"La bête qui sommeille" de Don Tracy

Réédité dans la Série Noire de Gallimard, le roman de Don Tracy "La bête qui sommeille" a été d'abord publié en Angleterre en 1938 (How Sleeps The Beast), et paraît ensuite en extraits dans la revue "Combat" en 1945.
Article rédigé par Gilbert Chevalier
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2min
Craignant que la violence du récit n’entraîne des poursuites judiciaires (comme pour Sullivan/Vian et Malet), Marcel Duhamel repousse la sortie de "La bête qui sommeille" dans la Série Noire jusqu’en 1951. (SERIE NOIRE / GALLIMARD)

Ce roman, c'est l'histoire d'un lynchage, la description d'une folie collective, d'une rare violence, qui s'épanouit dans l'Amérique ségrégationniste des années 30. DonTracy nous propose donc le récit du lynchage d'un jeune noir, dans un petit port du Maryland, avec ses pêcheurs d'huîtres, ses marins, ses agriculteurs, tous ou presque au bord de la misère.

Une petite ville loin de tout, Mallsbury Crossing, avec son débit de boissons, ses marins, sa putain locale, et plus pauvres encore que les pauvres, quelques noirs qui semblent vivre dans l'ombre de cette humanité plutôt sinistre. Et dans cette communauté noire, un certain Jim Young, un journalier qui, un jour d'ivresse, va violer et tuer la prostituée de la petite ville, crime qui va déchaîner une violence raciste extrême.

À cette époque, même loin des États du Sud, un noir qui a tué et violé une blanche était un homme mort. Don Tracy décrit la montée de cette violence, jusqu'au lynchage d'un sadisme glaçant, jugé trop violent, trop sombre. Ce récit avait d'abord été refusé par les éditeurs américains, puis finalement publié en 1937.

Don Tracy n'édulcore rien de cette folie raciste collective

C'est toute la société américaine ou presque, qui en prend pour son grade. Entre la lâcheté des uns, le sadisme des autres, le racisme parfaitement assumé de presque tout le monde, l'hypocrisie des autorités, et enfin, la précarité et la pauvreté qui n'arrangent rien. C'est ce cocktail qui, sous la plume de Don Tracy, est d'une violence incroyable.

Tracy nous raconte ce lynchage qui se déroule en 24h, entre le crime du jeune noir et finalement son lynchage, au bout d'une nuit de folie. Ça commence au petit matin, dans la boutique d'un épicier cynique, où le meurtrier achète le mauvais alcool qui va lui être fatal. On y croise toute une galerie de personnages, y compris la victime, cette fille pauvre et un peu perdue, qui offre ses services aux pêcheurs du coin, la plupart du temps méprisée.

C'est pourtant elle que la population veut venger. Ça finit à la nuit tombée avec le lynchage particulièrement cruel, sadique. Le tout dans une folie et une rage collective contre les Noirs, rarement décrite dans un roman, et Don Tracy referme son récit sur le courage de deux autres noirs qui viennent chercher, au péril de leur vie, le corps de ce Jim mutilé, et finalement abandonné dans un marigot. C'est absolument sinistre, triste, poignant, mais ça éclaire incroyablement sur la vie des Afro-Américains dans ces années-là.

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