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La prise en compte de la pénibilité est un facteur clé pour réformer le système des retraites

La question de l"usure au travail n"est pas nouvelle.En 1993, la réforme prévoyait une négociation sur ce thème. Les partenaires sociaux ont bien discuté de 2005 et 2008, mais leur échange s"est soldé par un échec.
Article rédigé par Catherine Rougerie
France Télévisions
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Temps de lecture : 9min
Les températures extrêmes sont un des facteurs de pénibilité listés par les syndicats et le patronat en 2008. (getty Images / Joel Sartore)

La question de l"usure au travail n"est pas nouvelle.

En 1993, la réforme prévoyait une négociation sur ce thème. Les partenaires sociaux ont bien discuté de 2005 et 2008, mais leur échange s"est soldé par un échec.

Seul point d"accord, la fixation de trois facteurs de pénibilité: les contraintes physiques marquées (port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations), un environnement agressif (produits toxiques, températures extrêmes, bruits intenses, etc.), et certains rythmes de travail (travail de nuit, horaires alternants, etc.).

Mais concernant la prise en compte dans la retraite, aucun accord. Et en 2010, le sujet divise toujours.

D"un coté, les syndicats défendent un dispositif de départ anticipé pour les salariés travaillant dans des branches "pénibles". Le patronat s"y oppose de peur que cela n"aboutisse à recréer des régimes spéciaux, tout en reconnaissant que la pénibilité a bien un impact sur la santé.

C"est aussi la position du ministre du Travail. Les salariés "usés physiquement et qui peuvent le prouver" pourront partir plus tôt à la retraite a déclaré M Eric Woerth sur TV5 début juin, privilégiant la logique individuelle et médicalisée de la pénibilité souhaitée par le Medef plutôt que l"approche "par métiers" des syndicats.

"Il ne s"agit pas seulement de la pénibilité intrinsèque des tâches, mais des effets différents qu"elle peut avoir sur différentes personnes et de vérifier ces effets" a aussi indiqué le ministre dans une interview au Journal du Dimanche.

Des déclarations qui ont aussitôt déclenché l"ire des syndicats. «La position (…) affichée par le ministre du Travail constitue une véritable provocation" et "une insulte au bon sens, dès lors que pour bénéficier de mesures concrètes, la condition exigée serait que la santé du salarié soit déjà altérée" a réagi la CGT.

"Ce qu'attendent les salariés, c'est précisément de pouvoir bénéficier d'une période de retraite en bonne santé d'une durée identique aux autres salariés" a insisté le syndicat, rappelant que "l'espérance de vie est réduite d'au moins 7 ans pour les salarié(e)s exposé(e)s".

Pour la CGT, "la seule mesure efficace pour les salarié(e)s qui arrivent au terme de leur carrière avec une exposition à la pénibilité est de leur permettre un départ anticipé, fonction de la durée d'exposition".

Poser en ces termes, la discussion semble vaine.

L"analyse de Serge Volkoff, Directeur du Centre de recherches et d'études sur l'âge et les populations au travail (CREAPT) et membre du Conseil d"orientation des retraites aide à sortir de l"impasse.

Qu"entend on par pénibilité au travail ?

S.V. Le terme englobe beaucoup de choses. Il est donc important de faire un effort de clarification. Il y a trois grands types de pénibilité qui ne renvoient pas du tout au même champ de compétences ni aux mêmes types de mesures à prendre.

Le premier type de pénibilité renvoie à tout ce qui, dans le travail, peut avoir des effets à long terme sur la santé et sur l"espérance de vie. Il est bien établi aujourd"hui que certaines conditions de travail ont une incidence sur l"espérance de vie ou une mauvaise qualité de vie à la retraite.

Elles sont de trois ordres:

- l"exposition à des toxiques cancérogènes

- le travail de nuit avec ses effets notamment à long terme sur le système cardio-vasculaire

- les grands efforts physiques par leurs effets sur l"état des articulations au grand âge

C"est autour de cette pénibilité que se joue le débat sur les retraites.

Ensuite, il y a tout ce qui fait que l"on supporte mal son travail parce que sa santé est défaillante.

Certains salariés sont en mauvaise santé pour des raisons dues ou non à leur travail. Ils ont eu un accident ou une maladie et en ont gardé des séquelles et là, ils sont en difficulté dans leur travail. Le recul de l"âge légal de départ à la retraite risque d"augmenter cette catégorie de population.

Enfin l"acceptation la plus générale et la moins objectivable renvoie à tout ce qui fait que l"on "éprouve" son travail fatiguant.

Comment peut-on faire face ces trois types de pénibilité ?

S.V. Les trois domaines cités ne correspondent pas du tout aux mêmes mesures publiques.

Pour le dernier type de pénibilité évoqué, il serait difficile de penser le problème en termes de départ anticipé. C"est autour de la prévention, des conditions et de l"organisation de travail qu"il faut regarder. Cela relève d"une intervention publique mais pas de la loi.

Le second type de pénibilité concerne tout le champ des dispositifs d"inaptitude et d"invalidité qui existe déjà en France et dont la qualité est peut-être à réévaluer.

On peut aussi imaginer des mesures du type réaménagement et réaffectation de poste, de reconversion ce qui sous-entend des politiques de formation.

Enfin, pour le premier type de pénibilité, le raisonnement consiste à dire, c"est le travail qui finance la retraite. Donc, si le travail présente des caractéristiques qui tendent à la raccourcir ou à dégrader sa qualité, peut-être faut-il qu"une partie de cette inégalité-là, soit compensée par une bonification des annuités.

C"est à peu près les fondements du dispositif amiante que l"on pourrait songer à étendre avec toutefois des problèmes de traçabilité complexes.

Il faut prendre en compte les effets à long terme du travail sur la santé pour concevoir un système de départ qui soit aussi équitable que possible.

Comment procéder ?

S.V. Il faut partir des connaissances et des données bien établies dont on dispose, définir des critères, mettre en place un dispositif de reconnaissance et prévoir une bonification des années de cotisations.

Si je vous comprends bien, vous mixez les deux points de vue qui s"opposent aujourd"hui celui d"une individualisation de la pénibilité et celui d"une approche par métier ou branche ?

S.V. Bien sûr. Le débat est très mal posé. Il y a deux choses différentes.

Il faut définir les critères de pénibilité par secteur, le bâtiment, la sidérurgie, le travail de nuit, etc. et ensuite, il y a une application plus individuelle d"où la nécessité d"un dispositif publique interprofessionnel.

Ceux qui défendent le cas pas cas, ont en partie raison. On peut avoir été éboueur tout sa vie et n"avoir travaillé de nuit qu"à une période donnée.

Autre exemple, une personne qui travaillerait dans une mine de nuit puis serait reconvertie à 41 ans sur un poste de jour pour finir sa carrière sur un poste de bureau.

Les salariés d"un secteur donné ne sont pas tous dans des situations identiques.

Mais, là où ça ne va pas, c"est lorsque qu"on préconise une visite médicale. Cela heurte à la fois la rigueur scientifique et l"éthique.

On ne peut pas confier à un médecin la responsabilité de décider du degré d"exposition d"un salarié en fonction de son état.

A fortiori pour le travail de nuit.

Pourquoi ?

S.V. On sait que les problèmes cardiovasculaires sont renforcés par le travail de nuit mais il est impossible de prouver que ces problèmes ne seraient dus « exclusivement » qu"au travail de nuit. L"alimentation, l"alcool, le tabac, etc. jouent aussi.

A la limite, cela pourrait presque inciter le salarié à s"exposer davantage pour prouver qu"il est atteint. Vous voyez le danger.

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