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Récit franceinfo Soupçons d'emplois fictifs : les quinze jours qui ont plombé la campagne de François Fillon

Depuis deux semaines, le candidat des Républicains à la présidentielle est empêtré dans les révélations de la presse concernant l'emploi présumé fictif de sa femme en tant qu'assistante parlementaire.

Article rédigé par Benoît Zagdoun, Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 17min
François Fillon, le 6 février 2017, à son QG de campagne à Paris, lors d'une conférence de presse. (MARTIN BUREAU / AFP)

Il a vacillé, mais il est encore debout. Depuis la publication par le Canard enchaîné d'informations soulevant des soupçons d'emplois fictifs au profit de son épouse Penelope, François Fillon est passé par tous les états. Paniqué il y a deux semaines, jusqu'à se mettre en quête d'un candidat de substitution, son camp fait désormais bloc derrière lui. Un répit peut-être provisoire car déjà, mardi 7 février, la presse publie de nouvelles révélations. Retour sur une quinzaine complètement folle.

Mardi 24 janvier : galette des rois et "Canard enchaîné"

La scène semble, aujourd'hui, surréaliste. Mardi 24 janvier, dans l'après-midi, quelques heures seulement avant que Le Canard enchaîné ne publie ses révélations, François Fillon partage une galette des rois avec les membres de son équipe de campagne, dans son QG du 15e arrondissement de Paris. Le candidat à la présidentielle, tout comme certains de ses plus proches collaborateurs, sait déjà, depuis plusieurs jours, qu'il est menacé par des accusations d'emplois fictifs présumés. Mais pour l'heure, il s'affiche tout sourire, couteau à la main, coupant lui-même les parts de gâteau. Ce jour-là, la fève est un petit chat noir, relève Le Point.

En début de soirée, François Fillon tient tout de même une brève réunion de crise dans son bureau du 5e étage. Il y a là son directeur de campagne, Patrick Stefanini, et son directeur-adjoint, Sébastien Lecornu, son coordinateur de campagne, Bruno Retailleau, son porte-parole, Thierry Solère, l'un de ses principaux soutiens politiques, le patron du Sénat Gérard Larcher, son ancien collaborateur à Matignon, Antoine Gosset-Grainville, et ses conseillères en communication, Anne Méaux et Myriam Lévy. En un quart d'heure à peine, l'ex-Premier ministre et sa garde rapprochée établissent une riposte sommaire.

Interrogé dès l'arrivée du Canard enchaîné dans les rédactions, le mardi soir, le porte-parole de la campagne, Thierry Solère, se contente de confirmer le scoop et de minimiser. "Il est fréquent que les conjoints des parlementaires soient leurs collaborateurs", commente-t-il, sobrement.

Mercredi 25 janvier : cacophonie dans le camp Fillon

De bon matin, les élus Républicains défilent sur les plateaux de télévision et derrière les micros des radios. Mais au sein du camp Fillon, la désorganisation est totale. La défense prend l'eau de toute part.

L'ancien président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, assure qu'il a vu "souvent" Penelope Fillon, "y compris" au palais Bourbon. Bruno Retailleau vient le contredire, expliquant que l'épouse de François Fillon était "beaucoup moins" à Paris que dans la circonscription de son mari, dans la Sarthe. Le député Les Républicains Philippe Gosselin glisse, lui, n'avoir "jamais vu" Penelope Fillon à l'Assemblée. Quant à la porte-parole de François Fillon, Valérie Boyer, elle confie avoir embauché son fils, "mais pour des activités réalisées", souligne-t-elle, laissant entendre ainsi qu'il n'en était pas de même pour Penelope Fillon. La patronne de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, reconnaît, elle, qu'elle ne savait pas que Penelope Fillon était l'assistante parlementaire de son mari. Le gros des troupes ne se presse pas pour prendre la défense du candidat.

La contre-attaque du camp Fillon est un désastre. Mais le candidat préfère ne rien changer à son programme. Il se rend donc, comme prévu, chez Alain Juppé, à Bordeaux, afin d'afficher l'unité retrouvée de leur famille politique, deux mois après la primaire. A son arrivée, le candidat est accueilli par une foule de micros et de caméras qui ne le lâchera plus. Il a la mine des mauvais jours.

"Je vois que la séquence des boules puantes est ouverte", grince-t-il, mettant en avant la "misogynie" de ces révélations : "Parce que c'est mon épouse, elle n'aurait pas le droit de travailler ?" Assis dans un cockpit aux côtés de son ancien rival, François Fillon est aux commandes d'un simulateur d'hélicoptère, chez Thalès. "On va bientôt se crasher sur les montagnes en face", fait-il observer. "Je te rappelle que je suis dans le même appareil, là", lui glisse le maire de Bordeaux.

François Fillon et Alain Juppé prennent place à bord d'un simulateur d'hélicoptère, à l'usine Thales de Mérignac (Gironde), le 25 janvier 2017. (MEHDI FEDOUACH / REA)

L'annonce, dans l'après-midi, de l'ouverture d'une enquête préliminaire par le parquet national financier pour des faits présumés de "détournement de fonds publics", d'"abus de biens sociaux" et "recel" est un coup de tonnerre.

De retour à Paris, François Fillon s'enferme dans son bureau pour une nouvelle réunion de crise, cette fois en tout petit comité, avec Patrick Stefanini, Bruno Retailleau et Anne Méaux. Il est plus que temps de changer de stratégie. Dans la soirée, un communiqué est publié. Le candidat demande à être reçu par la justice "dans les plus brefs délais".

Jeudi 26 janvier : "Je l’aime, je la protégerai"

Conseillé par ses communicants, "Monsieur Propre" tente de reprendre la main et lance une opération transparence sur le plateau du "20 heures" de TF1. Mais son intervention est truffée de maladresses. "Vous n’imaginez pas à quel point elle souffre", lance-t-il en parlant de Penelope, ajoutant un vibrant : "Je l’aime, je la protégerai." Il explique que son épouse travaille pour lui "depuis toujours" et donne ainsi l'idée aux journalistes de fouiller un peu plus dans le passé du couple. 

Sans doute pour anticiper d'éventuelles révélations à venir, il dévoile lui-même qu'il a employé, lorsqu’il était sénateur entre 2005 et 2007, deux de ses enfants, "avocats", "pour des missions précises". Une allégation que les journalistes épingleront très vite : Marie et Charles Fillon étaient encore étudiants à l'époque où ils ont travaillé pour leur père. 

Emploi fictif : François Fillon répond aux accusations
Emploi fictif : François Fillon répond aux accusations Emploi fictif : François Fillon répond aux accusations (France 3)

Toujours sur TF1, François Fillon tente un coup de poker. Il promet qu'il renoncera à la présidentielle s'il est "mis en examen", faisant ainsi porter une énorme responsabilité sur les magistrats. Le mal est fait. Celui qui, pendant la campagne de la primaire, tançait Nicolas Sarkozy en se posant en homme vertueux et irréprochable – "Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ?" – se retrouve pris à son propre piège.

Dimanche 29 janvier : la discrète Penelope en pleine lumière

Pendant que les sympathisants de gauche se rendent aux urnes pour désigner leur champion, François Fillon tient meeting dans l'immense Paris Event Center de la porte de la Villette, à Paris. Ce grand rassemblement, prévu de longue date, devait être un moment fort de sa campagne. L'équivalent du meeting du Bourget pour François Hollande, en 2012.

Mais de ce grand raout, on ne retiendra qu'une image. Celle d'une épouse émue aux larmes, les yeux dans le vide, acclamée par la foule. D'un seul coup, Penelope, la femme de l'ombre, se retrouve sous les feux des projecteurs. Son mari, lui, poursuit dans la veine sentimentale : "Devant quinze mille témoins, je veux dire à Penelope que je l'aime."

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Le meeting, qui devait permettre au candidat de reprendre le fil de sa campagne, ne lui a servi qu'à se défendre face aux accusations. La salle applaudit, mais certains militants ne cachent pas leur gêne.

Filmée et photographiée sous tous les angles, Penelope Fillon reste pourtant murée dans le silence depuis le début de l'affaire, comme prisonnière de la défense de son mari. Elle s'attire la sympathie de personnalités comme Cécile Duflot ou Ségolène Royal, qui évoquent l'hypothèse selon laquelle Penelope Fillon aurait été désignée assistante parlementaire à son insu. Une version par la suite démentie par François Fillon.

Lundi 30 janvier : les enquêteurs accélèrent

Depuis près d'une semaine, il ne se passe plus une journée sans que la presse se fasse l'écho des avancées de l'enquête. Dès le lendemain du meeting de la Villette, les époux Fillon sont auditionnés séparément, pendant plusieurs heures, par les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, chargé de l'enquête par le parquet national financier.

Le lendemain, c'est à l'Assemblée nationale que se rendent les enquêteurs. Ils y saisissent notamment les contrats de travail de Penelope Fillon. Le 3 février, le président du Sénat indique qu'il transmettra les documents demandés par la justice concernant l'embauche des enfants Fillon.

L'enquête, lancée dès le lendemain des révélations du Canard enchaîné, est menée tambour battant. Moins de deux semaines après son ouverture, la plupart des protagonistes de l'affaire ont déjà été entendus : la journaliste Christine Kelly, auteure d'une biographie de François Fillon, l'ancien directeur de la Revue des deux mondes, Michel Crépu, son propriétaire, Marc Ladreit de Lacharrière, Marc Joulaud, l'ancien suppléant de François Fillon et ex-employeur de Penelope Fillon...

Mercredi 1er février : panique à droite et préparation d'un plan B

Une semaine après ses premières révélations, Le Canard enchaîné revient à la charge. L'hebdomadaire a refait ses calculs : Penelope Fillon aurait touché plus de 900 000 euros brut au total depuis 1988. Les deux enfants du couple auraient, quant à eux, perçu 84 000 euros brut. Autre mauvaise nouvelle pour le candidat, l'affaire a fait des dégâts dans l'opinion publique. Pour la première fois depuis le début de la campagne, un sondage le donne éliminé dès le premier tour de la présidentielle, devancé par Marine Le Pen et Emmanuel Macron.

En coulisses, derrière l'unité affichée à la Villette, la panique gagne les ténors des Républicains. L'évocation par François Fillon lui-même d'une éventuelle mise en examen autorise toutes les spéculations sur un hypothétique "plan B". Le député sarkozyste Georges Fenech est le premier élu LR à remettre en cause publiquement "la légitimité" de la candidature Fillon. Pour lui, "le résultat de la primaire est caduc". De son côté, le député Philippe Gosselin prépare une tribune appelant Alain Juppé à prendre la relève sans tarder.

Alain Juppé, François Baroin, Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand... Des noms sont lancés. Les intéressés se taisent ou déclinent l'offre, mais l'idée prend corps. Sentant poindre le danger, François Fillon réunit les parlementaires Républicains à huis clos à son QG. "On a quinze jours à tenir. On sait que dans les quinze jours qui viennent, on aura les résultats de cette enquête, car on est à la veille de cette élection présidentielle", argue-t-il. Loin de s'effacer, l'ancien Premier ministre montre à son camp qu'il n'entend certainement pas renoncer. Il en appelle à l'union sacrée à droite, accusant la gauche d'avoir fomenté l'affaire et d'être à l'origine d'un "coup d'Etat institutionnel".

La crise s'aggrave encore le lendemain. Pour la première fois, on entend la voix de Penelope Fillon. L'émission "Envoyé spécial", suivie par 5,4 millions de téléspectateurs sur France 2, diffuse l'extrait vidéo d'une interview réalisée en 2007 par le journal britannique Sunday Telegraph. "Je n'ai jamais été son assistante ou quoi que ce soit de ce genre", confie-t-elle. Une phrase anodine à l'époque, mais lourde de sens dix ans plus tard, et qui plombe la ligne de défense de François Fillon.

"Je n'ai jamais été son assistante ou quoi que ce soit de ce genre-là", affirme Penelope Fillon
"Je n'ai jamais été son assistante ou quoi que ce soit de ce genre-là", affirme Penelope Fillon "Je n'ai jamais été son assistante ou quoi que ce soit de ce genre-là", affirme Penelope Fillon

Lundi 6 février : Fillon reprend la main

Après la diffusion de la vidéo d'"Envoyé spécial", les proches de François Fillon préparent la riposte. Conscients que la communication de crise du candidat a été catastrophique depuis le début de l'affaire, ils profitent du calme de la fin de la semaine – période durant laquelle les parlementaires quittent Paris et se rendent dans leurs circonscriptions – pour échafauder un plan de bataille.

Emission de télévision, journal télévisé ? Lundi, en milieu de matinée, l'annonce tombe : François Fillon tiendra une conférence de presse à 16 heures, depuis son QG parisien. Sur place, c'est l'effervescence. Plus de 200 journalistes prennent place. "On a vraiment l'impression qu'on va assister à une mise à mort par le tribunal médiatique", commente, à voix basse, le rédacteur en chef d'un journal marqué à droite.

Face à un mur de caméras et d'appareils photos, François Fillon insiste : les faits qui lui sont reprochés sont "légaux et transparents", répète-t-il, tout en reconnaissant qu'"une émotion légitime monte du pays". Pour tenter d'apaiser la polémique, il va jusqu'à présenter ses "excuses aux Français", et prend l'initiative de détailler la totalité de son patrimoine et l'intégralité des sommes perçues par Penelope Fillon en tant qu'assistante parlementaire. 

Fillon devant la presse : "Je présente mes excuses aux Français"
Fillon devant la presse : "Je présente mes excuses aux Français" Fillon devant la presse : "Je présente mes excuses aux Français" (FRANCEINFO)

Mais plus qu'aux Français, c'est à son propre camp que François Fillon envoie un signal extrêmement clair. "J'ai été choisi par des millions de Français, je ne suis pas le candidat d'un parti. Aucune instance n'a la légitimité pour remettre en cause le vote de la primaire", martèle-t-il. Les partisans d'un retrait du candidat en sont pour leurs frais. François Fillon leur fait comprendre qu'il ne renoncera pas. "Il n'y a pas de plan B. Le plan B, c'est la Bérézina", lâche-t-il.

Dans le même temps, son équipe dévoile la liste des 23 personnalités qui composent son nouveau comité stratégique de campagne. A l'exception notable d'Alain Juppé, tous les poids lourds des Républicains en font partie. De quoi montrer que la famille est bel et bien rassemblée derrière son candidat. L'affaire est entendue. Malgré l'épée de Damoclès judiciaire qui se trouve au-dessus de sa tête, François Fillon ira jusqu'au bout. Le député Georges Fenech, qui avait été le premier à demander son retrait, en prend acte : "J'espère que le 23 avril, nous n'aurons pas la gueule de bois." 

Dès le mardi 7 février, le candidat de la droite mesure sur le terrain l'ampleur des dégâts. "Escroc !", lui lance un passant lors de son déplacement à Troyes. Et dans la presse, les révélations se poursuivent concernant Penelope Fillon : selon le Canard enchainé, elle aurait reçu des indemnités de licenciement de son poste d'assistante parlementaire. Un détail que François Fillon s'était bien gardé de révéler.

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