Christiane Taubira veut-elle se débarrasser du procureur général de Paris ?
Selon "Le Canard enchaîné", la garde des Sceaux souhaite écarter le magistrat de son poste actuel en raison de sa sensibilité politique. Ce que la Chancellerie dément.
L'orientation politique du procureur général de Paris gêne-t-elle la ministre de la Justice ? C'est ce qu'affirme Le Canard enchaîné, dans son édition du mercredi 5 février. Selon l'hebdomadaire, Christiane Taubira "tente de virer le procureur général de Paris", François Falletti. Des allégations démenties par le ministère.
Francetv info revient sur cette affaire.
Qu'affirme "Le Canard Enchaîné" ?
Selon Le Canard enchaîné, François Falletti, 64 ans, nommé en janvier 2010, est convoqué en urgence le 27 janvier par la Chancellerie. Sa femme, qui l'accompagne dans tous ses déplacements car François Falletti est aveugle, n'est pas autorisée à assister à l'entrevue. Le cabinet de Christiane Taubira lui fait part du "souhait" de la ministre de le voir quitter ses fonctions. Il serait question de le "remplacer par quelqu'un de sa sensibilité politique", affirme l'hebdomadaire. En échange, le magistrat se voit proposer un poste de premier avocat général à la Cour de cassation. Ce qu'il refuse.
Des informations confirmées par François Falletti lui-même. Dans une réaction au Monde, il affirme : "On m'a effectivement demandé de partir à la Cour de cassation, je n'y suis absolument pas candidat. J'ignore pour quelle raison on me demande de partir, je fais mon travail, et la charge est lourde, avec toute l'intégrité voulue et toute la déontologie, je n'ai pas compris." Dans une lettre adressée à la ministre de la Justice, avec copie au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le magistrat déplore cette "tentative d'éviction".
Que répond le gouvernement ?
La Chancellerie a confirmé l'entrevue tout en contestant que le procureur général ait été convoqué le matin pour le soir-même, comme l'écrit Le Canard. Il aurait été convoqué plusieurs jours à l'avance, selon le ministère, et l'entretien était destiné à évoquer l'avenir de François Falletti, qui doit prendre sa retraite en juin 2015.
D'après le ministère, le poste de premier avocat général à la Cour de cassation étant vacant, il lui a été proposé en premier. En tant que procureur général, il en a en effet le grade, et cela lui aurait permis de rester plus longtemps en fonction. Face au refus de François Falletti, la Chancellerie affirme qu'il restera procureur général et réfute toute intention de "le limoger ou de le contraindre à démissionner".
"Pas de quoi fouetter un chat", a balayé Alain Vidalies, ministre des Relations avec le Parlement, mercredi sur i-Télé. Lors de son point presse hebdomadaire, Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement, a également évoqué une simple "proposition" refusée par l'intéressé. Elle a dénoncé une "exploitation politicienne (...) extrêmement choquante" de cet entretien.
Quelles sont les réactions ?
Les affirmations du Canard n'ont pas tardé à faire réagir, mercredi, de nombreuses personnalités du monde politique ou de la justice.
De la droite "Cela s'appelle un scandale d'Etat", a dénoncé Jean-François Copé sur France 3, se disant "très choqué" par l'affaire. "Voilà que la gauche, qui nous a donné tellement de leçons de morale, est en train de mettre en œuvre des pratiques que jamais je n'aurais imaginé qu'on puisse voir en cette période", a indiqué le président de l'UMP.
"Scandaleux, absolument scandaleux !" s'est emporté Christian Jacob, chef de file des députés UMP, lors de l'émission "Questions d'Infos" sur LCP. "Les masques sont en train de tomber. Madame Taubira apparaît sous son vrai jour, sectaire, politisée et manœuvrière", a-t-il estimé.
De la profession La convocation du magistrat est "a minima une maladresse, au pire une pression", juge de son côté Françoise Martres, la présidente du Syndicat de la magistrature (SM), pourtant classé à gauche et considéré comme proche de Christiane Taubira.
De son côté, l'Union syndicale des magistrats (USM), syndicat majoritaire, s'inquiète de "cette nouvelle marque de mépris pour l'indépendance de la magistrature" et déplore la "récupération pathétique par certains UMP du cas Falletti". Pour l'USM, cette histoire "consternante" démontre "la persistance des pratiques bien connues de l'ancienne majorité" consistant à déplacer au gré des aléas politiques des magistrats "dont les décisions pourraient s'avérer gênantes".
Qu'en dit Christiane Taubira ?
Interrogée sur ce point lors des questions au gouvernement par le député UMP Georges Fenech, la ministre de la Justice s'est défendue d'avoir voulu muter pour des raisons politiques François Falletti, assurant qu'il avait été invité à un entretien "tout à fait classique" à la Chancellerie.
Le magistrat, contacté le 23 janvier par le cabinet de la ministre, a été reçu le 27, a précisé Christiane Taubira. Il a donc mis "huit jours" pour faire part à la ministre, par un courrier, "de son interprétation" de cet entretien, a expliqué la garde des Sceaux, ajoutant qu'elle avait découvert ces critiques dans la presse avant même d'en prendre connaissance par cette lettre. "S'il y a une question sur les méthodes, ce ne sont certainement pas sur les miennes", a-t-elle conclu.
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