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Primaire de la gauche : cinq raisons de douter de la sincérité des résultats

Article rédigé par Ilan Caro, Nicolas Enault, Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, le 25 octobre 2016 à Paris. (MAXPPP)

Entre les bugs techniques et le manque de transparence, l'organisation de la primaire des socialistes et de ses alliés a laissé apparaître de nombreuses failles. Et pas seulement dimanche soir.

Comme l'impression que quelque chose ne tourne pas rond. Les résultats du premier tour de la primaire de la gauche, annoncés dans la soirée de dimanche et mis à jour lundi 23 janvier, souffrent d'un grave problème de crédibilité. Si les équilibres et l'ordre d'arrivée entre candidats ne sont pas remis en cause, le chiffre de la participation communiqué semble plus que douteux. Simples dysfonctionnements, amateurisme technique ou maquillage délibéré ? Franceinfo liste cinq raisons pour lesquelles il est permis de douter des résultats officiels.

>> Primaire : six questions pas si bêtes au lendemain du premier tour

1Des chiffres de participation annoncés un peu vite

Dimanche soir, vers 20h30, Thomas Clay, président de la Haute autorité, s'avance vers son pupitre pour annoncer les résultats de la primaire de la gauche. Il annonce une estimation de la participation située entre 1,5 et 2 millions de votants  "Nous serons sans doute plus proche de 2 millions", ajoute-t-il, en se réjouissant de cette mobilisation.

Cette estimation de la participation, avant même la remontée de tous les résultats, étonne de la part de celui qui doit être le garant de la bonne tenue du scrutin. "Ça m’interroge (...) Le président de la Haute autorité, c’est une sorte de président de Conseil constitutionnel d’un parti. On n’a pas à projeter. On a à valider", tacle lundi matin, sur France Inter, Jean-Pierre Mignard, qui présidait la Haute autorité de la primaire socialiste de 2011, et qui soutient aujourd'hui Emmanuel Macron.

2Une impossibilité de recouper les résultats

Dimanche 22 janvier. C'est le jour J : les électeurs sont appelés aux urnes. Et pourtant, les rédactions sont dans l'expectative. Nul ne sait sous quelle forme les résultats vont être transmis aux médias par la Haute autorité de la primaire. Peu après 20h30, son président, le juriste Thomas Clay, annonce les premiers résultats, portant sur "plus d'un tiers des bureaux". Dans le même temps, ces résultats sont mis en ligne sur le site, et réactualisés tous les quarts d'heure.

Première surprise : le site ne propose qu'un résultat national. Impossible donc de connaître les scores de chacun des candidats département par département, comme cela avait été le cas lors de la primaire de la droite. Devant cette absence de matière statistique, impossible pour les médias de procéder à leurs propres comptages et recoupements.

Autre problème de taille : au fur et à mesure que tombent les résultats, le site ne précise pas le nombre de bureaux dépouillés. Le nombre de voix dépouillées est affiché en temps réel, mais le nombre total de votants étant inconnu, difficile de savoir si les résultats partiels affichés portent sur 40, 70 ou 90% des suffrages. Difficile dans ces conditions, pour les médias, de délivrer des informations fiables à leurs lecteurs.

3Des soupçons de bidouillage sur la participation

Toute la soirée du premier tour, le chiffre de participation est sujet à caution. Il est d'abord revu à la baisse, puis disparaît dans la nuit. Thomas Clay, président de la Haute autorité, tente de livrer des explications à franceinfo, mais ne parvient pas à convaincre : "Le compteur a disparu (...) pendant la nuit, les prestataires qui s'occupent du site informatique n'ont pas travaillé et c'est bien normal."

Plus inquiétant, plusieurs journalistes, dont ceux du compte Twitter Désintox de Libération, ont remarqué un détail étonnant lors de la mise à jour des résultats effectuée à 10 heures lundi matin : le nombre de votants est passé de 1,2 million à 1,6 million, chaque candidat a également obtenu de nouvelles voix, mais le pourcentage est strictement resté le même, à la deuxième décimale près, comme le montre notre tableau.

Il paraît étonnant – pour ne pas dire impossible – d'ajouter près de 400 000 votants sans pour autant que cela change la moindre décimale aux résultats. Autre difficulté, il manque 160 voix entre le total des votants et l'addition des voix obtenues par les candidats. Ces 160 voix seront rajoutées discrètement un peu plus tard à celles de Sylvia Pinel, comme l'indique Libération.

Interrogé par le quotidien, le président du Comité national d'organisation de la primaire, Christophe Borgel, a fini par reconnaître, lundi en début d'après-midi, avoir manipulé les chiffres : "Il y avait beaucoup de pression autour du niveau de participation, j'ai demandé à ce que les résultats soient actualisés au plus vite."

Effectivement, on a appliqué au nouveau total de votants les pourcentages de la veille.

Christophe Borgel, président du Comité national d'organisation de la primaire

à "Libération"

Quant à l'évolution hasardeuse du score de Sylvia Pinel, Christophe Borgel parle d'"un bug""Il y a eu bug sur bug. Je ne sais pas si c'est la société prestataire (qui gère les remontées des bureaux) ou le service informatique en interne qui est responsable, et je ne vais pas jeter la pierre à des gens qui travaillent comme des fous sur cette énorme machine qu'est la primaire".

4Un amateurisme technique récurrent 

Tout cet imbroglio n'est finalement guère étonnant, lorsque l'on se souvient de la difficulté avec laquelle le PS a présenté le dispositif permettant aux électeurs de savoir où aller voter. Le 9 janvier, un moteur de recherche est mis en place sur le site de la primaire : en rentrant l'adresse postale du domicile d'un électeur, le site est censé donner l'adresse du bureau de vote correspondant.

Mais de nombreux bugs perturbent le lancement du site. Dans plusieurs départements (comme les Hauts-de-Seine ou la Corse-du-Sud) et dans certaines communes (comme Marseille), la recherche est tout simplement impossible. Dans certains endroits, elle redirige même vers un bureau erroné. En Gironde, certains internautes étaient ainsi renvoyés vers un bureau de vote... à Brest ! Les bugs mettent plusieurs jours à être rectifiés, certains subsistant jusqu'à deux ou trois jours avant le vote.

5Un manque de transparence depuis le début

Sur cette question des bureaux de vote comme sur celle des résultats, les échanges entre franceinfo et les organisateurs de la primaire depuis le début du processus se sont illustrés par une absence quasi-totale de transparence. Qu'elles aient été formulées par téléphone, par SMS ou par e-mails, la plupart de nos demandes sont restées sans réponse. Les organisateurs réclament de la patience, promettent des données qui n'arrivent jamais ou ignorent les requêtes. 

Avant même la mise en ligne du moteur de recherche des bureaux de vote sur le site de la primaire, franceinfo avait formulé une demande pour obtenir l'intégralité de la liste de ces bureaux. Malgré de nombreuses relances, cette liste n'est jamais arrivée. Les données des bureaux de vote ont donc été récupérées manuellement sur le site de la primaire, mais il n'était possible de localiser que 7 000 bureaux sur les 7 530 annoncés.

Il en a été de même concernant les interrogations sur le déroulé de la soirée du premier tour, notamment sur le calendrier de mise en ligne des résultats, ainsi que sur les multiples demandes formulées depuis lundi matin pour obtenir les résultats détaillés par bureau de vote et par département. Franceinfo n'est pas seul dans ce cas, puisque les équipes des candidats Montebourg et Peillon confirment qu'elles attendent toujours avec impatience les résultats détaillés.

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