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Les juges sont responsables, aux yeux de Nicolas Sarkozy, de négligence dans le suivi du meurtrier présumé de Laetita

La fronde inédite des magistrats suite aux propos du chef de l'Etat met en lumière plusieurs faiblesses du système judiciaire.Celle des moyens affirment les juges. Celle de l'évaluation du risque de récidive comme l'explique notamment le médecin psychiatre Alexandre Baratta, invité de Mots croisés lundi soir sur France 2.
Article rédigé par Catherine Rougerie
France Télévisions
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Magistrats, greffiers, fonctionnaires et avocats du Tribunal de Nantes dénoncent les propos de Nicolas Sarkozy (7/2/11). (AFP - Frank Perry)

La fronde inédite des magistrats suite aux propos du chef de l'Etat met en lumière plusieurs faiblesses du système judiciaire.

Celle des moyens affirment les juges. Celle de l'évaluation du risque de récidive comme l'explique notamment le médecin psychiatre Alexandre Baratta, invité de Mots croisés lundi soir sur France 2.

Auteur d'un rapport pour l'Institut pour la Justice, cet expert auprès de la Cour d'appel de Metz dénonce le retard de la France en matière d'évaluation de la dangerosité dite criminologique.

La "méthodologie (...) n'a jamais été adaptée aux besoins de la mission confiée par la Justice"

A l'origine rappelle M. Baratta, l'expertise psychiatrique judiciaire poursuivait un seul objectif: déterminer si l'auteur d'un crime ou d'un délit était atteint de "démence" au moment des faits. Seule la dangerosité psychiatrique était alors évaluée.

Au fil des ans et des évolutions législatives, les choses ont changé. Désormais, la mission de l'expert n'est plus seulement de dire si l'accusé est pénalement responsable de ses actes mais surtout d'évaluer le risque de récidive de comportement violent. Dès lors "la Justice est en droit d'attendre une évaluation fiable, objective" soutient-il.

Et c'est là que le bât blesse selon M. Baratta. La "méthodologie mise en oeuvre par les experts français n'a jamais été adaptée aux besoins de la mission confiée par la Justice".

Dans sa ligne de mire, l'évaluation clinique, basée sur un entretien, et "centrée sur la recherche d'éléments exclusivement cliniques: capacités d'introspection, critique de passage à l'acte." (...). Cette méthode ne "permet pas d'évaluer correctement le risque de récidive", écrit M. Baratta dans son rapport.

Et de rappeler que la "délinquance n'est pas une catégorie diagnostique, mais un phénomène criminologique qui dépasse largement le cadre psychopathologique". "Tous les auteurs de délits violents ne sont pas des malades mentaux, loin s'en faut" rappelle encore le psychiatre.

Dangerosité psychiatrique et dangerosité criminologique

Ces deux notions doivent être distinguées. La première "correspond à un risque de passage à l'acte principalement lié à un trouble mental". En clair, elle est la résultante directe d'une maladie mentale. La seconde laisse une place mineure aux maladies mentales et prend en compte des facteurs sociologiques et institutionnels.

La distinction entre les deux est toutefois délicate reconnaît le praticien qui propose donc non pas "d'évaluer les dangerosités" mais de "mesurer un risque de récidive violent" en utilisant des outils nommés "échelles actuarielles". Autrement dit, d'identifier des liens statistiques entre plusieurs facteurs (cliniques, sociologiques, institutionnels, judiciaires) et un risque de réitération d'un comportement violent".

En 2000, la France avait déjà accumulé un retard considérable en matière d'évaluation criminologique. "Dix ans après, le fossé s'est encore considérablement agrandi", dénonce le médecin qui souligne que la France reste l'un des derniers pays à pratiquer régulièrement l'évaluation clinique en matière pénale.

Une position partagée par Xavier Bébin, Délégué Général de l'Institut Pour la Justice. Mais ce criminologue pointe un autre dysfontionnement de l'appareil judiciaire et balaye d'un revers de main l'argument de la pénurie de moyens des syndicats de magistrats en réponse aux propos du chef de l'Etat.

"Un problème de culture professionnelle chez les magistrats"

"Cette fronde est stupéfiante" commente M. Bébin. "Alors qu'on a un meurtre atroce, commis dans des conditions très particulières (...) plutôt que de réfléchir collectivement à ce qui s'est mal passé et à la façon dont on pourrait réussir à améliorer le fonctionnement d'un système (...) on a des magistrats qui se mettent en grève alors qu'ils n'en n'ont pas le droit constitutionnellement, qui contestent un certain nombre de lois qu'ils sont censés appliquer et qui axent tout sur la question des moyens".

S'il admet que la "question des moyens est légitime de manière générale, et que la justice manque de moyens", le juriste affirme que ce facteur n'explique en rien le drame de Pornic

"On a un individu condamné 15 fois par la justice, dont deux fois pour des crimes. Il a une dangerosité très importante relevée par des expertises psychiatriques. Que fait-il en liberté à 31 ans ? On peut quand même se poser la question ?"

Pour M. Bébin la faille réside dans la pratique des juges. "C"est un problème de culture professionnelle chez les magistrats et d"une déconnexion totale du système judiciaire avec les préoccupations des citoyens.

Selon lui, "les magistrats et même les jurés populaires ont tendance à juger à la huitième fois comme à la première et n'ont pas tendance suffisamment à prendre en compte la dangerosité et à veiller à protéger la société dans le prononcé de la peine".

Or, selon ce criminologue, "la peine n'a pas seulement pour fonction de faire en sorte qu"à la sortie de prison, la personne ne commette plus de délit mais, elle a aussi une fonction de neutralisation, c"est-à-dire de mise à l"écart, pendant un certain temps au moins, des personnes très dangereuses". "Ce critère n'est pas dans le logiciel des magistrats" dénonce M. Bébin.

Visiblement, la polémique née du drame de Pornic est loin d'être close.

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