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Pouvoir d'achat : comment le chèque alimentaire a mijoté deux ans dans la cuisine du gouvernement

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le chèque alimentaire, qui doit être présenté en juin par le gouvernement, est une promesse d'Emmanuel Macron qui remonte à 2020. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

Imaginée pour permettre aux consommateurs d'acheter des produits "durables", la mesure a été plusieurs fois remise à plus tard, avant de revenir dans le débat face à la hausse des prix.

Pour faire face à "la première urgence des Français", le gouvernement promet de frapper vite et fort. "Des lois d'urgence pour le pouvoir d'achat seront les premiers textes de ce quinquennat", a affirmé la Première ministre Elisabeth Borne le 27 mai. Les grandes lignes de ces mesures seront dévoilées en Conseil des ministres d'ici une semaine, avant une présentation complète le 29 juin, a précisé la porte-parole du gouvernement, lundi 30 mai, dans Le Parisien (article payant).

L'une des mesures préparées par l'exécutif est un chèque alimentaire, destiné aux ménages modestes touchés par la hausse des prix dans l'alimentation. Une nouveauté ? Pas tant que cela. Ce projet, acté depuis un an et demi, a longtemps pris la poussière dans les cartons du gouvernement, avant de ressurgir dans un contexte d'inflation croissante. Franceinfo vous raconte la difficile gestation de ce chèque, qui reste encore à libeller.

1Juin 2020 : la Convention citoyenne pour le climat propose cette idée

Souvenez-vous l'été 2020. Après neuf mois de travail, le 21 juin, les membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) adoptent une série de 149 propositions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France. Secoué par la crise des "gilets jaunes", Emmanuel Macron leur avait donné un mot d'ordre : la "justice sociale". Message reçu. Pour encourager les consommateurs à acheter "des produits durables", l'une des mesures retenues consiste à "mettre en place des chèques alimentaires pour les plus démunis".

Les citoyens souhaitent que ces chèques soient utilisables "pour des produits bios" ou "dans les Amap", des associations promouvant les circuits courts. Mais, anticipant des obstacles juridiques, ils proposent une définition plus large et incluent diverses mentions comme "Label rouge", "Haute valeur environnementale", "Pêche durable" ou encore "Produit à la ferme".

Sur le plan logistique, la distribution de ces chèques serait confiée aux centres communaux d'action sociale (CCAS). "Dans certaines communes, ils sont déjà chargés de distribuer des bons alimentaires, ressemblant à des tickets restaurants, qui permettent de faire des courses dans des épiceries sociales ou des commerces partenaires", vante la Convention citoyenne pour le climat.

2Juin à décembre 2020 : Emmanuel Macron promet de la concrétiser

Quelques jours plus tard, le 29 juin, Emmanuel Macron s'engage à soumettre au gouvernement ou au Parlement la quasi-totalité des propositions de la CCC. Devant les citoyens réunis dans les jardins de l'Elysée, il cite quelques "propositions fortes" qu'il souhaite "toutes voir reprises", à commencer par les "chèques alimentaires, pour permettre aux plus modestes d'acheter des produits de qualité".

Emmanuel Macron s'exprime devant les 150 citoyens de la CCC, à l'Elysée, le 29 juin 2020. (CHRISTIAN HARTMANN / AFP)

Dans la torpeur de l'été, l'idée fait son chemin, mais, à l'automne, silence radio de l'exécutif. La mesure ne figure ni dans le plan de relance, ni dans le projet de loi de finances 2021. En décembre, la cause paraît entendue. Jugé trop coûteux lors d'arbitrages ministériels, le chèque alimentaire n'est plus d'actualité, au grand désarroi de la Convention citoyenne pour le climat. L'une des participantes demande alors des comptes au chef de l'Etat.

"Nous ne comprenons pas le refus catégorique du ministère de l’Agriculture à mettre en place des chèques alimentaires en direction des produits biologiques et locaux."

Une membre de la Convention citoyenne pour le climat

lors d'une rencontre avec Emmanuel Macron, le 14 décembre

Réponse du chef de l'Etat, qui prend tout le monde de court : "Je suis d'accord sur le chèque alimentaire, donc il faut qu'on le fasse. Vous avez raison." Applaudissements dans la salle.

Sitôt le feu vert présidentiel, la majorité se met en ordre de marche pour concrétiser le projet. Un groupe de travail composé d'une dizaine de députés voit le jour et une note est transmise au gouvernement. Produits ciblés en priorité : les fruits et légumes bio ou labellisés, locaux et de saison. Montant : entre 30 et 60 euros mensuels par famille. Le chèque vise alors les "populations précaires" mais aussi le grand public, par exemple en cas de prise en charge par leur entreprise, comme pour les chèques restaurants ou vacances, rapporte L'Opinion (article payant).

3Février à août 2021 : la mesure figure dans la loi Climat, sans être mise en œuvre

Pourtant, début février, nulle trace du dispositif dans la version initiale du projet de loi Climat du gouvernement. En mars, le député LREM Mounir Mahjoubi demande au gouvernement "de s'engager" sur le sujet et fait adopter un amendement. "Le chèque alimentation durable, c'est pour maintenant", veut croire l'élu. Défendant son "attachement" à la mesure, Julien Denormandie, le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, lui assure que le travail avance.

"Les critères sont en cours de finalisation et de définition au sein du gouvernement."

Julien Denormandie, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

à l'Assemblée nationale

La loi Climat et résilience est promulguée en août, avec l'amendement de Mounir Mahjoubi. L'article 259, très timide, prévoit seulement la remise au Parlement de deux rapports, d'ici octobre et février, sans obligation d'instauration du fameux "chèque alimentation durable". Des députés écologistes dénoncent, en vain, ce manque d'empressement : "Face à l'urgence climatique, le temps doit être à l'action et à la décision, et non à la commande de rapports au gouvernement."

4Fin 2021 : Bercy tranche et la mesure est à nouveau abandonnée

A la fin de l'année, après des auditions conduites par les ministères de l'Alimentation, des Solidarités et des Finances, le "chèque alimentation durable" est de nouveau porté disparu. "On a été auditionnés à l'automne, puis on nous a dit qu'il n'y aurait qu'un seul rapport sur les deux prévus. Finalement, aucun n'a été publié", déplore auprès de franceinfo la Fédération des banques alimentaires. L'association demande désormais à l'exécutif de dévoiler les conclusions de cette inspection "avant les législatives".

Pourquoi un tel enterrement ? "Dans la loi de finances, fin 2021, Bercy n'a pas souhaité accorder de budget au chèque alimentaire, préférant renforcer les aides aux associations caritatives", répond la FNSEA, le principal syndicat agricole, qui milite de longue date pour un tel dispositif.

"Il y a eu un arbitrage de Bruno Le Maire défavorable au chèque alimentaire."

Yannick Fialip, président de la commission économique de la FNSEA

à franceinfo

"C'est très compliqué à mettre en place, je ne vous le cache pas", avait prévenu le ministre de l'Economie et des Finances, sur BFMTV, en septembre, soucieux "que nos finances publiques soient bien tenues et que l'argent aille à ceux qui en ont réellement besoin".

5Mars et avril 2022 : la promesse refait surface en pleine campagne électorale

Le 7 mars, à Poissy (Yvelines), lors de sa sortie inaugurale en tant que candidat déclaré à sa succession, Emmanuel Macron dévoile ses premières propositions.

"C'est le candidat qui vous parle : nous allons mettre en place le chèque alimentaire. (...) Le président aurait voulu le faire. Il y a eu beaucoup de résistances et tout ça a été compliqué."

Emmanuel Macron, candidat à sa succession à l'Elysée

lors d'une rencontre avec des habitants de Poissy

Quelle forme prendra cette fois le dispositif ? Joker. Le 22 mars, le président se contente de défendre une mesure destinée aux "ménages les plus modestes et [aux] classes moyennes", pour les inciter "à acheter en circuit court et à acheter français". Un mois plus tard, avant le second tour, Julien Denormandie est tout aussi évasif qu'un an plus tôt. "Le principe est arbitré, on est dans les détails techniques", élude-t-il, évoquant une cible potentielle de huit millions de bénéficiaires et une mise en place "dès après l'élection, courant de l'année 2022".

6Mai et juin 2022 : le chèque devrait finalement voir le jour mais "rien n'est acté"

A l'heure des arbitrages, avant la présentation du projet de loi sur le pouvoir d'achat, "rien n'est exclu", affirme à franceinfo le député LREM Gregory Besson-Moreau, qui dit "travailler le sujet avec le président et ses équipes""L'inflation liée à la guerre russo-ukrainienne chamboule les idées de base et on doit réagir très vite, peut-être avec un système à double détente, avance-t-il. Il pourrait y avoir une mesure d'urgence, et derrière des mesures plus ciblées. Rien n'est acté."

Avant son départ de Matignon, Jean Castex n'excluait pas non plus de réduire l'ambition écologique du dispositif.

"L’option est que ce chèque alimentaire devienne un chèque de pouvoir d’achat."

Jean Castex, Premier ministre

à l'AFP, le 15 avril

En coulisses, les acteurs du secteur tentent d'influer sur le panier d'aliments concernés par le futur chèque. La Coopération agricole, lobby des coopératives, et la FNSEA militent pour l'inclusion de tous les "produits alimentaires de qualité et locaux, d'origine animale et végétale", y compris hors produits frais et sans label bio. Un montant compris entre 90 et 150 euros mensuels par foyer est avancé. 

Le secteur de la grande distribution plaide, lui, pour inclure les rayons épicerie, produits laitiers et même hygiène, loin de la vocation initiale du chèque alimentaire. Pour le groupe E.Leclerc, "l'urgence sociale" doit primer sur l'objectif de "faire évoluer le régime alimentaire des Français". 

"Le problème de ce chèque, c'est qu'il paraît simple, mais que tout le monde y a mis derrière les objectifs qui sont les siens", observe Barbara Mauvilain, chargée des relations institutionnelles au sein des Banques alimentaires. Le temps est donc venu pour le gouvernement de clarifier sa ligne.

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