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Qui veut la peau de François Bayrou ?

PAU - L'ancien enfant chéri du Béarn est en grande difficulté dans la course à la députation. En choisissant de voter pour François Hollande à la présidentielle, il a peut-être signé son arrêt de mort politique. Reportage.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une affiche de campagne de François Bayrou, à Pau (Pyrénées-Atlantiques), le 6 juin 2012. (CHRISTOPHE RAUZY / FTVI)

Au pied de pics pyrénéens embrumés, les caractères sont parfois durs et les rancœurs tenaces. Depuis quelque temps, l’ambiance du Béarn rappelle celle de Twin Peaks, la célèbre série américaine, où une jeune étudiante, adorée de tous, est assassinée. Qui est la victime ? Quel est le mobile du crime ? Qui sont les suspects ? Dans la 2e circonscription des Pyrénées-Atlantiques, le funeste destin promis à François Bayrou, ancien "enfant chéri du pays" donné cette fois battu aux législatives, soulève les mêmes questions. Enquête sur une mort politique annoncée.

• Une future victime ?

"Il est cramé", "il est foutu", "il est mort". Malgré les prophéties qui bruissent dans les rues de Pau, c’est bien vivant, et même souriant, que François Bayrou entame un porte-à-porte de campagne dans le quartier dit "difficile" de l’Ousse des Bois, à Pau. La chaleur est un peu étouffante, le député sortant a tombé la veste, mais pas la cravate. Car il n’est pas seul. Un mur de journalistes et de caméras l’attend devant une épicerie orientale. L’ex-candidat à la présidentielle, habitué des safaris médiatiques, prévient d’un doigt menaçant : "Vous me laissez parler aux gens, vous ne me collez pas. Utilisez vos zooms si vous voulez des images." Une équipe du "Petit Journal" de Canal+ est présente, pas question de déraper.

L’accueil des habitants du quartier est cordial. Quelques-uns lui objectent quand même : "Il ne faut pas venir uniquement pour les élections." "En trente ans, moi, je ne l’ai vu qu’une seule fois ici", assure un quinquagénaire. Dans le club de boxe local, dans une boucherie halal, devant un étal de légumes, le candidat écoute, discute, et fait noter les numéros de téléphone des gens qui lui exposent leurs problèmes. Le quartier vote massivement à gauche et c’est de ce côté que cherche le centriste, car la droite locale est vent debout contre lui.

Crédité de 30% d’intentions de vote dans les sondages, il est surtout donné battu au second tour en cas de triangulaire (le scénario le plus probable) avec 33% des voix, contre 43% à la candidate socialiste et 24% au prétendant UMP. A la présidentielle, dans son département, il est également passé de 29,6% en 2007 à 15,6% en 2012. 

Pourtant, après une interview pour une radio locale, où il a parlé transports et emploi, François Bayrou l’assure, il n’est pas encore mort. "Les Béarnais aiment les gens courageux", argumente-t-il.

Bayrou : "Les Béarnais aiment les gens courageux" (FTVi)
 IMAGES PATRICE MACHURET / OLIVIER TIETH / FRANCE 3

• Le mobile 

Le Béarnais est rancunier. Dans la fraîcheur de la halle, au marché place du Foirail, dès qu’on parle de l’ancien allié de la droite locale, les mots deviennent durs. "On se sent trahis, clame André, professeur à la retraite de 66 ans, plutôt tendance UMP, qui ne pardonne pas à François Bayrou sa position d'entre-deux-tours : Il a dit qu’il votait Hollande pour le second tour de la présidentielle, c'est inacceptable. Je préfère encore que la gauche gagne plutôt que de voter pour lui." 

"Mais il n’a que ce qu’il mérite !" renchérit Marie-Christine, 73 ans, pressée de finir ses courses, et de voir le centriste perdre. "Ici les gens ont un esprit paysan, ils sont très terre à terre, analyse Isabelle, 50 ans. On a besoin de repères, et Bayrou, on arrive plus à le situer. Il s’est tiré une balle dans le pied." Autre reproche, sa dimension nationale : "On le voit davantage à la télé qu'ici, selon Christine, professeure d’université de 51 ans, paloise depuis deux décennies. Tant mieux s’il disparaît. Place aux jeunes."

Mamita, 58 ans, se désole face à ce flot de défiance. "C’est dommage pour la région à laquelle il pourrait donner une autre dimension, estime cette ancienne expatriée. Il est assailli de toute part, c’est injuste. En fait, il est trop honnête. Il a des convictions, mais aujourd’hui on demande aux politiques d’être des tueurs."

• Les suspects 

Cheveux courts, bruns et veste rouge, Nathalie Chabanne a un petit air de Martine Aubry, l'expérience nationale en moins. 39 ans, 32% d'intentions de vote au premier tour, elle est le suspect numéro 1. Avec une arme de choc selon elle, "le programme de François Hollande" : "La circonscription a beaucoup changé, il y a beaucoup de nouveaux arrivants, et ils ne votent plus par tradition, ils ont la notion de programme."

Elle aussi démarche à l'Ousse des Bois, quartier populaire où les travaux de réhabilitation ont changé le visage et la tranquillité du quartier. "Je soutiendrai les efforts faits par la mairie socialiste", martèle Nathalie Chabanne aux habitants.

"Bayrou est perçu comme quelqu’un de droite, avance Jean-François, militant PS. A Pau, il a perdu aux municipales de 2008, face à Martine Lignières-Cassou [PS]. Ici, il est encore sur une dynamique de défaite." Pourtant, certains responsables socialistes souhaiteraient un désistement du PS entre les deux-tours en faveur de Bayrou, question d’"élégance" relate La Lettre A (article payant). "Pas question", rétorque Nathalie Chabanne.

Nathalie Chabanne :"Nous irons jusqu'au bout" (FTVi)
 IMAGES PATRICE MACHURET / OLIVIER TIETH / FRANCE 3

L'autre suspect est peut-être le plus dangereux pour le centriste. Aucune miséricorde chez l'UMP Eric Saubatte : "Le centre de Bayrou, c'est son nombril ! déclare-t-il au site d'info Aqui.fr. Les Béarnais ont besoin d'une ligne directrice, ils n'ont pas besoin d'une girouette." Depuis 1986, jamais le RPR ni l'UMP n'avaient mis de bâton dans les roues du leader centriste aux législatives. En 2007, le candidat UMP de l'époque, Jean-Pierre Mariné, s'était même retiré au profit de François Bayrou. Pas cette fois : "En votant François Hollande, il a adhéré à la retraite à 60 ans. A 61 ans et après cinq mandats, j'invite François Bayrou à prendre ses dispositions." Touché en plein cœur.

• Une autre victime ?

"Je suis dans une situation désespérante, désespérée, mais nous allons gagner !" Jean Lassalle, candidat MoDem dans la 4e circonscription des Pyrénées-Atlantiques, sourit, selon Législatives 2012, mais les résultats de la présidentielle sur son secteur sont inquiétantes : 60% des voix pour Hollande le 6 mai. Dernier député orange dans l'hémicycle avec François Bayrou ces cinq dernières années, ses chances paraissent minces.

L'affiche de campagne de Jean Lassalle, le 6 juin 2012, à Navarrenx (Pyrénées-Atlantiques). (CHRISTOPHE RAUZY / FTVI)

Jean Lassalle, lui, n’a pas annoncé qu’il allait voter PS le 6 mai. Mais il n’a pas non plus cité le nom de Nicolas Sarkozy, faisant des dégâts dans son électorat. A Navarrenx, commune plutôt de droite, en plein fief de Jean Lassalle, le président du MoDem n’a pas bonne réputation. "Ah moi, Bayrou, je ne peux pas le supporter, c’est quoi ces gens qui changent d’avis comme de chemises ? peste Irène, septuagénaire et doyenne des quatre patronnes du café des Sports. Mais Lassalle il n'est pas pareil." "C’est un illuminé et il est toujours en retard", se moque sa fille Louisette.

Le député sortant est surtout connu pour avoir chanté en béarnais à l’Assemblée nationale et entamé une grève de la faim pour défendre une usine locale. Des actions critiquées, mais qui ont aussi forgé une certaine popularité. Lassalle se définit comme un provincial, ennemi des technocrates parisiens. "C’est vrai qu’il est sur le terrain, concède Hervé, 47 ans, pharmacien de Navarrenx. L'histoire du vote de Bayrou, ça fait fuir des gens, mais Lassalle, je l’aime bien quand même."

La triangulaire PS-UMP-Modem semble en bonne voie ici aussi. Principal obstacle pour Lassalle, le candidat UMP, Marc Oxibar, 34 ans, et deux handicaps selon Joseph, retraité d’une usine de métallurgie : "Il est basque, ici on est béarnais comme Jean Lassalle, un gars du pays. Et Oxibar ne visite que les chefs-lieux de cantons. Jean, lui, il va dans toutes les petites communes de la circonscription."

Plus ancré dans son territoire, Jean Lassalle pourrait donc bénéficier d'une grâce de la part des électeurs. Pour François Bayrou, en revanche, même si "rien n'est joué", selon grand camarade d'Assemblée, le souffle de la grande faucheuse politique semble se rapprocher.

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