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Rencontres de Saint-Denis, électorat du RN, stratégie de Mélenchon et cinq ans des "gilets jaunes"... Le "8h30 franceinfo" de Jérôme Fourquet

Le politologue, directeur du département "opinion" de l’Ifop, était l'invité du "8h30 franceinfo", samedi 18 novembre 2023.
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Jérôme Fourquet, politologue, directeur du département "opinion" de l’Ifop, était l'invité du "8h30 franceinfo" du samedi 18 novembre 2023. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Jérôme Fourquet, politologue et directeur du département "opinion" de l'Ifop, était l'invité du "8h30 franceinfo", samedi 18 novembre 2023. Rencontres de Saint-Denis, électorat du RN, stratégie de Mélenchon et cinq ans des gilets jaunes... Il répondait aux questions de Jean-Rémi Baudot et Agathe Lambret.

Rencontres de Saint-Denis : en s'y rendant, "Jordan Bardella participe à cette stratégie d’institutionnalisation du RN"

La participation de Jordan Bardella à la rencontre de Saint-Denis, vendredi, vient contribuer à "institutionnaliser davantage" le Rassemblement national et de le "placer au centre du paysage électoral comme un des, ou le principal opposant", analyse Jérôme Fourquet, alors que l a nouvelle édition des rencontres de Saint-Denis, à l'initiative d'Emmanuel Macron, a été boycottée par les chefs de parti Insoumis, Républicain et Socialiste. 

"On rappelle que Marine Le Pen a été qualifiée par deux fois au second tour de l'élection présidentielle, que le RN dispose d'un groupe de 88 députés et ils sont aujourd'hui très installés", souligne le politologue, auteur de La France d'après. Tableau politique, aux éditions Seuil. "Ils essaient de construire encore davantage cette légitimité et de ce point de vu là, ce qu'il s'est passé dimanche dernier [la participation du RN à la marche contre l'antisémitisme à Paris] c'est un tournant dans l'histoire du parti et dans l'histoire politique française", estime-t-il. 

"Si on revient un peu en arrière, en 1990, il y a eu une grande marche contre l'antisémitisme", rappelle Jérôme Fourquet. Une marche organisée après la profanation du cimetière juif de Carpentras, dans le Vaucluse. "À l'époque, le Front national de Jean-Marie Le Pen n'était absolument pas présent dans la manifestation et il était désigné par tous comme responsable, si ce n'est matériellement, du moins moralement, intellectuellement et politiquement." Selon lui, en trente ans, "l'anathème du RN et du FN sur la question de l'antisémitisme a été en partie levé et en se rendant à cette réunion de Saint-Denis, Jordan Bardella participe à cette stratégie d’institutionnalisation du RN", conclut-il.

Électorat juif : historiquement "plutôt à gauche", il pivote "vers sa droite" depuis les années 2000

Historiquement, "le centre de gravité de l’électorat juif était plutôt à gauche", remarque Jérôme Fourquet, revenant sur une observation faite dans son nouveau livre. Mais "à partir du début des années 2000", qui correspond au "début de la deuxième Intifada dans les territoires occupés [de Cisjordanie]" et l'importation de ce conflit en France avec la montée des actes antisémites, "cet électorat commence à pivoter vers sa droite avec également le fait qu'à l'époque nous sommes sous les années Jospin et la gauche au pouvoir est très embêtée face à la montée de ce nouvel antisémitisme", explique le politologue de l'Ifop.

"Cet électorat se sent donc abandonné, menacé, il quitte ses quartiers et se droitise progressivement", poursuit-il. "C'est d'abord Alain Madelin en 2002 qui capte une partie de cet électorat, puis Nicolas Sarkozy, qui fait 50% dans l'électorat juif en 2007 et la dernière étape de cette droitisation c'est les scores spectaculaires d'Éric Zemmour, dans l'électorat juif l'an dernier", détaille Jérôme Fourquet.

Israël-Hamas : "Jean-Luc Mélenchon fait le pari de parler à sa base électorale la plus dure"

Sur la question de la guerre entre Israël et le Hamas et la question de l'antisémitisme, "Jean-Luc Mélenchon a pris des positions très tranchées, très affirmées", note Jérôme Fourquet. "Lors de la manifestation de dimanche [contre l'antisémitisme], c'était La France insoumise et Jean-Luc Mélenchon qui étaient absents", souligne-t-il, faisant le parallèle avec l'absent du Front national lors de la marche de 1990 après la profanation du cimetière de Carpentras. "Sur cette question il y a eu une espèce de chassé-croisé, qui nous fait dire qu'on a basculé dans une France d'après où les repères se sont en partie inversé."

"Jean-Luc Mélenchon fait le pari de parler à sa base électorale la plus dure, il considère que sur cette question-là il faut qu'il se démarque très fortement pour parler, estime-t-il, à la France des quartiers, des cités, à l'électorat de confession musulmane", ajoute le politologue. "Je pense que le but est de consolider cette base et d'aller chercher des abstentionnistes", poursuit-il. "Ils sont persuadés qu'il y a une armée de réserve dans l'abstention dans les quartiers populaires."

Interrogé sur l'électorat plus urbain et de centre-gauche, qui pourrait ne plus se tourner vers LFI, Jérôme Fourquet estime que "Jean-Luc Mélenchon a un souverain mépris pour cet électorat là et il considère qu'au bout du bout, cet électorat lui reviendra", grâce à une dynamique de "vote utile". 

Cinq ans du mouvement des "gilets jaunes" : "Le terreau est toujours là", "une étincelle pourrait faire repartir les choses"

Cinq ans après la naissance du mouvement des "gilets jaunes", "le terreau est toujours là", estime Jérôme Fourquet. "Ce qui change, peut-être, c'est que le gouvernement est très conscient d'être face à une situation hautement inflammable et il fait tout pour essayer de maintenir la température à un niveau raisonnable", poursuit le politologue. 

En 2018, la hausse de la taxe carbone sur les carburants a déclenché un important mouvement de contestation. À partir du 17 novembre, des manifestants vêtus d'un gilet jaune ont commencé à se rassembler tous les samedis, en organisant dans un premier temps des blocages de routes ou de ronds-points. "À l'époque, le prix du litre de diesel était d'un euro quarante, aujourd'hui, on est à deux euros. Aujourd'hui, on a 40% de la population qui nous dit avoir réduit les portions alimentaires qu'on sert à table à la maison. Les ferments sociaux sont toujours là", explique Jérôme Fourquet.

À cela s'ajoute, "le sentiment de ne pas être reconnu, l'absence de référendum d'initiative en direction de la population". Ainsi, poursuit-il "une étincelle pourrait faire repartir les choses". Et comme en 2018, "il n'y aura pas de faire-part".

Référendum d'initiative citoyenne : "L'une des voies" pour sortir de la "crise démocratique"

Le directeur du département "opinion" de l'Ifop rappelle que les gilets jaunes réclament l'instauration d'un référendum d'initiative citoyenne (RIC). Sans se prononcer en faveur du RIC, Jérôme Fourquet estime qu'une réforme d'un référendum d'initiative partagée peut être "l'une des voies" pour sortir de la "crise démocratique" que connaît la France "depuis plusieurs décennies maintenant". Il nuance : "Même si ce ne serait pas forcément la réponse ultime, ce serait de rendre la parole plus fréquente à la population par le truchement du référendum". 

Car aujourd'hui, le référendum d'initiative partagée doit être "porté par une centaine de parlementaires" et "10 % du corps électoral doit se mobiliser et signer la demande d'ouverture d'un référendum". Or, "c'est une jauge qui est excessivement élevée. Ça fait 4,7 millions de Français qui doivent pétitionner, ce qui ne s'est jamais produit", souligne le politologue. Selon lui, "ramener à un million la jauge pour l'ouverture du référendum pourrait être une solution intéressante".

Pour appuyer son propos, Jérôme Fourquet prend l'exemple de la réforme des retraites qui a suscitée une forte mobilisation. "Les organisations de gauche et les organisations syndicales ont mobilisé tous leurs militants pour faire signer cette fameuse pétition. On arrivait au mieux à un million et demi de signataires".

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Retrouvez l'intégralité du "8h30 franceinfo" de Jérôme Fourquet, le samedi 18 novembre 2023 :

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