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Le système actuel de retraites par répartition a vu le jour avec la création du régime de sécurité sociale en 1945

Les conditions démographiques et familiales qui ont présidé à l"instauration du système de retraite, il y a près de 55 ans, ont complètement changé.Ces évolutions devraient être prises en compte pour une réforme en profondeur du système des retraites.
Article rédigé par Catherine Rougerie
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Hervé Le Bras, démographe à l'EHESS, le 10 juin 2009. (Photo Catherine Rougerie)

Les conditions démographiques et familiales qui ont présidé à l"instauration du système de retraite, il y a près de 55 ans, ont complètement changé.

Ces évolutions devraient être prises en compte pour une réforme en profondeur du système des retraites.

Le démographe, Hervé le Bras, directeur d"études à l"Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) revient sur les grandes évolutions de la société Française des dernières décennies et leurs conséquences sur le système des retraites.

Quelles sont les conditions démographiques qui entourent le débat sur les retraites ?

H.L.B. Il y a plusieurs aspects. Celui qui revient le plus souvent est lié à l"espérance de vie.

Pendant très longtemps, elle n"a pas bougé. Entre 1806 et 1945, elle s"est maintenue à 65 ans. Il n"y a eu aucun progrès pendant 150 ans. Puis à partir du milieu des années 70, elle est montée à toute vitesse. Elle est maintenant de 77,8 ans pour les hommes et de 84,5 ans pour les femmes.

Cela a complètement changé la nature de la retraite car, dans le même temps, la part de vie en mauvaise santé a diminué. Désormais, toutes les années au-dessus de 65 ans sont majoritairement des années en bonne santé.

Parlant des retraites, certains les comparent d"ailleurs à une sorte de grandes vacances perpétuelles, de congés payés à l"année et beaucoup veulent protéger cette zone de vie parce qu"ils savent qu"ils pourront profiter de ce temps.

Cela est valable pour l"ensemble de la population mais il y a bien sûr des différences assez fortes entre ouvriers et cadres.

Quelles sont-elles ?

H.L.B. Dans les générations qui arrivent maintenant à la retraite, les ouvriers ont eu leur premier emploi vers 15 ou 16 ans. Si le système était logique, c"est-à-dire, si au bout de 40 annuités, ils avaient droit à une retraite, ils partiraient beaucoup plus tôt qu"ils ne font.

En revanche, les cadres de niveau bac +3, qui ont commencé par exemple vers 22 ans, n"atteignent les 40 anuités qu"après leurs 60 ans.

Il y a là une sorte de paradoxe. Si l"on ne tenait compte que des annuités et que l"ouvrier prenne sa retraite après 40 années de cotisations, comme il a commencé à travailler plus tôt, la différence d"espérance de vie, plus faible pour les ouvriers, serait effacée. Il aurait un temps de retraite analogue à celui du cadre qui lui part plus tard mais a une espérance de vie plus longue. Mais comme vous le savez, la règle de l"âge minimum empêche cela. Autrement dit, toute la querelle actuelle est uniquement une querelle de classes sociales.

La position de la droite et du patronat est d"augmenter l"âge minimal. Celle de la gauche et des syndicats, c"est augmenter le nombre des annuités.

On ferait mieux de dire les choses clairement au lieu de raconter n"importe quoi.

Il faut toujours tenir compte des âges à l"entrée et du nombre d"annuités. C"est cela qui compte démographiquement, c"est cela le bon raisonnement.

Quelles sont les autres évolutions démographiques à prendre en considération dans ce débat ?

H.L.B. L"activité féminine a complètement changé.

Dans les années 50, moins de 50% des femmes travaillaient et la doctrine nataliste, consistant à dire aux femmes de rester au foyer pour faire des enfants, prévalait. Mais que devenaient-elles si elles devenaient veuves ? Elles tombaient dans la misère. On a donc institué des réversions.

Aujourd"hui, 82 % des femmes travaillent. La donne a complètement changé. Cette réversion n"a plus de sens ou très peu de sens.

En plus de cela, elle est « nichée » dans le système de sécurité sociale des retraites.

Si vous prenez toutes les sommes versées pour les retraites, à peu près 280 milliards d"euros, 9% partent en réversion et 4,5% viennent pour les suppléments d"annuités liés au nombre d"enfants.

Avec 9% de 280 milliards, pratiquement 25 milliards, vous épongez la quasi-totalité du déficit.

C"est normal que le système de retraites soit déficitaire. On lui demande de jouer un rôle pour lequel il n"est pas fait. Cela devrait être géré par la branche famille. On mélange les systèmes.

Que répond le ministre du Travail Eric Woerth auquel vous avez soumis cette remarque ?

H.L.B. Ce n"est pas le sujet. On ne touche pas aux questions relatives aux familles.

Pourquoi ?

H.L.B. Parce que derrière, il y a la puissante UNAF (Union nationale des associations familiales) qui va mettre en branle un nombre impressionnant de députés…. Donc, on laisse cela de côté.

Les autres pays ont traité cette question sérieusement.

La Suède a supprimé complètement les réversions mais a augmenté les minimums vieillesses.

Les Allemands ont instauré un nouveau système, déjà efficient pour les divorces. Ils considèrent que le revenu d"un membre du couple appartient au couple parce que c"est le couple qui décide comment l"homme et la femme vont se partager le travail.

Au moment du divorce, ils mettent ensemble les annuités gagnées par l"homme et la femme et ils divisent par deux. Chacun part avec la moitié.

Si la femme n"a pas travaillé du tout, c"est l"équivalent de la réversion puisqu"elle aura la moitié du mari. Mais si les deux ont travaillé à égalité, ils n"auront que ce que chacun a gagné.


Que peut-on dire sur le niveau de vie des retraités aujourd"hui ?

H.L.B. En 1945, les « vieux » étaient pauvres et ils le sont devenus encore plus l"année suivante avec l"inflation et la ruine des petits rentiers. Ils l"étaient encore au début des années 70.

Le phénomène s"est inversé. Le niveau de vie moyen d"un retraité est à peu près le même qu"un actif et ce qui est intéressant, c"est la proportion de personnes au-dessous du seuil de pauvreté. Elle décroît avec l"âge. Aujourd"hui, elle ne concerne que 2,5 % des hommes de plus de 75 ans.

En 1970, il y avait 2.600.000 personnes qui touchaient le minimum vieillesse. Il n"y en a plus que 590.000 aujourd"hui alors que le nombre de personnes âgées a presque doublé. C"est bien la preuve qu"il y a une amélioration.

Le minimum vieillesse a augmenté plus vite que l"inflation et plus vite que le salaire moyen. Il doit sans doute être encore augmenté, mais il offre un filet de sécurité, d"autant que beaucoup sont en ALD et ont diverses réductions.

78 à 80 % des personnes de 70 ans sont par ailleurs propriétaires de leur logement.

Bien sûr, il y a quelques cas de grande pauvreté mais globalement la situation a changé.

Aujourd"hui, 45 % des mères de famille monoparentales et 14 % des jeunes vivent en dessous de ce seuil.

Ce n"est plus sur les retraités que pèse le poids de la pauvreté et du dénuement. Ils doivent contribuer comme les autres au système de retraite.

Il y a un autre aspect à prendre en considération.

Lequel ?

H.L.B. Dans les années 1945 et pendant tout et toutes les 30 glorieuses, il n"y avait pas de problème d"emploi, les ouvriers avaient la main et pouvaient négocier leurs salaires.

Par contre, les salaires des fonctionnaires augmentaient peu. On leur a donc donné des avantages pour qu"ils restent fonctionnaires d"une certaine manière.

Aujourd"hui, ils ont la sécurité de l"emploi, alors que les salariés sont menacés par le chômage, et ils ont des salaires décents. En moyenne, les salaires des fonctionnaires ont dépassé ceux du privé. Ayant plus de poids dans l"appareil d"Etat, ils ont fait valoir leur droit. Ils ont aussi un peu plus vieillis.

Il est donc logique qu"ils soient un plus payés mais ce qui est choquant c"est que le système n"est pas évolué alors que les raisons qui ont présidé à son instauration ont disparu.

Je trouve anormal que les cotisations retraites des fonctionnaires soient inférieures de trois points à celles du privé.

Mais leurs salaires n"intègrent pas les primes…

H.L.B. Les primes ne concernent que quelques hauts fonctionnaires, ingénieurs et enseignants mais dans l"ensemble, il y a très peu de primes.

En résumé, la société a évolué mais pas le système ?

H.L.B. Exactement. La société, et heureusement, a beaucoup changé mais le système est devenu assez injuste, assez inéquitable.

Les suédois, les allemands et les italiens l"ont adapté. Les finlandais sont en train de le faire. Ils procèdent d"ailleurs de façon très astucieuse.

Ils n"ont pas posé d"emblée le problème des retraites. Pendant 5 années, ils ont mené une vraie politique de formation pour les personnes de 40-45 ans. C"est là d"ailleurs où la France est très en retard. Il y a pourtant de ce côté-là 28 milliards qui ne servent à pas grand-chose.

Résultat, le taux d"emploi des seniors en Finlande qui était à peu près égal au nôtre a bondi de 20 %.

Du coup, ils posent maintenant la question de la retraite sans avoir à gérer le problème du chômage des seniors.

L"exemple suédois est aussi intéressant. Ils ont pris leur temps pour réformer

H.L.B. Hé oui. Ils ont mis cinq ans.

Alors, que l"on ne nous parle donc pas de réforme en France. Que l"on dise qu"il y a un problème de trésorerie, que l"on va devoir piocher un milliard ici, un milliard là… que l"on va faire un rafistolage mais pas que c"est la grande réforme de la fin du septennat.

Cela me fait penser au débat sur l"identité nationale d"Eric Besson. C"est exactement le même scénario, c"est-à-dire absolument pas pensé, qui s"est soldé pas un résultat totalement improductif si ce n"est de « requinquer » le Front national. Exactement l"inverse du but recherché.

Il faut être sérieux. Cela se construit un débat. Il faut du temps pour le préparer, amener l"ensemble des partenaires à vraiment négocier. Il y a eu des précédents sérieux, la commission Marceau Long sur la nationalité, la commission Stasi sur le voile.

Ce n"est pas cette fois qu"on réformera un système qui après 60 ans est devenu complètement obsolète.

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