Les Restos du coeur ont lancé leur 26e campagne d'hiver lundi 29 novembre
Interview de Jean Viard.
Les Restos du Cœur fonctionnement en grande partie grâce aux dons. 530.000 personnes donnent chaque année. Que révèle cette générosité alors que nos sociétés sont perçues comme de plus en plus individualistes ?
J.V. C'est une mauvaise lecture. Je ne pense pas que la société se délite.
On est bien dans une société de l"individu très attaché à l"idée de liberté individuelle. Mais c"est une valeur positive. Regardez l'argent transmis des grands-parents aux petits enfants, celui qui va dans les Restos du Cœur. Pensez aux 58.000 bénévoles qui aide pour la cuisine, faire les papiers, etc.
C"est presque autant que le nombre de militants de l"UMP ou du parti socialiste.
Une chose a changé. Aujourd'hui, les gens ne disent pas simplement "je fais le bien", mais disent "je le fais aussi pour mon plaisir, mon aération mentale, le fait de rencontrer des gens, de leur parler, de se sentir actifs".
Pensez que les sociétés les plus individuelles comme les Etats-Unis sont aussi celles où l"on donne le plus.
Vous voulez dire que l"on aide pour une satisfaction personnelle ?
J.V. Jusqu'aux années 60, la société était très collective. Il y avait le monde ouvrier, paysan, les mondes bourgeois qui correspondaient à des quartiers ou des villages.
Les choses ont changé. Petit à petit, la société est devenue de plus en plus autonome. La vie s"est extraordinairement allongée - on a gagné 25 ans d"espérance de vie en un siècle - on change de partenaire sexuel tous les 8 ans, d"entreprise tous les 12 ans et 10% de Français déménagent chaque année.
On est dans une société de la mobilité et de la discontinuité qui se cristallise par période sur des grandes causes : un grand match de foot, une élection présidentielle, un voyage du pape, un attentat, etc. C"est là où "on fait groupe".
Les modes de solidarité, de sociabilité, d"entre aide sont devenus beaucoup plus discontinus mais c'est quelque chose de "très vivant".
Pensez que 75% des français déclarent toujours qu"ils sont heureux dans leur vie privée, dans leur travail, dans leur logement et dans leur vie amoureuse.
En résumé, cette société est une société du bonheur privé et du malheur public.
Arrêtons donc de faire comme si tout s"effondrait, ce n"est pas vrai. Par contre, il y une niche de souffrance et de pauvreté, disons de 10 à 15% des gens. Là, effectivement, il y a un problème.
On constate bien cependant une perte des repères
J.V. Il y a une grande crise des projets collectifs. Beaucoup de questions restent sans réponse : qu"est-ce qu"on a en commun ? Où on va ? C"est quoi l"humanité demain ? C"est quoi la France ? C"est quoi l"Europe ? C"est quoi une famille ?
Le malheur public et le discours politique du malheur public, ce n"est pas le malheur privé des individus. Heureusement, sinon il y aurait des révolutions.
Les nouveaux modes de communication jouent-ils sur cette discontinuité que vous décrivez ?
J.V. Ils contribuent à créer ces liens discontinus. L'intérêt d'Internet est que vous pouvez vous brancher et vous débrancher. Dans une association de quartier, si vous ne venez pas pendant cinq ou six fois, quelqu"un a pris votre place. C"est beaucoup plus souple.
Le lien virtuel a toujours existé.
Avant, il était dans le religieux. Il l"est d"ailleurs encore pour beaucoup de personnes. Ce n"est pas un hasard si on fait la prière à la même heure. Chacun s"adresse à son Dieu mais en sachant que dess dizaines de millions font exactement la même chose, au même moment.
Depuis la guerre, les liens se tissent à travers le travail et tout ce qui relève des pratiques collectives du temps libre, les départs en vacances, les grands matchs de foot, les pratiques de télévision, etc.
C"est un peu pareil aujourd"hui avec les réseaux sociaux.
Au fond, Internet, ce n"est jamais qu"un "progrès technique" du croire.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.