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Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande : à chacun son cabinet noir ?

"Valeurs actuelles" croit savoir que l'Elysée dirige une cellule clandestine pour mener des opérations politiques. Ce n'est pas la première fois que de telles accusations visent un président français.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Le président de la République, François Hollande, dans son bureau de l'Elysée, à Paris, le 17 décembre 2012. (BERTRAND LANGLOIS / AFP)

D'après le magazine conservateur Valeurs actuelles, mercredi 30 octobre, l'Elysée pilote "une cellule officieuse" afin d'"orchestrer les affaires judiciaires contre Nicolas Sarkozy". L'hebdomadaire évoque un "cabinet noir".

Cette expression n'est pas nouvelle. Elle est apparue lorsque le cardinal de Richelieu était en fonction, au XVIIe siècle. Elle désignait un bureau secret qui ouvrait les correspondances, sur ordre du roi, pour identifier des opposants politiques, rappelle Le Larousse. Officiellement, cette pratique fonctionna jusqu'en 1888. Mais plusieurs présidents de la Ve République ont été accusés d'avoir eu recours à ce genre d'officine. Francetv info remonte le fil.

Sous François Hollande : nuire à son prédécesseur ?

L'accusation. Valeurs actuelles affirme que la présidence a demandé à Bernard Muenkel, quand il était chef du service transmissions et informatique de l’Elysée, d'effectuer des recherches dans les archives électroniques protégées de la présidence de Nicolas Sarkozy pour trouver des éléments susceptibles de nuire à l'ancien chef d'Etat. L'hebdomadaire accuse également François Hollande d'être responsable de "fuites" dans la presse sur des affaires actuellement en cours d'instruction. Notamment l'arbitrage entre Bernard Tapie et le Crédit lyonnais.

En juin, L'Express rapporte déjà que Nicolas Sarkozy est persuadé de l'existence d'un cabinet noir. L'ancien président pense que l'homme qui mène les opérations est Stéphane Le Foll, le ministre de l'Agriculture. Il a été le plus proche collaborateur de François Hollande pendant une décennie, et tutoie le chef de l'Etat, selon Le Journal du dimanche, en juin.

François Hollande et le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, à l'Elysée, à Paris, le 22 juin 2013. (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

La réponse. "L'Elysée a été saisi, au printemps dernier, de trois réquisitions judiciaires auxquelles il a été répondu dans le strict respect du droit", réagit la présidence. "Ne pas déférer à une injonction de la justice est une faute... L'Elysée de François Hollande se serait mis en tort de ne pas répondre aux sollicitations des juges", relève de son côté Le Point, qui dénonce un "faux scoop".

Sous Nicolas Sarkozy : surveiller des journalistes ?

L'accusation. En septembre 2010, Le Monde révèle que le procureur de la République de Nanterre a obtenu, sans autorisation, les factures téléphoniques détaillées de deux de ses journalistes, qui enquêtent sur l'affaire Bettencourt. Enquête qui met en cause Nicolas Sarkozy. C'est le début de l'affaire des "fadettes".

En novembre de la même année, Le Canard enchaîné affirme que le chef de l'Etat supervise "personnellement" l'espionnage de certains journalistes chargés de la couverture d'affaires sensibles. L'objectif : museler la presse et préparer la défense du chef de l'Etat. L'hebdomadaire cite des sources anonymes au sein de la Direction centrale du renseignement intérieur. Elles indiquent qu'"un groupe", composé de "plusieurs anciens policiers des RG [renseignements généraux]", a été monté. Claude Angeli, rédacteur en chef du Canard Enchaîné, précise sur RTL qu'il ne s'agit pas d'écoutes mais de surveillance.

Dans la foulée, deux journalistes de Mediapart, enquêtant sur les affaires Karachi et Bettencourt, affirment avoir été pistés et "géolocalisés" par les services français. Edwy Plenel, directeur de Mediapart, et Fabrice Arfi, journaliste pour le site d'informations, réitèrent leurs accusations sur les antennes nationales et régionales, comme ici sur Alsace20.

(ALSACE 20 / YOUTUBE)

La réponse. L'Elysée qualifie ces allégations de "totalement farfelues". Mis en cause, Claude Guéant nie avoir dirigé une cellule clandestine. Il porte plainte en novembre 2010 avant de la retirer en juin 2011. "Jamais il n'y a eu de groupe qui puisse être qualifié de cabinet noir, jamais", assure-t-il dans un entretien à Libération, en septembre 2011. Mais il concède avoir réuni des personnalités pour faire face aux accusations portées contre l'UMP et Nicolas Sarkozy dans l'affaire Bettencourt. Il était alors secrétaire général de la présidence. "Nous avions à l'Elysée des réunions pour définir des éléments de langage et coordonner nos positions."

Sous Jacques Chirac : gêner les magistrats et duper la presse ?

L'accusation. Lors de ses deux mandats, Jacques Chirac est mis à mal par deux affaires : le financement occulte du RPR et les emplois fictifs de la Ville de Paris. En 2001, alors que le chef de l'Etat est convoqué comme témoin par le juge d'instruction de Créteil Eric Halphen, le PS fustige les "officines" de l'Elysée. Il somme également la présidence de dissoudre la cellule mise en place pour faire face aux investigations des magistrats. "Il est de notoriété publique qu'il existe à l'Elysée un 'cabinet noir', dirigé par Dominique de Villepin [alors secrétaire général de l'Elysée]", déclare Jean-Christophe Cambadélis dans un entretien à Libération.

Ce groupe spécial aurait aussi vocation à manipuler la presse. Interrogé par Le Journal du dimanche, en 2008, le journaliste Guy Birenbaum, qui a consacré un livre au sujet, raconte que ce cabinet noir a joué un rôle dans l'affaire Clearstream. La cellule était également chargée de sortir des affaires destinées à ternir l'image d'autres personnalités politiques afin de rehausser celle du président. Lionel Jospin, ancien Premier ministre de Jacques Chirac, affirme, en 2008, que les différentes attaques qui l'ont visé, dont celle sur sa maison de l'île de Ré, émanaient d'un cabinet noir dirigé par la présidence. Le socialiste accuse également Yves Bertrand, ex-patron des Renseignements généraux, d'avoir protégé le président.

(SPECIAL INVESTIGATION - CANAL + / DAILYMOTION)

La réponse"Il n'y a jamais eu de cabinet noir à l'Elysée sous Jacques Chirac", se défend sur i-Télé Dominique de Villepin, en 2008. "Les amalgames sont d'autant plus faciles qu'en d'autres temps, nous l'avons vu avec les écoutes de l'Elysée, sous François Mitterrand, il a pu y avoir des pratiques condamnables", ajoute-t-il. "Mais l'ombre de ce cabinet noir plane sur les carnets d'Yves Bertrand", écrit Le Pointqui a consulté les notes de l'ancien patron des RG.

Sous François Mitterrand : écouter illégalement

L'accusation. En 1993, Le Canard enchaîné accuse le président d'avoir commandé à la cellule antiterroriste, entre 1983 et 1986, des écoutes sans aucun lien avec sa mission initiale. Près de 150 personnalités sont concernées. Parmi elles, l'actrice Carole Bouquet. Le motif officiel de la surveillance de celle qui avait pour nom de code "Bûche" est plutôt flou : "sécurité des personnalités de la Défense". On trouve également le journaliste Edwy Plenel, alors au Monde, et l'écrivain polémiste Jean-Edern Hallier. Le président considère ce dernier comme dangereux car il est susceptible de révéler l'existence de Mazarine, sa fille cachée, selon Libération.

La réponse. "L'Elysée n'écoute rien. Il n'y a pas de système d'écoute ici", rétorque François Mitterrand dans une interview accordée à la RTBF, en 1993, alors que la justice est saisie. Ulcéré par les questions du journaliste, il nie et met fin brutalement à l'entretien.

(RTBF / YOUTUBE)

Par la suite, plusieurs titres de presse rapportent la découverte de pièces accablantes. En 1997, Le Monde et L'Express indiquent qu'il existe des documents de la cellule antiterroriste sur lesquels François Mitterrand a apposé un "vu" de sa main, rappelle Libération.

En 2004, le procès de l'affaire des écoutes s'ouvre. Tous les prévenus reconnaissent avoir agi sous les ordres de l'Elysée. Libération rapporte le témoignage à la barre de Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères. Ce proche de François Mitterrand raconte notamment la façon dont le président lui a dévoilé ces surveillances. En 2008, un point final est mis à l'affaire, indique alors Le Figaro. La Cour de cassation confirme les condamnations de six prévenus. La plus haute juridiction française reconnaît définitivement l'implication des deux principaux protagonistes : l'ancien directeur de cabinet de François Mitterrand, Gilles Ménage, et du préfet Christian Prouteau, ex-responsable de la cellule élyséenne. Ils écopent respectivement de six et huit mois de prison avec sursis.

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