exemple.

En fait la rumeur entretient, pour les manipuler, des fantasmes de toute-puissance ; l’illusion que l’on pourrait s’en tenir à ses convictions, sans les vérifier, et sans avoir jamais besoin d’apprendre. Elle montre, en cela, la vulnérabilité de ceux à qui la société refuse l’accès à la connaissance et à la culture. En même temps, elle révèle des éléments d’une problématique propre à l’époque.            

Que voulez-vous dire en parlant d'une problématique propre à notre époque ?    

La croyance en la rumeur des boutiques dangereuses d’Orléans, révélait la peur qu’inspiraient aux parents de l’époque, l’émancipation de leurs filles et leur désir de plaire. La rumeur de Seine-Saint-Denis, elle, parle d’enfants qui, loin d’être des objets de désir, pourraient être enlevés pour que l’on puisse vendre, comme des pièces détachées, leurs organes. Elle tend donc à accréditer l’idée d’une sauvagerie des Roms. C’est le but.

Mais elle révèle peut-être en même temps, chez ceux qui y croient, un sentiment de dévalorisation et de précarité, suffisamment grands pour qu’ils puissent imaginer que leurs enfants pourraient n’être considérés que comme de la chair à dépecer, et à utiliser. Et cela devrait nous faire réfléchir.              

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