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Faut-il supprimer la réserve parlementaire ?

La publication de la liste des subventions allouées en 2011 au titre de la réserve parlementaire relance le débat sur cette enveloppe opaque de 150 millions d'euros.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
En 2011, les députés et sénateurs ont versé 150 millions d'euros aux collectivités locales au titre de la réserve parlementaire. (JOEL SAGET / AFP)

Sus à la réserve parlementaire. Après plus de deux ans de bataille administrative, Hervé Lebreton, président de l'association Pour une démocratie directe, a publié, mercredi 9 juillet, la liste des subventions allouées aux collectivités territoriales par les 925 sénateurs et députés en 2011. Cette première historique a mis au jour certains abus et relancé du même coup le débat sur l'une des enveloppes les plus controversées et secrètes de la République.

"Mon but est de supprimer la réserve parlementaire, confie Hervé Lebreton à francetv info. C'est un passe-droit que je ne peux pas accepter." Il dénonce un système opaque, clientéliste et illégitime. Qu'en pensent les principaux intéressés ? Francetv info leur a posé la question. 

Des règles opaques

Les faits. Il n'existe aucune règle écrite encadrant la pratique de la réserve parlementaire. C'est ce qu'a reconnu le tribunal administratif de Paris le 23 avril, dans le jugement qui a sommé le ministère de l'Intérieur de communiquer le document à Hervé Lebreton. Cette pratique, "qui n'est prévue par aucun texte", résulte "d'un accord de principe intervenu entre le gouvernement et chacune des deux assemblées du Parlement en fin de lecture du projet de loi de finances".

La réserve parlementaire versée aux collectivités locales figure dans le budget du ministère de l'Intérieur sous le nom d'"aides exceptionnelles aux collectivités territoriales, programme 122-01". C'est sous ce vocable, ou sous celui de subventions demandées au ministère de l'Intérieur, que l'on retrouve la réserve dans les comptes rendus de conseils municipaux (exemples ici et ). Certains parlementaires ont pris l'initiative de rendre publique la façon dont ils dépensent leur enveloppe, comme l'explique Libération. Mais s'ils ne décident pas eux-mêmes de publier leur réserve parlementaire, il est difficile pour le contribuable de connaître les sommes versées et les critères d'attributions.

Pour la suppression. Partisan de la transparence puis de la suppression de la réserve parlementaire, le député René Dosière, apparenté PS, dénonce une "distribution discrétionnaire". "Comment peut-on admettre que des parlementaires distribuent de l'argent public selon leur bon vouloir ?", s'interroge celui qui a publié sur son blog le détail de sa réserve.

"Ce système n'assure pas la meilleure utilisation de l'argent public possible, argumente-t-il pour francetv info, avant de préciser : cette remarque ne concerne pas que la réserve parlementaire, mais toutes les distributions discrétionnaires, ministérielles ou déparmentales."

Contre la suppression. Interrogé par francetv info, le président de la commission des Finances du Sénat, Philippe Marini (UMP), balaye les critiques. "Ces crédits sont affectés dans le respect de toutes les procédures de comptabilité publique, et les actions ou équipements qui en bénéficient font l'objet de délibération publique", rappelle-t-il.

Le sénateur, qui a versé 2,77 millions d'euros de réserve parlementaire en 2011, juge superflue toute règle supplémentaire. "Les parlementaires ne sont pas des mécaniques qui se bornent à appliquer des règlements, c'est toute la différence entre un responsable politique et un fonctionnaire", explique-t-il, tout en reconnaissant que "la transparence [proposée par un amendement du Sénat et appliquée à la fin de l'année à l'Assemblée nationale] aura des vertus".

Un système clientéliste

Les faits. Le "fichier Lebreton" a mis au jour des usages pour le moins contestables de la réserve parlementaire et une répartition inéquitable de l'enveloppe. Ainsi, le député du Val-de-Marne Gilles Carrez (UMP) a accordé 3,751 millions d'euros à la commune dont il est le maire, relève Le FigaroLaurent Fabius a lui versé 50 000 euros au village de sa résidence secondaire.

Plus préoccupant, l'ancien président du Sénat Gérard Larcher a alloué 83% des 3,13 millions d'euros de sa réserve à des communes dont les maires votaient cette année-là pour les élections sénatoriales. En outre, comme le montre le classement établi par Europe 1, les hauts responsables des deux assemblées ont une enveloppe bien plus importante que les autres parlementaires, avec un record de 11,9 millions d'euros pour le président de l'Assemblée nationale de l'époque, Bernard Accoyer.

Pour la suppression. Pour René Dosière, "ce système peut aboutir à des conflits d'intérêts", notamment au Sénat. "Si vous faites le rapport entre les grands électeurs du Sénat et les montants distribués, nous sommes dans des dérives inacceptables (...) Dans un certain nombre de cas, il est clair que les sénateurs achètent des voix", regrette-t-il. De fait, les sénateurs ont dépensé, en 2011, 60 millions d'euros, ce qui représente 835 euros pour chacun des 71 890 électeurs des sénatoriales cette année-là. 

Contre la suppression. Favorable à la transparence, qu'elle applique, mais opposée à la suppression, la sénatrice de l'Oise Laurence Rossignol (PS) estime que la transparence réglera le problème. "A partir du moment où vous publiez, vous vous mettez en situation de devoir rendre des comptes. Cela soumet la réserve parlementaire à un contrôle a posteriori", développe-t-elle, contactée par francetv info. Et de parier que Gilles Carrez ne dépensera pas sa réserve de la même manière sous la pression des maires des autres communes de sa circonscription qui n'ont rien touché en 2011.

Philippe Marini rétorque qu'il n'est pas possible de mesurer l'effet électoral de la réserve parlementaire. "Les subventions ne sont jamais satisfaisantes pour la personne subventionnée, assure-t-il. Et celui dont vous ne retenez pas le dossier va vous en vouloir, c'est à double tranchant." Quant aux inégalités entre parlementaires, dont il a bénéficié comme rapporteur du Budget au Sénat, il estime qu'elles récompensent le travail fourni. "Gilles Carrez, qui était rapporteur général du Budget, a passé des jours et des nuits à l'Assemblée nationale. Sa disponibilité pour sa commune a été réduite. Qu'il y ait une compensation visible pour ses administrés, cela me semble assez juste", explique-t-il.

Une enveloppe illégitime

Les faits. Distribuer de l'argent public est d'abord du ressort de l'Etat. Ce rôle du député dans le financement des collectivités locales et des personnes privées (pour le cas des associations) n'est d'ailleurs défini par aucun texte. Il pose en outre un problème de séparation des pouvoirs : selon la Constitution, le Parlement contrôle l'action du gouvernement et évalue les politiques publiques. Dans le cas de la réserve, les parlementaires ont la double casquette : décideur et contrôleur.

Pour la suppression. "On n'est pas élu pour cela", abonde la députée du Calvados Isabelle Attard (Europe Ecologie-Les Verts). Elle estime que ces subsides devraient être accordés par les départements ou les régions et critique ceux qui estiment que la réserve est essentielle pour être proche de ses administrés : "On est au contact de ses administrés quand on sillonne sa circonscription, je n'ai pas besoin d'une enveloppe pour faire mon travail."

Même constat du côté de l'élu du Nord Gérald Darmanin (UMP), qui souligne cependant que les électeurs ont leur part de responsabilité. "L'écrasante majorité des citoyens n'attendent pas des parlementaires une intense activité législative mais bien une résolution des problèmes du quotidien (emploi, sécurité, logement, voierie...)." Il propose donc de réduire le nombre de députés, d'agrandir les circonscriptions et de limiter le cumul des mandats dans le temps pour diminuer la pression des élus et administrés sur le député.

Contre la suppression. "Ces crédits sont les seuls à être directement affectés par les parlementaires, c'est un tout petit peu de pouvoir parlementaire dans un système totalement dominé par le pouvoir exécutif", répond Philippe Marini, qui juge que "s'il y a des parlementaires, ce n'est pas simplement pour appuyer sur un bouton" de vote.

"La réserve est un bon moyen de maintenir le lien entre les communes, les habitants et les parlementaires", abonde Laurence Rossignol. La sénatrice de l'Oise redoute, "pragmatiquement", que les crédits disparaissent avec la réserve parlementaire : "150 millions d'euros pour les territoires, on ne tire pas un trait là-dessus comme ça."

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