"Plus ou moins de SUV à Paris ?" : ce qu'il faut savoir de la consultation locale, cet outil de communication politique
"Plus ou moins de SUV à Paris ?" Voilà la phrase qui trône sur de nombreux encarts publicitaires ces dernières semaines dans la capitale. Objectif : inciter les Parisiens à participer à la consultation locale organisée par la maire socialiste, Anne Hidalgo, le 4 février prochain. En réalité, la question soumise au vote est la suivante : "Pour ou contre la création d’un tarif spécifique pour le stationnement des voitures individuelles lourdes, encombrantes, polluantes ?" Si la première question ne correspond pas tout à fait à la mesure soumise à consultation, la seconde semble aussi orienter la réponse attendue. Et ce n'est pas contraire au principe de consultation locale.
Consultation locale vs référendum
Dans le cadre d'un référendum local, une ville demande à ses administrés de voter pour ou contre une mesure qui va être mise en place directement. La ville, au lieu de voter quelque chose en son conseil municipal, demande aux citoyens de se prononcer et ce vote oblige la municipalité. Il s'agit d'un dispositif de démocratie directe.
L'exercice de consultation locale est différent puisque, comme son nom l'indique, il s'agit de consulter la population. La ville n'est pas tenue d'appliquer le résultat de la consultation, ça ne l'engage à rien. Il faudra ensuite un vote en conseil municipal selon les procédures habituelles. La consultation locale est un outil de démocratie participative au sens où elle a vocation à faire participer les habitants. Hugo Touzet est chercheur en sociologie : "La ville de Paris a déjà son idée, comme elle l'avait déjà sur les trottinettes. Et d'ailleurs elle ne s'en cache pas, elle est pour limiter la place des SUV comme elle était pour interdire les trottinettes. Donc elle se sert de cet outil comme un moyen de renforcer son poids politique en disant 'Nous on était contre, on a consulté les Parisiens, les Parisiennes qui sont contre aussi donc ça nous donne une force supplémentaire.'"
L'encadrement légal des consultations est beaucoup plus souple que celui des référendums, précise le chercheur : "Ce que dit la loi là-dessus, c'est que les villes décident des modalités d'organisation de leur scrutin, de son encadrement. La ville met en place une commission qui s'assure du bon déroulement du scrutin, de toutes ces choses-là."
La question posée
Il n'y a pas d'obligation non plus en matière de formulation de la question posée. La question de la ville de Paris pour sa consultation sur les SUV est d'ailleurs très clairement orientée, souligne Hugo Touzet : "La Ville de Paris mène une politique générale de réduction de la place de la voiture et il faut aussi lire cette consultation comme une pierre à leur politique générale. Cette consultation, elle apparaît comme un outil de politique publique à disposition de la Ville de Paris. On est dans une recherche d'adhésion, de mobilisation plutôt que dans une recherche de neutralité."
La façon dont est posée la question influence la réponse de la personne consultée, un phénomène très documenté en sciences sociales : "Je prends un exemple un peu caricatural. Si vous dites aux gens : 'Etes vous pour ou contre la peine de mort ?' Ou si vous leur dites : 'Etes vous pour ou contre la peine de mort dans le cas des pédophiles, multirécidivistes, violeurs d'enfants ?' Vous touchez à de l'émotionnel, vous allez susciter chez les gens quelque chose qui va être de l'ordre de l'empathie et donc vous allez avoir des réponses très différentes."
Le biais de désirabilité
Les sciences sociales théorisent aussi ce qu'on appelle le biais de désirabilité : "Si la question est orientée dans un sens où on a l'impression qu'il y a une réponse qui est bonne, une réponse qui est mauvaise, et bien, on va avoir tendance à vouloir être socialement désirable et donc à donner la réponse qu'on attend de nous. De la même manière, si on veut mesurer dans un sondage le racisme ou l'intolérance, on ne va pas demander aux gens 'Êtes vous raciste ?' Parce qu'on sait que les gens vont plutôt savoir qu'il ne faut pas répondre oui."
Qui participe ?
Dans les consultations, il est aussi important d'observer qui est interrogé. Toujours à Paris, en avril 2023, au sujet des trottinettes, peu de personnes ont participé. Le résultat était à 89% dans le sens de l'interdiction attendue par la mairie mais moins de 8% du corps électoral a voté. La consultation sur les SUV, elle, ne s'adresse qu'aux Parisiens et Parisiennes inscrits sur les listes électorales alors que l'augmentation des amendes concerne essentiellement les non-résidents. "Les gens qui pourraient être les plus concernés, n'ont même pas le droit de voter," remarque le sociologue.
Par ailleurs, les consultations ne sont pas soumises à un devoir de neutralité des personnes interrogées contrairement aux sondages : "Lorsqu'un institut de sondage enquête pour savoir ce que pensent les Français de l'immigration, pour avoir une donnée objective il va avoir une grande responsabilité sur ces enjeux de neutralité des personnes interrogées. Ce n'est pas le but recherché par la ville de Paris." L'organisateur d'une consultation locale n'a pas non plus d'obligation d'autoriser une campagne contradictoire : "Il n'y a aucune obligation de laisser des panneaux d'affichage pour les opposants."
Hugo Touzet questionne alors l'intérêt de la consultation en termes de participation : "C'est à mon avis un outil assez peu efficace. Ne serait-ce que parce que les gens qui sont d'accord ont peu d'intérêt à aller voter : si vous êtes d'accord, vous savez que de toute façon c'est cette réponse-là qui va gagner alors vous n'êtes pas non plus très enclins à vous déplacer pour ça."
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