Philippe Aghion : "Je suis favorable à la mise en place d’un impôt négatif, qui ferait percevoir un chèque aux revenus modestes"
Comment diminuer les inégalités provoquées par la crise du Covid ? Quelles sont les conséquences des innovations sur la croissance et l'emploi ? L’économiste Philippe Aghion était l’invité de Jean-Paul Chapel dans « l’éco » pour apporter des éléments de réponse.
L'économiste Philippe Aghion est professeur à la London School of Economics et au Collège de France, où il dirige la chaire "Institutions, Innovation et Croissance". Ses travaux portent principalement sur les théories de la croissance et de l’innovation. Face à une crise qui augmente les inégalités et la pauvreté, Philippe Aghion considère que les mesures déjà prises (comme la hausse de la prime de rentrée scolaire) sont bienvenues mais pas suffisantes : "Les inégalités semblent frapper plus durement les plus pauvres, à travers leurs emplois. La précarité touche également les enfants qui n’ont pas pu être scolarisés pendant la crise ; les enfants issus de famille modeste ont beaucoup plus soufferts que ceux issus de famille aisée. Le covid a exacerbé les inégalités, c’est un fait. " Il se prononce en faveur de la mise en place d’une mesure théorisée par l’économiste libéral Milton Friedman : l’impôt négatif. Ce système ferait automatiquement percevoir un chèque aux ménages en dessous d’un certain niveau de revenu : "Aujourd’hui, il faut faire des formalités pour percevoir le RSA, et il y a trop de disparités entre les différents minima sociaux. Avec un système d’impôt négatif, ils seraient unifiés, et permettraient de réduire la précarité et les inégalités"
"L’automatisation et la robotisation créent davantage d’emplois qu’elles n’en détruisent"
Philippe Aghion fait de l’innovation le moteur fondamental de la croissance économique. Son dernier ouvrage "Le Pouvoir de la destruction créatrice" co-écrit avec Céline Antonin et Simon Bunel aux éditions Odile Jacob, entend donner une nouvelle dimension au concept de destruction créatrice, popularisé au siècle dernier par Joseph Schumpeter (économiste autrichien qui, comme Philippe Aghion, a enseigné à Harvard). La destruction créatrice est le processus de disparitions d’activités productives, remplacées par de nouvelles activités du fait du progrès technique. Philippe Aghion souhaite remettre à jour ce concept, et rassurer sur ses conséquences. À l’inverse de l’idée reçue, il explique que l’automatisation et les robots créent davantage d’emplois qu’ils n’en détruisent. "Nous avons fait une étude sur des données d’entreprises et d’établissements français. Nous nous sommes rendus compte que plus une entreprise automatise, plus elle créée des emplois, y compris non qualifiés. Certes, il y a d’un côté une substitution où l’on remplace des hommes par des machines, mais cet effet est plus que compensé par le fait que les entreprises qui automatisent plus ont en réalité moins délocalisé, et ont élargi leur marché. Cela leur fait donc des commandes supplémentaires, et elles ont pu augmenter l’emploi. Cet effet de productivité l’emporte donc sur l’effet de substitution. Cela explique pourquoi dans l’Histoire, les grandes révolutions technologiques n’ont jamais produit de chômage de masse qu’on attendait d’elles ", citant les révolutions industrielles consécutives à l’invention de la machine à vapeur et de l’électricité. Il se dit donc opposé à une taxation des robots, qui viserait à désinciter les entreprises d’y recourir pour limiter les licenciements : "Taxer les robots équivaudrait à se tirer une balle dans le pied. Maintenant, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas avoir des malus pour des firmes qui licencient à tour de bras, et qui n’embauchent que sur des CDD"
"Avec la flexisécurité, vous avez des garanties de revenu et de formation pour rebondir sur de nouveaux emplois"
Philippe Aghion admet toutefois que ce ne sont pas des emplois dans le même secteur qui sont occupés par les personnes occupants les emplois qui ont été détruits. Face à cela, le membre du Cercle des économistes milite pour une "vraie flexisécurité" (la flexisécurité correspond à la mise en place de mesures visant à simplifier le licenciement par les entreprises, tout en renforçant le système d'indemnisation des salariés licenciés et des mécanismes de retour à l’emploi. Ce système a été inauguré au Danemark dans les années 1990) : "Ma co-autrice Alexandra Roulet a montré qu’au Danemark, perdre un emploi n’a aucune incidence sur la santé, car vous avez des garanties de revenu et de formation pour rebondir sur de nouveaux emplois. Je pense qu’il faut mettre une vraie flexisécurité à la danoise, qui serait complémentaire à l’impôt négatif."
Étant un des inspirateurs du programme économique d’Emmanuel Macron lors de la présidentielle de 2017, Philippe Aghion a également été opposé au maintien de l’impôt sur la fortune, qui fut abrogé l’année suivante : "J’étais pour appliquer les mêmes réformes que les Suédois, et globalement les scandinaves l’ont fait, c’est-à-dire garder un impôt sur la fortune foncière (l’IFI désormais) mais supprimer l’ISF. Je suis également favorable à la taxation du capital à 30 %" (appelée flat tax). Il ne considère pas l’augmentation des inégalités, récemment mise en avant par France Stratégie, comme dommageable : "Automatiquement, les plus hauts revenus ont augmenté." concède-t-il. "Mais il faut surtout observer la mobilité sociale, c’est-à-dire voir si le revenu est déterminé par le revenu de ses parents ou s’il y a une mobilité de revenu ; il faut aussi regarder l’inégalité globale, c’est-à-dire l’écart global de la société à l’égalité parfaite. Les réformes suédoises qui nous inspirées n’ont pas augmenté l’inégalité globale, et n’ont pas réduit la mobilité sociale."
Mais comment relancer l’ascenseur social ? Philippe Aghion conclut en ouvrant des pistes pour l’avenir : "Je pense qu’il y a trois grands chantiers à mener, révélés par la crise du Covid. Il faut tout d’abord réindustrialiser, non en relocalisant des usines qui sont en Chine, mais en créant de nouvelles activités. Ensuite, il faut pouvoir faire davantage confiance à la société civile. Enfin, il faut restaurer le dialogue social."
« Le Pouvoir de la destruction créatrice » de Philippe Aghion, Cécile Antonin et Simon Bunel. Éditions Odile Jacob.
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