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Hollande est-il sous l'emprise des "technos" ?

Certains députés reprochent au président de ne pas s'affranchir assez de ses conseillers. 

Article rédigé par Thomas Bronnec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
François Hollande, ici à l'Elysée, à Paris, le 13 novembre 2013.  (PATRICK KOVARIK / AFP)

Face à la grogne qui monte, les députés de la majorité ont visiblement trouvé les coupables : les "technos", ces hauts fonctionnaires qui peuplent les cabinets de l'Elysée, Matignon et les ministères. "Ils bloquent tout et ne comprennent rien", s'exclame un député dans Le Parisien (article payant). "C'est compliqué de se faire entendre (...) ils sont déconnectés du terrain et ne nous écoutent pas", se plaint de son côté Sébastien Pietrasanta, député des Hauts-de-Seine. La hausse de la taxation des PEA et PEL, "qui a germé chez les technos de Bercy" selon le quotidien, a du mal à passer. François Hollande est-il vraiment victime de la technocratie ?

C'est un fait : Hollande est entouré de technocrates. Sa garde rapprochée est très "made in ENA". A l'Elysée, le président de la République est assisté de personnalités issues de la même promotion que lui, la "Voltaire", comme Pierre-René Lemas, secrétaire général de l'Elysée, ou encore Sylvie Hubac, sa directrice de cabinet. Mais il travaille aussi avec des énarques plus jeunes. Parmi eux, Emmanuel Macron, inspecteur des finances, secrétaire général adjoint, Sandrine Duchêne, une ex de Bercy chargée de la politique économique et des finances publiques, ou encore Hervé Naerhuysen, qui s'occupe de la politique fiscale. A Matignon, le conseiller chargé de la politique économique, Julien Rencki, a lui aussi fait toute sa carrière au Trésor.

"Hollande n'est captif d'aucun de ses cercles"

De quoi alimenter les soupçons sur l'omniprésence de réflexes technocratiques et l'absence de vision politique au sein de l'exécutif. Des soupçons qui ne datent pas d'hier. La prédominance des hauts fonctionnaires à l'Elysée et à Matignon n'est pas une originalité de la présidence Hollande. Nicolas Sarkozy lui aussi s'était entouré d'experts issus de la haute fonction publique. Claude Guéant, ancien élève de l'ENA qui avait fait sa carrière dans la préfectorale, a été le secrétaire général de la première partie de son quinquennat. Après son arrivée au gouvernement, il a été remplacé à ce poste par Xavier Musca, ancien directeur du Trésor à Bercy.

On se souvient aussi de François Pérol, inspecteur des finances qui avait en charge la politique économique jusqu'à sa nomination à la présidence de BPCE en 2009. Il avait piloté le plan contre la crise financière avec son homologue à Matignon, Antoine Gosset-Grainville, lui aussi inspecteur des finances.

A l'Elysée, on se défend évidemment d'être prisonnier de la gangue administrative. Un des technos proches du président confiait déjà à francetv info cet été : "Les politiques véhiculent cette idée car il y a une forme de frustration sur le mode 'il n’est pas assez en contact avec nous, il décide trop avec son cercle à l’Elysée'. Il y a une forme de paranoïa qui s’ajoute à une autre paranoïa selon laquelle il déciderait avec d’autres cercles. En réalité, Hollande fait son miel de tous les contacts, à la façon Mitterrand. Il n’est captif d’aucun de ses cercles."

Les technos n'ont pas le pouvoir, mais ils ont du pouvoir

Du côté de l'administration, on n'aime guère être mis sur le devant de la scène. Les hauts fonctionnaires se réfugient derrière l'adage "le ministre décide, les hauts fonctionnaires exécutent". Vrai... mais un peu trop simple. Car si les technos n'ont pas le pouvoir, ils ont du pouvoir, surtout quand les marges de manœuvre financière se réduisent et laissent peu de place aux idées coûteuses. La rentrée de l'année dernière, marquée par une lutte accrue contre les déficits, l'accord sur une flexisécurité à la française et le lancement du crédit d'impôt compétitivité emploi, a été très clairement orienté par Bercy. "A ce moment-là, explique un haut fonctionnaire du Trésor à francetv info, nous avons, c'est vrai, le sentiment que notre discours a porté. De notre point de vue, c'était une bonne séquence."

Les hauts fonctionnaires, omniprésents autour des ministres, sont souvent suspectés par ces derniers d'être la courroie de transmission de leur administration d'origine. Parfois à raison. Le projet de loi de séparation des activités bancaires en est l'illustration. Quand il sort de Bercy, il est très favorable aux banques : il adopte une définition ultra restrictive des "opérations spéculatives". De quoi atténuer le portée de la mesure sur les établissements financiers. "Quand il a vu les premiers articles de presse, Moscovici était furieux, raconte un proche du ministre de l'Economie. Il a engueulé ses conseillers en leur disant que le Parlement allait casser le projet. Mais en réalité, il savait que le Trésor n’irait pas plus loin. Pour ne pas se fâcher avec son administration, il a laissé les députés faire le boulot."

"Moi, je me suis fait avoir", avoue Copé

Cette influence des technos a toujours existé. Quelle que soit la majorité au pouvoir, le match est permanent entre les politiques et les technos, qui suivent leur propre agenda et qui disposent, eux, d'un atout que les politiques n'ont pas pour imposer leurs idées : le temps.

Le bouclier fiscal est né en 2006 lorsque Jean-François Copé était ministre du Budget, et a été amplifié par Nicolas Sarkozy. L'administration de Bercy y étant hostile, la mesure a été torpillée par sa mise en œuvre technique. Au lieu de laisser le contribuable calculer lui-même la ristourne à laquelle il avait droit et l'appliquer directement sur sa feuille d'impôt, Bercy a imposé que cette ristourne soit calculée par les impôts, puis remboursée, sous forme de chèque. Résultat : beaucoup ont renoncé, par peur de voir le fisc s'intéresser à leur situation, et les chèques distribués aux plus grandes fortunes de France, comme Liliane Bettencourt, ont choqué les Français. Ce qui a conduit à la fin du bouclier fiscal en 2011.

"Le courage politique, c'est aussi d'admettre qu'on s'est trompé, confie Jean-François Copé à la revue Au Fait, qui consacre une enquête à Bercy dans son numéro de novembre. Moi, je me suis fait avoir par l’administration." Est-ce aussi ce qui est en train d'arriver à François Hollande ?

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