Fin de vie : "L'Etat ne doit en aucune manière se donner l'autorisation de tuer quelqu'un", selon Philippe Juvin
"L'État ne doit en aucune manière se donner l'autorisation de tuer quelqu'un", affirme lundi 11 mars sur franceinfo Philippe Juvin, député Les Républicains des Hauts-de-Seine, chef des urgences de l’hôpital Georges Pompidou à Paris, au lendemain des annonces sur le futur projet de loi pour "une aide à mourir".
franceinfo : Approuvez-vous le projet de loi sur la fin de vie proposé par Emmanuel Macron ?
Philippe Juvin : Tous les jours en tant que médecin, j'aide les gens à mourir. On aide les gens à mourir en les accompagnant, en les soulageant. Mais nous n'injectons pas des médicaments pour les tuer. Emmanuel Macron veut dire que dorénavant, on pourra demander à un médecin d'injecter un médicament qui fera mourir les gens, ce qui n'était évidemment pas le cas. Ça l'a été à une époque, de manière illégale, avant qu'on crée les soins palliatifs.
Quand j'ai commencé médecine, il y a trente ans, il existait des pratiques où on administrait à des patients en fin de vie des médicaments dans le but d'accélérer leur mort, parce qu'on n'avait pas le choix. Aujourd'hui, ce qui existe, c'est la sédation profonde : quand vous êtes en phase toute terminale et que vous souffrez, vous pouvez demander à être endormi, c'est la loi Leonetti. Ça, je l'ai fait, et je le fais, mais nous ne le faisons pas pour causer la mort, mais pour soulager les gens.
Pourquoi parler d'aide active à mourir et pas d'euthanasie ou de suicide assisté ?
Emmanuel Macron ne veut pas heurter et donc il n'utilise pas les bons mots : ce qui nous est proposé, c'est de l'euthanasie, comme ça existe dans un certain nombre de pays. Là où je suis inquiet, c'est que dans les pays où ça a été légalisé, on a fixé au début, quand la loi a été votée, des limites en disant que ça s'adressera à telle catégorie de patients et pas à telle autre, et on a vu avec le temps une déviation avec une déviance, avec des catégories auxquelles c'était interdit au début, et pour lesquelles c'est devenu autorisé. En Belgique par exemple, depuis 2014, l'euthanasie est autorisée aux mineurs, aux enfants.
L'État ne doit en aucune manière se donner l'autorisation de tuer quelqu'un. Robert Badinter s'était exprimé sur l'euthanasie, disant que jamais l'Etat ne peut enlever la vie à quelqu'un. À partir du moment où c'est un principe, vous ne pouvez pas y mettre des exceptions, parce que si vous en inventez une, vous en inventerez une deuxième puis une troisième...
"Ce qui nous manque en France, ce sont des soins palliatifs. En fin de journée aujourd'hui, 500 personnes en France sont mortes sans avoir eu accès à des soins palliatifs alors qu'elles auraient dû y avoir accès. Le vrai sujet, c'est comment on aide les gens à mourir avec les soins palliatifs."
Philippe Juvin, député Les Républicainsà franceinfo
La généralisation des soins palliatifs en France est l'autre jambe de ce projet de loi à venir. Quelle est la réalité ?
C'est toujours pareil, on est dans la communication : l'annonce du président de la République, c'est quelques milliards d'euros. Ce qui va être sur la table pour développer les soins palliatifs, ça représente 1,50 euro par Français et par an. Donc on n'y est pas du tout : il nous manque des unités de soins palliatifs, il nous manque des unités mobiles. Le Conseil consultatif national d'éthique avait dit une chose très simple : ne légalisez pas l'euthanasie, ce que le gouvernement veut faire, tant que vous n'avez pas mis à niveau les soins palliatifs.
Pourquoi ? Le risque, c'est que les gens demandent l'euthanasie par défaut d'accès aux soins palliatifs. Le deuxième risque, c'est la pression sociale : vous ne servez à rien, vous êtes un poids pour la famille, pour les autres, et donc vous décidez d'aller vers l'euthanasie. Je suis médecin depuis plusieurs années, j'ai eu plusieurs demandes d'euthanasie dans ma carrière : toutes les demandes d'euthanasie ont disparu au moment où vous apportez une réponse à la souffrance psychique, à la souffrance physique ou à l'isolement. La question n'est pas de proposer de l'euthanasie mais de proposer des solutions aux raisons de cette euthanasie.
La question a été posée notamment dans le cadre de cas retentissants de malades qui n'en finissent pas d'être en soins palliatifs, en état de mort cérébrale pour certains, qu'on maintient en vie trop longtemps. Que répondre à cela ?
Il y a eu quelques cas médiatisés, je n'en disconviens pas. On ne peut pas donner l'euthanasie à quelqu'un qui ne pourra pas s'y opposer. Les cas qu'on nous met sur la table, qui sont ces gens dans le coma, ne peuvent pas dire non. Certaines personnes en France demandent qu'on puisse donner l'euthanasie à partir de directives anticipées : les gens deviennent déments, ne peuvent plus s'exprimer, mais à partir du moment où ils auraient dit cinq ou dix ans avant qu'ils voudraient dans ce cas-là être euthanasiés, ils ne pourront pas se défendre. J'espère que ce ne sera pas le cas.
Nous les médecins, nous sommes là pour défendre les plus vulnérables. Quand je rentre dans la chambre d'un patient en blouse blanche, je ne veux pas qu'il ait à se poser la question de la raison de ma venue. Il ne faut pas qu'il ait un doute. Moi médecin, je suis là pour soulager et aider, accompagner les gens vers la mort, mais pas provoquer la mort. Je serai défavorable à ce projet de loi parce que dans tous les pays où ça a été légalisé, il y a eu une extension du domaine d'application : au Luxembourg, en Belgique, en Hollande, en Espagne, l'euthanasie est ouverte aux malades mentaux. Tous les jours aux urgences et en réanimation, nous recevons des gens qui ont fait des tentatives de suicide. Que doit-on faire demain ? On continue à les réanimer ou on ne les réanime pas, puisqu'on aura légalisé le suicide assisté ? On entre dans un monde où les repères sont tous perdus.
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