Publication du patrimoine : le délicat service après-vente des ministres
Au lendemain de l'opération transparence, certains membres du gouvernement craignent la stigmatisation des "riches de gauche". D'autres assument et voudraient aller plus loin.
Mise à nue dérangeante ou transparence indispensable ? Au lendemain de la publication du patrimoine des ministres, des membres du gouvernement ont commenté, mardi 16 avril, ce grand déballage, première pierre du chantier de la moralisation de la vie politique voulu par l'Elysée. Presque tous, sans surprise, soutiennent la mesure. Mais le dévoilement de leurs comptes en banque ou de la valeur de leur voiture ne les enchante pas forcément. Francetv info analyse leurs réactions, entre ceux qui sont gênés et ceux qui sont prêts à aller plus loin.
Ceux qui assument
Ils sont droits dans leurs bottes. Et dans leurs déclarations de patrimoine. A l'image de Frédéric Cuvillier, certains membres du gouvernement ne voient pas de problème à l'étalage public de leur capital. Le ministre des Transports, fort d'un patrimoine de 655 725,59 €, défend sur i-Télé le résultat d'"une vie de travail", et rappelle aussi qu'il est "endetté à hauteur de 38 %, ce qui est élevé".
Invité mardi matin sur RTL, Manuel Valls a défendu sans sourciller sa déclaration plutôt modeste. "Je ne suis pas un homme d'argent, j'ai consacré et je consacre ma vie à l'engagement politique", a expliqué le ministre de l'Intérieur, avant de défendre l'objectif de la mesure : "La faute de Jérôme Cahuzac [...] amène ce besoin de transparence, je trouve ça logique, c'est utile et nécessaire."
Même ligne de défense chez Fleur Pellerin, qui souligne "la détermination du gouvernement à répondre à la crise morale". Pour la ministre déléguée aux PME et à l'Economie numérique, "les gens ont besoin de savoir que l'exécutif est honnête". Invitée mardi sur RFI, Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur a pour sa part balayé toute tentation voyeuriste.
Ceux qui préfèrent en rire
Avec le dévoilement du montant de leur épargne, de la valeur de leur logement ou de la nature de leur moyen de transport, les ministres font face à des questions très précises de la part des journalistes. Certains ne résistent pas à l'envie d'en plaisanter, comme Najat Vallaud-Belkacem, invitée mardi sur BFMTV. La porte-parole du gouvernement a ainsi répondu, en souriant, à une interrogation sur son faible patrimoine et son "joli scooter" qui coûterait 500 euros : "J'ai reçu un certain nombre de messages d'internautes proposant de me le racheter, et même de me le racheter plus cher."
La partie "véhicules" de la déclaration a provoqué d'autres remarques sarcastiques chez les ministres. "Les Français aiment les grosses voitures… Va-t-on devoir s'expliquer d'avoir une voiture pourrie ?" s'interroge ainsi Benoît Hamon, heureux propriétaire d'une Opel Corsa depuis 2006, dans Le Figaro. Et face au fauteuil à 4 200 euros d'Arnaud Montebourg, Guillaume Garot, ministre de l'Agroalimentaire, indique que lui est "plutôt meublé en Fly".
Ceux qui veulent aller plus loin
Avant cette publication, un débat autour de l'extension de cette déclaration à l'ensemble des élus agitait déjà la majorité. Malgré l'opposition de personnalités comme Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale, Manuel Valls estime aujourd'hui qu'il faut aller plus loin : "Il faut aller jusqu'au bout de cette transparence, et les élus doivent se rendre compte qu'ils doivent eux aussi être exemplaires", a déclaré le ministre de l'Intérieur sur RTL.
Najat Vallaud-Belkacem a également donné quelques précisions sur le projet de loi de moralisation de la vie politique, promise le 10 avril par François Hollande. Elle a notamment confirmé la rédaction d'une liste de métiers à suspendre pendant tout mandat parlementaire. Sur BFMTV, elle a pris en exemple le parlementaire qui exerce la profession d'avocat d'affaires, susceptible de "monnayer son carnet d'adresses ou son influence qu'il a acquise du fait d'être parlementaire, au service d'intérêts privés".
La porte-parole du gouvernement a également affirmé que le projet de loi présenté le 24 avril prévoira "que les règles de délit d'initié" applicables aux hauts fonctionnaires allant "pantoufler", expliquées par Challenges, s'appliquent aux ministres. Il s'agirait cette fois d'interdire aux ministres, une fois leur mission gouvernementale achevée, d'avoir un intérêt dans une entreprise qu'ils ont contrôlé ou surveillé, avant un délai de trois ans.
Ceux que ça gêne
Pour vivre heureux, vivons cachés. C'est un peu ce que pensent certains ministres qui ont rempli cette déclaration de patrimoine à reculons. Non pas qu'ils possèdent des avoirs suspects, selon eux, mais ils ont la sensation que l'on s'immisce dans la vie intime de leur foyer. Hélène Conway-Mouret, ministre des Français de l'étranger, évoque ainsi une "mise à nue" dans Le Figaro : "J'ai eu l'impression d'avoir dû me déshabiller avant de sortir dans la rue. Ce que j'ai est le résultat de ma vie privée."
Même sentiment chez Michèle Delaunay, qui déclare un patrimoine de plus de 5,2 millions d'euros, le deuxième plus élevé du gouvernement derrière celui de Laurent Fabius. "Cela m’émeut de devoir transformer toute une vie en éléments financiers. Alors qu’elle est tout sauf ça, regrette-t-elle dans Sud-Ouest. Et d’autant que j’entraîne avec moi, par le biais du mariage en communauté, mon mari au même affichage, alors qu’il n’a rien demandé." Elle justifie sa fortune par un héritage qui a fructifié. Et dont la publication lui fait craindre qu’on puisse lui demander : "Comment pouvez-vous parler du RMI ?"
Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, estime que la révélation des patrimoines ministériels est nécessaire. Mais deux heures après leur publication, il soutient Michèle Delaunay et estime qu'"être riche, et être de gauche, c'est tout à fait compatible".
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