: Vidéo "Affaires sensibles". Sur le mystère des noyés de la Deûle plane l'ombre de l'extrême droite lilloise
C'était il y a une quinzaine d'années, à Lille. Dans la ville étudiante, la vie nocturne n'est alors plus la même, depuis une succession de noyades mystérieuses dans la Deûle. En moins d'un an (entre octobre 2010 et septembre 2011), les corps de quatre jeunes hommes y ont été repêchés. Qu'est-il arrivé à John Ani, Thomas Ducroo, Jean Mériadec Le Tarnec, Lloyd Andrieu, disparus après avoir fait la fête avec des amis ?
Les enquêteurs penchent pour des noyades accidentelles après une consommation excessive d'alcool, de stupéfiants pour certains. Mais la ville bruit de rumeurs : et s'il s'agissait de crimes homophobes ? John Ani était homosexuel ; Thomas Ducroo ne l'était pas, mais le soir de sa disparition, il sortait d'un bar gay.
Autour du jardin Vauban, la piste homophobe
Coïncidence troublante, les corps ont été retrouvés aux abords d'un lieu de rencontre emblématique de la communauté gay : le jardin Vauban, qui jouxte le canal de la Deûle. Dans les parages, les agressions homophobes n'étaient pas rares, rappelle le journaliste Tomas Statius, auteur de Les Morts de la Deûle, une enquête dans le Nord (JC Lattès, 2021). Pourtant, la police ne creusera pas cette piste, qu'elle juge peu réaliste.
Les investigations s'enlisent, mais la macabre série reprend très vite. Le 23 novembre 2011, un cinquième corps est repêché : celui d'Hervé Rybarczyk, un guitariste de 42 ans qui n'avait plus donné signe de vie après le dernier concert de son groupe de punk-rock, douze jours plus tôt. Le musicien était suivi pour des addictions et venait de perdre son frère et un ami ; il n'en faut pas plus pour que la police conclue au suicide et classe l'affaire.
C'est pourtant cette affaire qui va mener à une autre piste, sur laquelle a enquêté Tomas Statius : celle de l'extrême droite lilloise. A l'époque de ces disparitions, les néo-nazis locaux aiment bien faire régner la terreur dans "Lille by night". Leurs principales cibles : les militants antifascistes et les homosexuels…
Rebondissement en 2015
En janvier 2015, l'affaire va s'éclairer d'un jour nouveau avec l'interception des confidences d'un skinhead d'extrême droite incarcéré pour violences. Il aurait été mêlé à un meurtre à Lille, raconte-t-il au téléphone à sa petite amie, où serait aussi impliqué l'un de ses familiers. Celui-ci, un certain Yohan Mutte, est "l'une des figures les plus visibles d'une bande de skinheads qui agissent dans les rues de Lille", précise Tomas Statius. L'individu est membre des JNR, les Jeunesses nationalistes révolutionnaires, le service d'ordre du groupuscule Troisième Voie. Et il a déjà été condamné, en 2013, pour violences dans un bar gay.
L'enquête s'oriente alors vers cette piste. Elle a pu établir que Yohan Mutte et deux de ses acolytes ont bien agressé Hervé Rybarczyk ce soir-là sur les rives de la Deûle. Ils nient être responsables de sa mort, mais le faisceau d'indices est suffisant pour qu'en avril 2017, ils soient mis en examen et placés en détention provisoire. Les autres victimes auraient-elles pu elles aussi croiser leur route ? Les enquêtes, classées sans suite en 2014, sont rouvertes.
Des écoutes sont menées par les gendarmes au domicile d'un membre du groupe. Elle font apparaître, explique Tomas Statius, que "la bande constituée autour de Yohan Mutte et d'autres militants skinheads du nord de la France agressait de manière assez fréquente des homosexuels au jardin Vauban". Parfois, à leurs dires, "jusqu'à une fois par semaine". Mais aucune preuve pour les relier aux autres noyades de la Deûle ne sera trouvée… En avril 2018, les trois hommes bénéficient d'une libération conditionnelle, mais ils restent mis en examen.
Extrait de "Le mystère des noyés de la Deûle", à voir le 6 octobre 2024 dans "Affaires sensibles(Nouvelle fenêtre) ", une coproduction France Télévisions, France Inter et l'INA, adaptée d’une émission de France Inter.
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