Enquête France 2 Electricité : comment des comparateurs de prix favorisent certains fournisseurs au détriment des clients

Article rédigé par France 2 - Hugo Puffeney
France Télévisions
Publié Mis à jour
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"Complément d'enquête" s'est intéressé aux pratiques des comparateurs de fournisseurs d'électricité en ligne. (FRANCE 2)
"Complément d'enquête" révèle que l'activité principale de Selectra et Papernest consiste en réalité à orienter les clients sur leur plateforme téléphonique et leur vendre un contrat. Quitte à faire payer plus cher.

Ils trustent les meilleures places sur les moteurs de recherches en ligne. Ces sites promettent tous de "comparer les offres" des fournisseurs et de "réduire la facture". Ils proposent un "service rapide et gratuit" pour s'y retrouver parmi la trentaine de fournisseurs alternatifs d'électricité et leurs grilles tarifaires. "Complément d'enquête" s'est intéressé aux comparateurs de prix, révélant des pratiques surprenantes qui avantagent souvent les fournisseurs, au détriment de clients à la recherche d'une information fiable.

Parmi ses sites, au moins huit sont en réalité des clones du même comparateur : Selectra. Sur chacun d'entre eux, on trouve un numéro de téléphone. Derrière ces numéros, un des centres d'appel de l'entreprise, dans lequel "Complément d'enquête" s'est infiltré, pour en connaître les coulisses. Nous y avons rencontré un vendeur expérimenté. Lors d'un appel, il demande à une cliente qui emménage et cherche l'offre la plus économique pour elle : "Est-ce-que vous avez peut-être directement le numéro du compteur ?" Il lui pose ensuite une série de questions sur le "type de chauffage" ou "le ballon d'eau chaude" de son logement.

"On te demande un contrat par heure"

"Je suis la petite trame, ma petite estimation" de la consommation de la cliente, explique-t-il. Mais devant nous, le conseiller n'utilise pas de comparateur, il se connecte directement sur le site de TotalEnergies, le seul sur lequel il va faire une estimation de prix. Au bout de quelques minutes, il suggère à la cliente de souscrire... chez TotalEnergies. Et le vendeur de se justifier : "Pourquoi ? Parce qu'ils bloquent le prix unitaire du kilowattheure et le prix de l'abonnement pendant un an. Vous évitez de subir les augmentations prévues par l'Etat... euh... au mois de février." Au bout de 30 minutes, la cliente signe son contrat. "J'ai voulu lui faire un contrat Total, donc je suis allé direct sur Total", reconnaît-il, laconique.

"Complément d'enquête" sur les comparateurs en ligne

L'homme, en revanche, est bien plus disert sur les objectifs de vente de son employeur et les pratiques qui en découlent : "On te demande un contrat par heure, et un contrat tous les trois appels surtout. Ce n'est pas évident. Ton objectif, c'est d'arriver à faire les quotas le plus vite possible." A la pause déjeuner, l'un des responsables va plus loin et avoue mettre en avant certains fournisseurs. Les téléconseillers seraient ainsi incités à vendre certaines offres plus que d'autres par un système de crédits et de primes.

"Il y a des fournisseurs qu'on va plus ou moins pousser. Chaque vente rapporte des crédits. Et les crédits, c'est rapporté à l'heure. Plus tu as un taux de crédits à l'heure élevé, plus tu as une prime élevée."

Un responsable de Selectra

à "Complément d'enquête"

Quitte à faire payer plus cher le consommateur, sans le lui dire. "Le but, c'est toujours de faire changer le client de fournisseur. Clairement, il y a des fois où l'offre ne sera pas forcément plus intéressante que ce que le client a actuellement."

"On devait vendre telle ou telle offre"

Selon des données internes d'un fournisseur alternatif, obtenues par "Complément d'enquête" et la revue XXI, Selectra facturait 52,60 euros par contrat en juillet 2021. Selon ces tableaux, la société pouvait ramener à ce fournisseur jusqu'à 2 000 clients par semaine en janvier 2023. Selectra, sollicité par courriel et par téléphone, a choisi de ne pas répondre à nos questions. TotalEnergies n’a pas souhaité commenter les pratiques de Selectra.

Selectra n'est pas le seul à être rémunéré. Nous avons obtenu une grille de rémunération, négociée pendant plusieurs semaines et signée entre Papernest, un autre comparateur en ligne, et un fournisseur, pour l'année 2024. Selon ce document, il apparaît que le prix moyen payé par le fournisseur change selon le volume de contrats : plus le comparateur décroche de clients, plus il fait monter la facture. Selon nos informations, un client rapporté peut ainsi coûter autour de 150 euros au fournisseur.

Ces grilles tarifaires sont très confidentielles. Papernest "négocie à l'aveugle pour faire payer plus. Ils vont nous dire, par exemple, que tel fournisseur paye plus que nous pour faire monter les prix", confie un fournisseur alternatif, agacé.

"Ce sont des flibustiers qui sont là pour faire de l'argent."

Un fournisseur d'électricité

à "Complément d'enquête"

Sollicité, Papernest ne souhaite pas donner le montant des commissions "pour protéger des informations sensibles". Une ex-employée de Papernest ayant requis l'anonymat affirme que les conseillers avaient pour mission de vendre le contrat proposé par un "algorithme", un logiciel qui, selon elle, ne renvoyait pas toujours les meilleures offres. "Si on ne respectait pas l'algorithme, on était pénalisés sur nos primes." Elle explique donc ne pas avoir hésité à "omettre des détails, parce qu'on devait vendre telle ou telle offre". Papernest avance de son côté que le prix n'est pas le seul critère recherché par les clients et assure sélectionner rigoureusement les offres proposées.


"Electricité, l'injuste prix", le nouveau numéro de "Complément d'enquête", est diffusé jeudi 7 mars sur France 2 à partir de 23 heures et peut être revu en replay sur franceinfo et sur france.tv.

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