Dossier de candidature. "Impunité zéro", 39 heures, devoirs à l'école : les propositions de François Fillon à l'épreuve du terrain
Chaque semaine, la rédaction de franceinfo passe au crible le programme, la personnalité et le CV d'un candidat à l'élection présidentielle. Focus sur François Fillon.
Chaque semaine, la rédaction de franceinfo passe au crible le programme, la personnalité et le CV d'un candidat à l'élection présidentielle. Après Benoît Hamon, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron, focus mardi 14 mars sur François Fillon, le candidat Les Républicains.
"Rénovateur", gaulliste social, libéral : quarante ans de politique
Novembre 1999. François Fillon vient d’être battu au premier tour de l'élection pour la présidence du RPR. Chez lui, dans son bureau de maire de Sablé-sur-Sarthe, il confie à un journaliste qu'il aurait voulu... "être journaliste" : "J'ai raté ma vocation. En 1976, j'ai commencé à travailler pour Joël Le Theule, qui était député-maire de Sablé-sur-Sarthe et est devenu ensuite membre du gouvernement de Raymond Barre. Les choses se sont enchaînées".
Je suis tombé dans la politique par hasard. J'ai été pris dans un engrenage, dont je ne suis pas encore sorti.
François Fillonen novembre 1999
Cet "engrenage", comme il l'appelle, François Fillon n'en est finalement jamais sorti. Candidat à l'élection présidentielle de 2017, voilà plus de quarante ans que l'homme est engagé en politique. Une carrière lancée à son corps défendant, dit-il. Un héritier, désigné par les autres, de Joël Le Theule dont il devint en quelque sorte la réincarnation au début des années 1980. Élu plus jeune député de France en mai 1981, à l'âge de 27 ans, François Fillon se rapproche du gaullisme social de Philippe Séguin, allant même jusqu’à considérer que le gaullisme n’est ni de gauche, ni de droite.
Les "douze salopards". Relativement discret, François Fillon émerge médiatiquement en 1989. Au printemps 1988, la droite a perdu l'élection présidentielle et la majorité au parlement qu’elle détenait depuis 1986. On accuse les barons - Jacques Chirac, Valéry Giscard d'Estaing, Raymond Barre, etc - de n’avoir pas su s'unir face à la gauche. C'est dans ce contexte qu’un an plus tard, entre les élections municipales et les élections européennes, douze jeunes élus de droite, six du RPR et six de l'UDF, se lèvent contre "la machine à perdre". On les appelle parfois les "douze salopards". Aucune unité idéologique entre eux, juste la volonté d'un renouvellement générationnel.
Dans l’ombre de Philippe Séguin, François Fillon fait partie de ces rénovateurs. "Jusqu'à maintenant, le RPR était monolithique. Il y a aujourd'hui la possibilité de s'y faire entendre, expliquait-il à l'époque. Nous le faisons sans agressivité et en toute liberté." François Fillon mettra cette "liberté" au profit d'Édouard Balladur, pour lequel il fait campagne lors de la campagne présidentielle de 1995 contre Jacques Chirac. Fin stratège et toujours soutenu par Philippe Séguin, il fera partie des très rares à ne pas être sanctionné par le nouveau président de la République. Il conservera un ministère.
Gaullisme social. François Fillon s’impose à la fin des années 1990 comme le tenant d’un conservatisme social, le défenseur des valeurs familiales, devenant l'une des voix les plus hostiles au Pacte civil de solidarité, le Pacs, dans lequel il voit en 1998 un "engrenage qui conduit inévitablement à des formes de mariage qui vont poser des problèmes de filiation et de droits d'adoption". "Je pense en particulier à des mariages entre couples homosexuels, détaille-t-il encore à l'époque. Cela me semble extrêmement dommageable."
Libéralisme. C’est aussi à la fin des années 1990 que François Fillon acquiert une image de "chevalier blanc" de la morale en politique, exigeant l’exemplarité des élus du RPR au moment de l'affaire Tiberi. Son image de probité et de sérieux en fait un choix évident pour le président Nicolas Sarkozy, qui le nomme Premier ministre en 2007. Au côté du gaullisme social pointe déjà le libéralisme aujourd'hui au cœur de son programme présidentiel : "Réforme de l'État, fusion de l'ANPE et de l'Unédic, réforme de la Défense... Nous allons maintenir strictement les dépenses au même niveau pendant cinq ans et nous ne remplacerons pas un fonctionnaire sur deux", déclarait-il alors.
Mais à quelques semaines de l'élection présidentielle de 2017, cette histoire politique et cette image patiemment construite sont profondément mises à mal par une série de révélations. Comme un "engrenage", pour reprendre un mot cher à François Fillon.
Dépenses : supprimer 500 000 postes d'emplois publics
La réduction drastique de la dépense publique, François Fillon la défend depuis l'automne. Dans ses discours, il n'est pas question de purge, ni d'austérité, mais d'une politique libérale assumée face à "un État en situation de faillite". Le candidat veut aller vite. Il a promis de mener ses principales réformes en l'espace de trois mois, qu'il s'agisse de la suppression des 35 heures, de la retraite à 65 ans au lieu de 62 ans, ou du plafonnement des indemnités de licenciement.
Le gros morceau du programme de François Fillon n'est autre que la suppression de 500 000 postes d'emplois publics. La mesure concerne à la fois les fonctionnaires sous statut et les contractuels et revient approximativement à remplacer un départ sur deux. Globalement, 100 milliards d'euros d'économies sont attendus en cinq ans. Réalisable ou pas ? Étant donné que près de 600 000 fonctionnaires doivent partir en retraite d'ici 2022, il est possible en théorie de supprimer 500 000 postes d'emplois publics. Mais si, au cours de la même période, l'âge de la retraite est repoussé à 65 ans, au lieu de 62 ans, les agents ne seront plus aussi nombreux à partir... L'incertitude est de mise. Seule une chose est sûre : tous les services publics ne seront pas touchés de manière uniforme.
Retour aux 39 heures. François Fillon estime que l'allongement de la durée légale du travail rendra indolores les 500 000 suppressions de postes. Dans certains secteurs, comme l'hospitalier, le retour aux 39 heures - payées 35 heures - risque toutefois d'être compliqué à mettre en place. Comment cette mesure est-elle perçue par les personnels qui se disent déjà à bout de souffle ?
À l'hôpital, la proposition est parfois très mal vécue. Confrontés au manque de personnel et à des rythmes de travail de plus en plus denses, certains agents y voient même une provocation. "Avec le personnel qu'on a, c'est quasiment impossible de travailler 39 heures ! C'est infaisable, s'exclame Marise Dantin, secrétaire générale de la CGT à l'hôpital Cochin, dans le 14e arrondissement de Paris. Marise Dantin gagne 1 680 euros par mois. "Je suis à peine au-dessus du smic, commente-t-elle. Ici, quelqu'un qui débute gagne 1 200 euros. Travailler 39 heures avec aussi peu de personnel et des salaires aussi bas, c'est du foutage de gueule ! Fillon n'a qu'à embaucher sa femme et ses enfants à travailler 39 heures et leur donner 1 600 euros par mois. Là, sa Penelope, on va voir ce qu'elle va faire !"
Pas de compensation prévue. François Fillon estime que, dans la mesure où les fonctionnaires n'ont pas vu leur salaire diminuer lors de leur passage aux 35 heures, il n'y a pas de raison de mieux les payer en passant aux 39 heures. À l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), pendant 18 mois, le directeur Martin Hirsch s'est déjà heurté à de grandes difficultés pour réduire les RTT sans augmenter les salaires. Des infirmiers estiment que les services sont désorganisés et leur vie personnelle, plus difficile.
À l'hôpital Saint-Louis, dans le 10e arrondissement de Paris, certains changent de rythme tous les quinze jours : la moitié du mois, les agents travaillent tôt le matin, la moitié suivante, ils travaillent le soir. "Dans mon établissement, au service du réveil, où nous avions seize infirmières, neuf ont préféré quitter l'hôpital, car on ne tenait plus compte de leur organisation personnelle", raconte Thierry Amouroux. Le secrétaire général du Syndicat national des personnels infirmiers SNPI CFE-CGC à l'AP-HP cite en exemple le cas d'une mère célibataire habitant en banlieue : "Elle a trouvé une nounou qui a accepté de prendre son enfant à 6h du matin. Comment voulez-vous qu'elle explique à sa nounou que, la moitié du temps, elle récupérera son enfant à 23h ? Le directeur lui a répondu : 'Mais Madame, vous n'avez qu'à prendre une deuxième nounou !' Voilà comment nous sommes considérés !"
Le problème est connu : les agents hospitaliers ne parviennent pas à prendre leurs RTT. L'AP-HP doit un million de jours à ses 90 000 agents. Le passage aux 39 heures pourrait donner plus de souplesse... mais risque de mal passer sans compensation, selon Frédéric Valletoux, le président de la Fédération hospitalière de France (FHF) : "Sur les vacances, sur les jours de récupération... Ça ne peut pas se faire sans à-côtés. Et ça ne peut pas se faire d'un coup, par décret ou article de loi. Il faut un passage par le dialogue social afin de préciser les conditions de passage d'un système à un autre".
Frédéric Valletoux est également membre du parti Les Républicains, maire de Fontainebleau. Lui qui défendait Alain Juppé se montre réservé sur la "méthode Fillon". Il plaide pour "un système plus souple" : "Dans le respect du dialogue social, hôpital par hôpital, on doit arriver à fixer quel peut être le rythme des temps de travail le plus adapté à chaque établissement, dit-il. Car les besoins ne sont pas les mêmes". En termes de réduction des dépenses publiques, si certains services comme les hôpitaux se révèlent en difficulté après le passage aux 39 heures, soulignons que l'État sera bien obligé de recruter des contractuels. Les économies ne seraient alors plus les mêmes...
Éducation : "rétablir" les devoirs à la maison en école primaire
François Fillon a largement détaillé son programme en matière d'éducation. À l'école élémentaire, le candidat voudrait revenir aux fondamentaux : consacrer les trois quarts du temps d'enseignement à l'apprentissage de la lecture, de l'écriture, du calcul, de la géographie, des grands personnages et des principales dates de l'histoire de France.
Rémunération au mérite. L'une des propositions les plus commentées est celle d'exiger davantage de présence des enseignants à l'école, au collège ou au lycée, en échange d'une hausse de leur rémunération. Une partie de leur salaire sera attribué sur la base de l'évaluation faite par leur chef d'établissement.
Revenir sur les rythmes scolaires. François Fillon souhaite donner la possibilité aux maires de revenir à la semaine de quatre jours d'école. Il prévoit d'abroger la réforme du collège mise en place par François Hollande. Le candidat entend donner davantage d'autonomie aux établissements dans le choix du nombre d'heures de cours données par matière. Quant aux suppressions de postes, il y en aura... Mais le candidat refuse de dire dans quelle proportion. François Fillon se montre flou sur la question des moyens accordés à l'Éducation, aujourd'hui le premier budget de l'État.
"Rétablir" les devoirs à l'école élémentaire. C'est une autre proposition de François Fillon. Le terme suppose que ces devoirs ont disparu. Est-ce vraiment le cas ? Depuis 1956, les devoirs écrits sont certes interdits après l'école. Mais il reste possible de donner des leçons à apprendre, des poésies, des révisions... C'est ce que fait Côme chaque jour avec sa maman. En théorie, lorsqu'il rentre à la maison, cet élève de CM1 n'a que des leçons à apprendre. "Les enseignants essaient de privilégier cet exercice, raconte sa maman. Le travail écrit, c'est plutôt le week-end."
Pourquoi les devoirs écrits restent-ils encore bien souvent en vigueur ? "Certains professeurs des écoles de CM1 et de CM2 vont en donner, car ils préfèrent préparer les élèves à la 6e, explique Julie, une enseignante en CP dans une école de la Côte-d'Azur. À l'origine, les devoirs écrits ont été interdits pour réduire les clivages entre les milieux favorisés et les milieux défavorisés. Dans les milieux défavorisés, les parents ne suivent pas forcément les enfants, soit parce qu'ils n'en sont pas capables, soit parce qu'ils n'ont pas le temps, soit parce qu'ils ne prennent pas le temps."
En souhaitant rétablir officiellement les devoirs écrits à la maison, François Fillon estime pouvoir aider les enfants à mieux mémoriser les éléments du programme. Autre objectif : impliquer davantage les parents dans la scolarité de leurs enfants. Mais dans les faits, quand il s'agit de devoirs, la relation entre les parents et l'enfant n'est pas forcément aisée. En classe de CP, le petit Noham rechigne à l'exercice, préférant déclarer que "les devoirs, c'est naze". Pour sa mère, Fanny, la séance se révèle compliquée : "Cela crée du conflit. Ce n'est ni une guerre, ni un combat. Mais ça demande de lutter. Ça demande du temps, de l'énergie. Il faut se sentir capable. L'enfant ne supporte pas forcément que le parent le reprennent, le corrigent, voient ce qu'il ne sait pas faire. Ce regard des parents peut être compliqué pour l'enfant."
Afin de contourner ce problème, François Fillon propose que les enfants aient la possibilité de faire leurs devoirs à l'école avec des enseignants, comme c'est déjà le cas pour les élèves qui suivent l'étude... et pour lesquels maîtres et maîtresses reçoivent un revenu supplémentaire.
Sécurité : des moyens supplémentaires
Nicolas Sarkozy aimait parler la "tolérance zéro". François Fillon préfère le terme "impunité zéro". L'approche est globalement la même. Le candidat part du principe qu'il faut réprimer sévèrement tous les types de délinquance, des délits du quotidien aux faits les plus graves. Il promet ainsi de punir de manière plus systématique l'usage de stupéfiants. En matière de drogue, il propose d'expulser les trafiquants de leurs logements sociaux.
La lutte contre le terrorisme, une priorité. Déchéance de nationalité, interdiction de retour sur le territoire français pour les ressortissants français partis combattre dans les rangs d'organisations terroristes... François Fillon veut renforcer la surveillance aux frontières de l'espace Schengen et réformer le renseignement afin de le rendre plus efficace dans la détection de projets terroristes. Le candidat table sur un plan de recrutement de 5 000 nouveaux policiers et sur le redéploiement sur le terrain de 5 000 autres, occupés actuellement à des tâches administratives. Il promet en outre de développer l'armement des polices municipales.
François Fillon en parle depuis mi-février : il souhaite également abaisser l'âge de la majorité pénale de 18 à 16 ans. La mesure est nécessaire, selon lui, pour responsabiliser les plus jeunes délinquants. Le candidat veut détricoter une grande partie de l'action au ministère de la Justice de Christiane Taubira, en rétablissant les peines planchers, ces peines automatiques appliquées aux récidivistes, et en supprimant la contrainte pénale, une peine alternative à la prison qui avait été l'un des chantiers prioritaires de l'ancienne garde des Sceaux.
Créer 16 000 nouvelles places de prison. François Fillon s'engage à augmenter la capacité des établissements pénitentiaires et à éviter la cohabitation en détention des primo-délinquants avec les autres détenus. En termes de recrutement, le candidat envisage de limiter à 300 postes le nombre de recrutements dans le secteur de la justice, mais d'en augmenter le budget de fonctionnement, avec un ajout d'1,5 milliard d'euros sur la toute la durée du quinquennat.
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