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Reportage "La jeunesse emmerde" l'élection présidentielle lors d'une manifestation à Paris

Pour la deuxième fois en quinze ans, le Front national se hisse au second tour de l'élection présidentielle en France. Plusieurs centaines de personnes ont manifesté dimanche soir à Paris, contre des milliers en 2002. 

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Manifestation place de la Bastille, à Paris, au soir du premier tour de l'élection présidentielle, le 22 avril 2017.  (ANTHONY DEPERRAZ / CITIZENSIDE / AFP)

Une poignée de manifestants, corsetés par un cordon de CRS. Voici l'image du dimanche 23 avril 2017, place de la Bastille, à Paris. Il est un peu plus de 20 heures et Marine Le Pen vient d'accéder au second tour de la présidentielle. Même heure, même lieu, quinze ans plus tôt : des milliers de personnes entourent la colonne de Juillet pour protester contre la qualification de Jean-Marie Le Pen au premier tour de l'élection, le 21 avril 2002.

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Deux images pour une même réalité électorale : le Front national se hisse, pour la deuxième fois, aux portes de l'Elysée. Mais la perception de cette équation politique est bien différente cette fois-ci. Au "séisme" de 2002, qui avait provoqué un sursaut civique dans les rues et dans les urnes, a succédé une lame de fond prévisible et anticipée. "Cela fait cinq ans qu'on nous dit que Marine Le Pen sera au second tour", souffle un manifestant, qui a souhaité rester anonyme, comme tous ceux croisés au cours de cette soirée. 

Une "nuit des barricades" avortée

Avertis par le précédent de 2002 et par la progression du parti d'extrême droite à chaque élection depuis - en dehors de 2007 -, les manifestants étaient sur le pont. Spontané voici quinze ans, le rassemblement de place de la Bastille avait cette fois-ci été orchestré par des "antifacistes", qui promettaient une "nuit des barricades". C'était sans compter le manque de mobilisation et le dispositif de la préfecture de police de Paris, qui a déployé des CRS en nombre pour prévenir des débordements coutumiers depuis les manifestations contre la loi travail ou les violences policières.

"Camille", le prénom adopté par les zadistes car il est unisexe, était ainsi sur les marches de l'Opéra Bastille dès 18h30, bien avant les premières estimations. Car ce n'est pas le score de Marine Le Pen que cet "anarcho-autonome" est venu dénoncer. Mais le système électoral en lui-même. 

Ni Le Pen ni Macron

En quinze ans, les slogans ont bien changé. S'ils étaient destinés à dénoncer l'idéologie de l'extrême droite en 2002, ils sont aujourd'hui anti-système. Certes, "la jeunesse emmerde toujours le Front national". Mais celle qui est descendue dans les rues dimanche soir "emmerde" aussi Emmanuel Macron. Un "ni-ni" scandé de Bastille à République, l'autre place forte de la mobilisation, ex-QG du collectif Nuit debout.

"On est venus protester contre la mascarade que représente cette élection", explique un manifestant, pour lequel "tous les principaux candidats, Macron, Fillon, Le Pen, ne sont là que pour perpétuer le règne de l'oligarchie qui confisque le pouvoir et vole les richesses au peuple".

"La crise économique est passée par là", analyse un étudiant en neurosciences, place de la République, où les manifestants ont improvisé un feu à base de déchets. Symbole des reliques d'un modèle politique rejeté en masse lors de ce scrutin, avec l'éviction des deux principaux partis, le PS et les Républicains. Du jamais-vu sous la Ve République. 

"Génération ingouvernable"

"On est entrés dans l'ère de la 'génération ingouvernable (GI)'", sourit un militant d'extrême gauche, faisant allusion au nom de ce mouvement créé dans le sillage des manifestations contre la loi El Khomri, fin janvier, en vue de critiquer le dispositif de la présidentielle. "Ce n’est plus une approche abstentionniste de tradition anarchiste, mais une tentative de construction d’une approche critique et active de la présidentielle", expliquait dans La Croix Stefano Dorigo, doctorant en anthropologie sur les mouvements "autonomes".

La GI "fédère surtout des jeunes, voire des très jeunes, lycéens et étudiants, qui ne se retrouvent pas dans l’action politique étudiante traditionnelle", précisait le chercheur.

Dimanche 23 avril, place de la République, le syndicat étudiant Unef est aussi représenté. Tout comme des étudiants qui n'appartiennent à aucun mouvement ou collectif. A l'image de ces deux habitants venus de Massy, consternés de voir Marine Le Pen au second tour.

En 2002, on avait dit : 'Plus jamais ça.' Et voilà que ça recommence.

Une étudiante, place de la République

à franceinfo

Pour d'autres, Marine Le Pen n'est déjà plus le sujet, le candidat d'En marche ! étant donné favori pour le second tour. "Emmanuel Macron a prévu de gouverner par ordonnance pour réformer le Code du travail. Il va y avoir de la confrontation", prévient "Camille". 

"Ce n'est pas ma France à moi"

Pour l'instant, la confrontation se joue entre les CRS et les manifestants, délogés à plusieurs reprises, avant d'être dispersés vers minuit. Toute la soirée, ils ont joué au chat et à la souris avec les forces de l'ordre, entre jets de bouteilles et de pétards d'un côté et de grenades lacrymogènes de l'autre. Bilan de la soirée : 29 gardes à vue, six policiers et trois manifestants blessés, selon la préfecture.

A la fin des hostilités, place de la République, une petite pancarte émerge au sein des rangs clairsemés : "Ce n'est pas ma France à moi." L'étudiante en droit de 19 ans qui la brandit complète, lors d'une interview en direct sur Périscope : "Ma France à moi, ce n'est pas Macron, ce n'est pas Le Pen et c'est encore moins les CRS qui virent des manifestants de cette façon." Elle a voté pour le candidat du NPA, Philippe Poutou, au premier tour. Au second, elle ne votera pas "pour" Macron. Mais elle votera "contre" Marine Le Pen... Avec ses amies, elle s'éloigne en fredonnant Le Chant des partisans : "Ohé ! partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme ! Ce soir, l'ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes…"

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