Le vote Front national est-il devenu un vote d'adhésion ?
Après la victoire de leur candidat à Brignoles, les dirigeants frontistes répètent que le vote FN n'est plus un vote sanction. Qu'en est-il réellement ? Eléments de réponse avec trois chercheurs spécialistes du parti de Marine Le Pen.
Un vote d'adhésion, pas un vote sanction. Depuis la victoire de leur candidat dimanche 13 octobre à Brignoles (Var), c'est l'élément de langage répété par les dirigeants du Front national. "Le FN est un parti fédérateur, d'adhésion", s'est félicité le nouveau conseiller général, Laurent Lopez.
"C'est un vote d'adhésion et d'espoir, ce n'est pas un vote de rejet ou de peur", a embrayé la députée Marion Maréchal-Le Pen sur i-Télé, depuis la petite ville du Var. "La réalité, c'est que le vote Front national est un vote d'adhésion et c'est la raison pour laquelle le FN est dans une telle dynamique", a pour sa part analysé Marine Le Pen sur RTL.
Qu'en est-il réellement ? Francetv info a posé la question à trois chercheurs spécialistes du parti d'extrême droite.
Oui : le vote FN n'est plus réservé au premier tour
Comme dans l'Oise et à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), le Front national a engrangé des voix entre les deux tours de l'élection. Dans le canton de Brignoles, situé dans l'arrière-pays varois, Laurent Lopez a récolté 2 313 voix supplémentaires au second tour, pour atteindre 5 031 voix. Certes, il pouvait compter sur les 612 voix du candidat FN dissident, Jean-Paul Dispard. Mais la progression n'est pas négligeable. Comme le relève Le Monde.fr, le FN fait mieux que les 4 647 voix recueillies par Marine Le Pen en 2012, précédent record dans le canton.
Peut-on pour autant parler d'adhésion ? "Les concepts de vote protestataire et de vote d'adhésion sont difficiles à définir, met en garde Joël Gombin, chercheur en sciences politique, spécialiste du FN. En revanche, je constate que sur les dernières partielles et les cantonales de 2011, le FN n’est plus un vote de premier tour. Chaque fois qu'il va au second tour, il continue de progresser."
Oui : le Var est historiquement une terre frontiste
Ce changement de nature du vote FN est cependant à relativiser : il n'y a pas eu de percée dans ce canton où le parti disposait déjà d'une base solide. Au fil des trois élections cantonales partielles, le Front national n'a que légèrement progressé en nombre de voix, là où les autres partis ont chuté. Au second tour, 4 407 électeurs ont glissé un bulletin FN dans l'urne en 2011, 4 180 ont fait de même en 2012.
"Ces gens se prononcent pour le FN en toute connaissance de cause, reconnaît Jean-Yves Camus, chercheur en sciences politiques à l'Iris et spécialiste de l'extrême droite. Mais c'est un vote d'adhésion auquel on est habitué dans le quart sud-est de la France. Le FN dans le Var, c'est une vieille histoire", nuance-t-il immédiatement. Dans ce département, le FN a en effet remporté un siège de député dès 1986, un siège de conseiller général en 1994 et surtout la mairie de Toulon en 1995, une victoire plus spectaculaire que celle de Brignoles.
Non : l'abstention reste le premier "parti" à Brignoles
Les deux tours de l'élection partielle de Brignoles ont été marqués par une forte abstention : 66,6% au premier tour, 52,5% au second. Sociologue à l'université de Nanterre, Sylvain Crépon estime donc que cette élection montre davantage "une désaffection pour les partis traditionnels" qu'une adhésion au programme du Front national.
"C'est une partielle avec un taux d'abstention très fort, on ne peut rien en déduire sur le plan national, hormis une chose : les partis de gouvernement ne mobilisent pas leurs électorats", acquiesce Jean-Yves Camus.
Non : l'impact politique de cette élection est minime
La faible importance de l'élection de Brignoles affaiblit également la thèse du vote d'adhésion. "Nous sommes à chaque fois dans des élections dont l'impact politique est nul. Ce n'est pas un conseiller général FN qui va changer les politiques menées par le département du Var", rappelle Joël Gombin. "On ne pourra vérifier cette thèse du vote d'adhésion que lorsqu'il s'agira d'élire des exécutifs" et de mettre le FN en position de gouverner une collectivité, estime le chercheur.
Pour Sylvain Crépon, cet élément de langage marque la volonté pour ce parti, qui manque cruellement de cadres et de culture de gouvernement, de gagner en crédibilité, de montrer qu'il peut gouverner. Il rappelle que le FN tenait déjà ce discours dans les années 1980-1990 : "Depuis que le Front national fait des voix, il explique que c'est un vote d'adhésion."
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