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La question du financement des retraites est à nouveau sur la table huit ans après la réforme de 2003

Si rien n"est fait, nos retraites sont menacées dit le gouvernement. Démagogie répond le PS qui dénonce une stratégie basée sur la peur dans un but de casse social. Rien de moins.Qu"en est-il vraiment entre la menace de la fin du système par répartition brandie par la droite et l"accusation de la gauche d"une réforme menée sous la contrainte ?
Article rédigé par Catherine Rougerie
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Henry Sterdyniak, économiste à l'OFCE. (Photo Catherine Rougerie)

Si rien n"est fait, nos retraites sont menacées dit le gouvernement. Démagogie répond le PS qui dénonce une stratégie basée sur la peur dans un but de casse social. Rien de moins.

Qu"en est-il vraiment entre la menace de la fin du système par répartition brandie par la droite et l"accusation de la gauche d"une réforme menée sous la contrainte ?

Henri Sterdyniak, économiste à l"Observatoire Français des Conjonctures économiques et professeur associé à l"Université de Paris Dauphine, livre son analyse.

Quel est le contexte économique de cette réforme ?

H.S. Il y a deux problèmes à résoudre, un à court terme, un à long terme.

Le problème à court terme, c"est le déficit actuel de 30 milliards du système des retraites qui fait partie de l"ensemble des déficits publics chiffrés à 160 milliards d"euros. Sur ces 30 milliards, 25 milliards sont dus à la crise et les 5 autres, aux premiers effets des « baby-boomers », ces générations nées après la guerre qui partent progressivement à la retraite.

Cela pose une question macroéconomique générale : réduit-on les dépenses ou compte-t-on sur la croissance pour réduire les déficits ?

Le problème à long terme tient à l"allongement de la durée de vie et au phénomène des « baby-boomers » qui va s"amplifier. Le déficit va se creuser. Il sera de l"ordre de 100 milliards d"euros à l"horizon 2035.

Il y a trois leviers pour agir: baisser le niveau des pensions, trouver des nouvelles recettes et travailler plus. Peut-on combler le déficit en n"agissant que sur l"un d"entre eux ?

H.S. Jouer sur un seul paramètre est insuffisant. Il faut utiliser les trois sachant qu"ils sont d"importances différentes.

Commençons par le niveau des retraites.

H.S. Actuellement, les retraités ont à peu près le même niveau de vie que les actifs. Il y a un consensus pour maintenir cet état de chose. Les Français refusent une forte baisse des pensions faisant des retraités, de nouveau, des pauvres.

Il n"empêche qu"en raison des négociations dans les régimes des retraites complémentaires et de la réforme de 1993, le niveau relatif des pensions a tendance à baisser.

La réforme Balladur a instauré l"indexation des pensions uniquement sur les prix et non plus sur les salaires, ce qui diminue leur montant. Au fur et à mesure que vous vieillissez, comme votre retraite est fixe alors que les salaires augmentent, votre niveau de vie relatif diminue.

On peut toujours prendre des mesures pour donner des coups de pouce. Nicolas Sarkozy a par exemple décidé d"augmenter de 25 % le minimum vieillesse.

De quelle marge de manœuvre dispose-t-on concernant le second paramètre, les ressources supplémentaires ?

H.S. Il y a deux points de vue.

Le premier consiste à dire, les actifs payent pour les retraités. Il faut donc augmenter les cotisations des salariés, une hausse estimée à 4 points d"ici 2035.

Sauf que le gouvernement ne veut pas. Il estime que le taux de prélèvement obligatoire en France est déjà trop fort. Le patronat ne le veut pas non plus.

Le deuxième point de vue consiste à dire, il faut faire payer les plus hauts revenus et les revenus du capital.

Dans le système contributif, l"ouverture des droits à la retraite et l"attribution des pensions reposent sur le versement antérieur des cotisations. Elles en sont la contrepartie.

Proposer de prélever des cotisations sur les revenus du capital qui n"ouvriront pas un droit à la retraite est plus difficile à comprendre.

Le gouvernement a pourtant dit qu"il allait faire un geste et qu"on allait augmenter la fiscalité sur les hauts revenus. Cela sera purement symbolique. Lors de la création du RSA, l"augmentation d"un point de fiscalité sur les revenus du patrimoine a rapporté environ 1 milliard d"euros. On est loin des besoins.

Il reste le dernier paramètre, travailler plus longtemps

H.S. C"est en effet le dernier levier. Trois points de vue existent.

Celui du gouvernement, qui considère que le recul de l"âge de la retraite de 60 à 63 ans, va permettre d"alléger la charge pesant sur le système.

La critique essentielle à cette stratégie, c"est le chômage de masse. Les entreprises n"ont pas besoin de main d"œuvre supplémentaire. Il y a deux risques

Le premier est que les salariés licenciés ne retrouveront pas d"emploi de 58 à 63 ans et percevront une allocation spécifique de solidarité. La seule économie réalisée sera le versement d"une allocation « minable » au lieu d"une retraite.

L"autre risque, c"est que les entreprises vont conserver un certain nombre de ces travailleurs seniors. Du coup, ils ne vont pas embaucher des jeunes. On l"observe bien depuis deux ans. Le chômage des jeunes a massivement augmenté.

Conclusion, cette stratégie assez brutale ne tient pas compte de la conjoncture.

Il y a une autre orientation particulièrement regrettable. C"est le report à 68 ans de l"âge auquel on peut percevoir une retraite à taux plein quelle que soit sa durée de cotisation.

Ce dispositif concerne surtout les femmes qui ont une carrière plus courte et attendent déjà le seuil des 65 ans pour faire valoir leur droit.

Entre 65 et 68 ans, ces femmes ne retrouveront pas de travail. Le report à 68 ans va donc les contraindre à attendre plus longtemps pour liquider leur retraite ou à la prendre sans bénéficier du taux plein.

Les autres points de vue ?

H.S. Le second, soutenu principalement par la CFDT, consiste à allonger la durée de cotisations. Cela joue peu sur les ouvriers mais davantage sur les cadres qui commencent à travailler à 23 ans et seront obligés d"aller jusqu"à 65 ans.

C"était le compromis qui avait été signé en 2003 entre la CDFT et le gouvernement mais ce dernier le remet en cause cette année parce qu"il veut aller vite. Il veut une réforme qui rapporte de l"argent rapidement.

Quant au troisième point de vue, il consiste à dire qu"il faut attendre compte tenu de la situation de l"emploi.

Par ailleurs, faire travailler plus longtemps suppose qu"on change les procédures de gestion des carrières et d"embauche au niveau des entreprises. Cela demande une mobilisation sociale, des accords entre syndicats et entreprises. Cela ne se fait pas en cinq minutes.

Le gouvernement a demandé au conseil d"orientation des retraites d"étudier un régime de « comptes notionnels ». On en entend plus parler pourquoi ?

H.S. La CFDT a émis l"idée qu"on pourrait réformer l"ensemble du système des retraites pour aboutir à un système plus juste, plus redistributif. Mais le fait est que la CFDT n"a pas fait de propositions précises.

Il y a eu un projet Beaulieu-Piketty appliquant à la France le modèle suédois de comptes notionnels. Tel qu"il a été proposé, c"est un système où le niveau de la retraite dépendait de façon extrêmement importante de l"âge de départ.

On favorisait donc largement les cadres au détriment des ouvriers et on équilibrait le système en baissant fortement le niveau des pensions. Ce n"était donc pas un projet présentable pour la CFDT.

L"avantage de ce système, c"est qu"il unifie le public et le privé. L"inconvénient, c"est qu"il exige un ou deux ans de préparation et une période extrêmement longue, d"au moins dix ans, de mise en oeuvre puisqu"il faut recalculer les droits de chacun.

Le gouvernement n"a donc pas voulu se lancer dans un projet à ce point difficile à initier pour un résultat peu assuré.

Il est toujours possible que le gouvernement décide, dans le cadre de la réforme, de lancer une grande commission qui aura pour but de réfléchir à ce système.

Est-il équitable ?

H.S. Il y a deux acceptions « d"équitable ».

Soit vous dites, le système doit être très contributif, c"est-à-dire chacun doit avoir une retraite qui dépend des cotisations.

Soit vous dîtes, le système doit être très redistributif, c'est-à-dire un système où il faut donner plus à ceux qui ont eu des bas salaires, des carrières courtes, etc. Le projet de Piketty est un projet très contributif alors que la CFDT veut au contraire un système très redistributif.

Est-ce une bonne idée selon vous de vouloir unifier le système public et le privé ?

H.S. Oui, mais le problème, c"est qu"il faut d"abord unifier le régime du privé : ARCCO, AGIRC et régime général, ce qui n"est déjà pas simple. Certains syndicats sont d"accord mais ne veulent pas perdre la gestion de ces régimes.

Ensuite, il faut unifier le régime du public. Or le problème est double. D"une part les primes des fonctionnaires ne rentrent pas dans le calcul de leurs retraites. Il faudrait tout recalculer. Par ailleurs, le point d"indice de la fonction publique ne suit pas l"inflation.

En résumé, il faudrait donc remettre en cause toute la gestion des salaires dans la fonction publique.

Comment analysez-vous le contre-projet du Parti socialiste ?

H.S. Le charme de la proposition du PS, c"est de donner plus de ressources, de dire qu"on va essayer d"augmenter le taux d"activité des seniors sans passer par la méthode brutale de report de l"âge légal.

Les socialistes sont toutefois dans l"idée d"augmenter la durée de cotisation requise, de prendre en compte la pénibilité en donnant des majorations de durée à ceux qui ont des travaux pénibles.

Il y a aussi un certain nombre d"idées saugrenues sur des ressources fabuleuses qu"on tirerait des revenus financiers et sur la hausse de la surcote qui n"est pas logique du tout parce qu"elle favorise surtout les cadres.

Cela consiste à dire on donne des « carottes » aux gens qui acceptent de travailler plus longtemps. Le problème de cette « carotte », c"est qu"elle permet d"augmenter la retraite des personnes qui peuvent choisir au détriment des gens qui n"ont pas le choix, les ouvriers, les chômeurs et ceux qui ne peuvent plus travailler du fait de la pénibilité de leurs activités.

On n"échappera pas à l"obligation de travailler plus longtemps, mais il faudrait que cela porte davantage sur les cadres ou ceux qui ont des travaux peu pénibles et que l'on protège les travailleurs manuels et ceux qui ont eu des travaux éprouvants.

Etes-vous optimiste sur l"issue de cette réforme ?

H.S. Non parce qu"en 2009, le Medef soutenait qu"il fallait absolument réussir à faire reculer l"âge de la retraite, ne pas céder sur la pénibilité, ni sur les cotisations.

Or, le gouvernement risque de faire une réforme dans laquelle il ne va pas céder sur les cotisations et va reculer l"âge de la retraite sans rien donner sur la pénibilité.

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